RDC : L’ordonnance portant création de l’agence de lutte contre la corruption est conforme à la constitution et aux traités internationaux ratifiés par le pays (Tribune) 

Jeudi 23 avril 2020 - 14:37
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L’ordonnance portant création de l’Agence fait référence à la convention africaine de prévention et lutte contre la corruption ratifiée par la RD Congo sous la loi numéro 16/029 du 8 novembre 2016.

Il échet de rappeler qu’en vertu de l’article 215 de la constitution "les traités et accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois internes ".

L’article 214 de la même constitution précise que les traités qui modifient les dispositions législatives ne peuvent être ratifiés ou approuvés que par une loi...

Il en découle deux principes majeurs :
la constitution reconnaît la primauté des traités sur les lois internes.
les traités peuvent modifier ou déroger à des dispositions législatives existantes. 

Par ailleurs, l’article 122 point 6 de la constitution précise que la loi fixe «  la détermination des infractions et des peines qui leur sont applicables, la procédure pénale, l’organisation et le fonctionnement du pouvoir judiciaire, la création de nouveaux ordres de juridictions, le statut des magistrats, le régime juridique du Conseil supérieur de la magistrature… ».

De même, l’article 123 point 2 souligne que « la loi détermine les principes fondamentaux concernant la création des entreprises, établissements et organismes publics ».

Au surplus, l’article 128 de la constitution relève « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ». A cet effet, la constitution en son article 79 reconnaît au Président de la République un pouvoir réglementaire par voie d’ordonnance. 

Quel est le fondement juridique de l’Agence ?

L’agence tire son fondement de la convention africaine de prévention et la lutte contre la corruption ratifiée par la R.D.Congo sous la loi numéro 16/029 du 8 novembre 2016.

L’article 5 point 3 de ladite  convention précise « les Etats membres son chargés de mettre en place des autorités ou agences nationales chargées de la lutte contre la corruption »

L’article 2 point 1 souligne que l’un des objectifs de l’agence est de «  prévenir, détecter, réprimer, éradiquer la corruption et les infractions assimilées… ».

Dans le cas d’espèce, l’ordonnance du Président de la République fait référence à la Convention africaine.

L’article 2  de l’ordonnance susmentionnée défini la mission de l’Agence. Force est de constater que  toutes les  prérogatives assignées à l’Agence entrent dans le champ d’application de l’article 2.1 de la convention ratifiée et insérée dans l’ordre interne de la RD Congo sous forme d’une loi.

Donc le fondement juridique des prérogatives assignées à l’Agence ainsi que la raison de sa création relèvent de la loi

Quelle est la nature juridique de l’Agence ?

Il s’agit d’un service spécialisé au sein du Cabinet de chef de l’Etat conformément à l’article 3 de l’ordonnance n°09/003 du 30 janvier 2009 portant organisation et fonctionnement du cabinet de Chef de l’Etat 

Il ne s’agit pas d’un établissement  public au sens de la loi n° 08/009 du 07 juillet  2008 portant dispositions générales applicables aux Etablissements Publics.

Pour mieux appréhender la question, il faut faire une distinction entre :
un service spécialisé et un établissement public, d’une part et 
le fondement juridique de leurs prérogatives  et leur mode de création d’autre part.

L’article 2 et  de la loi du 7 juillet 2008 définit l’établissement public comme suit :

« L’établissement public est toute personne morale de droit public créée par l’Etat en vue de remplir une mission de service public. Il jouit d’une autonomie de gestion et placé sous tutelle d’un ministère »

L’état de la législation congolaise ne contient pas une définition générale d’un service spécialisé d’une administration. Pour définir un service spécialisé, nous devons nous référer  à l’ensemble des règles (Statuts) qui régissent le mode de fonctionnement de l’organe, de  l’administration dont il relève et dans, le cas de l’Agence, il s’agira  l’ordonnance portant fonctionnement du Cabinet du Chef de l’Etat.  

L’article 123 de la constitution précise que les principes fondamentaux (objectifs, prérogatives)  de la création d’un établissement public, doivent être  régis par une loi, qui n’est pas à confondre avec le mode de création.

Les principes fondamentaux régissant la création des établissements publics sont définis par la loi du 7 juillet 2008, et l’article 5 de ladite loi précise, en ce qui concerne le mode de leur création, « que les établissements publics sont créés par Décret du Premier Ministre  en vertu de son pouvoir réglementaire découlant de l’article 92 de la constitution ».

A l’instar d’un établissement public, les principes fondamentaux de l’Agence reposent sur une  loi, à savoir la loi numéro 16/029 du 8 novembre 2016 ratifiant la convention africaine de prévention et de la lutte contre la corruption.

La création d’un établissement public se fait par voie règlementaire, à savoir le décret du Premier Ministre,  Mutatis Mutandis, le mode de création d’un service spécialisé  ne peut se faire que par voie réglementaire.

Par conséquent, l’Agence  en tant que service spécialisé du Cabinet du Président de la République, ne pouvait être créé uniquement et exclusivement, que par une  ordonnance présidentielle en vertu du pouvoir réglementaire autonome du Chef de l’Etat découlant de l’article 79 de la constitution. 

L’ordonnance présidentielle crée-t-elle des dispositions nouvelles de procédure pénale ?
  
 A la lecture des missions assignées à l’Agence dans l’ordonnance présidentielle, Force est de constater qu’elle ne fixe pas des nouvelles règles en matières des libertés individuelles ainsi qu’en matière pénale.

Elle ne viole pas le principe  de la légalité des délits et des peines «  nullum crimen nulla poena sine lege  », en ce qu’elle n’érige pas des nouveaux délits et ni des nouvelles peines. Par ailleurs, ses agents  n’ont aucun pouvoir pour délivrer un mandat d’arrêt…

Par ailleurs, elle ne crée pas une nouvelle juridiction et n’a pas pour vocation de d’ériger un  nouveau parquet financier .L’article 2 point 2 de l’ordonnance précise que les dossiers sont transmis et déposés auprès de l’organes judicaires compétents pour les poursuites.

En toute état de cause, la procédure pénale  est régie par une loi et non par la constitution. Les prérogatives de l’Agence sont également définies conformément à une loi de ratification ou approbation d’un traité international.

Quod non établi, s’il arrivait que certaines prérogatives découlant de la convention internationale heurtent l’état de notre  procédure pénale en vigueur, la constitution accorde une primauté et même un caractère dérogatoire de la convention sur la loi organisant notre procédure pénale.  

Conclusion

Il ressort de tout ce qui précède que l’ordonnance du Président de la République  portant numéro 20/013 du 17 mars 2020 créant l’agence de lutte contre la corruption est conforme à la constitution et aux traités internationaux ratifiés par la RD Congo.

Me Papis Tshimpangila