Les responsables de la Monusco ne savaient à quel saint se vouer face aux questions de la presse, hier mercredi 17 août 2016, à l’occasion de la conférence hebdomadaire organisée simultanément à Kinshasa et Goma. Au menu : le brasier de Beni. Y a-t-il ou pas des islamistes djihadistes dans cette partie de la RD Congo? Sont-ils responsables des massacres à répétition perpétrés à Beni depuis quelques jours? Les drones n’ont-ils pas détectés ces bandits avant qu’ils passent à l’acte? A ces questions et tant d’autres, la Mission onusienne est restée évasive.
A en croire le numéro 2 de la Monusco, Mamadou Diallo, il n’est pas possible de dire exactement si les auteurs de ces actes sont des éléments djihadistes ou des terroristes qui ont été formés de façon spontanée. Toutefois, il a mentionné qu’il y a des éléments qui viennent de l’extérieur.
Interrogé sur l’optimisme débordant de l’ancien porte-parole de la Monusco, Charles Bambara, qui répétait une formule consacrée liée à la diminution de la capacité de nuisance des rebelles ougandais, l’actuel porte-parole, Théophane Kinda, a reconnu que les casques bleus ont en face un «ennemi qui est très mobile». «Il change de tactiques, il faut que nous nous adaptions par rapport à ces tactiques là...», a-t-il tenté de répondre.
Venant à la rescousse de son collaborateur, Mamadou Diallo, a fait noter qu’il s’agit ici d’un conflit « asymétrique » auquel font face les casques bleus. Ainsi, face au constant d’échec du «Plan A» fait par l’opinion publique, le fonctionnaire onusien a préconisé un «Plan B» consistant à élargir l’éventail des acteurs dans, cette guerre asymétrique. Il s’agit d’impliquer des communautés, des associations des jeunes, des réseaux d’appui, etc., car la solution n’est pas que militaire. « Il faut donc un travail de sape. Nous avons donc besoin d’un appui de tous les Congolais. Pour nuire à un arbre, il faut d’abord couper les racines...», a averti le numéro 2 de la Monusco.
Somme toute, les responsables de la Monusco ont préféré botter en touche au sujet de la question de Beni, en soulignant que la sécurisation des Congolais, et de leurs biens est d’abord une affaire de l’armée, de la police et des services de sécurité congolais.
Quid des ADF?
Au sujet des rebelles ADF, pointés du doigt par la majorité de observateurs dans ces crimes perpétuels à Beni, une présentation officielle de l’ONU renseigne qu’il s’agit d’un groupe rebelle ougandais qui a émergé des tensions nées au sein de la communauté musulmane ougandaise.
Au début des années 1990, des membres de la secte des Tabligh ont affronté le Conseil suprême islamique au sujet de la direction d’une mosquée à Kampala. Suite à cette dispute, Jamil Mukulu et plusieurs autres dirigeants Tabligh ont été arrêtés. Après leur libération en 1993, ils ont commencé à mobiliser une armée à l’ouest du pays, avec le soutien du gouvernement soudanais, en riposte au soutien de Kampala à la rébellion de l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS).
A partir de’1995, les éléments ADF s’étaient implantés dans la partie congolaise du massif du Ruwenzori.
Allié à l’Armée nationale de libération de l’Ouganda (NALU), un groupe motivé par les revendications de la communauté Konjo en Ouganda, ce groupe s’étant installé dans cette zone depuis 1988, avait tissé des relations étroites avec les autorités locales, notamment avec feu Enoch Muvingi Nyamwisi, le frère aîné de Mbusa Nyamwisi.
À partir de ce moment-là, et ce jusqu’en 2007, le soutien du gouvernement de Kinshasa aux ADF - qui s’exerçait déjà entre 1995 et 1996 sous Mobutu, et entre 1998 et 2003 sous Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila - s’est presque toujours manifesté par l’intermédiaire de la famille Nyamwisi et des Nalu.
A partir de 1988, le groupe s’est intégré dans la société congolaise. Des commandants ougandais ont épousé des femmes congolaises et se sont investis activement dans le commerce transfrontalier du bois, des minerais, ainsi que dans l’agriculture.
Les leaders locaux ont bénéficié de la puissance militaire des ADF-Nalu, et, en contrepartie, ces mêmes leaders ont aidé les rebelles ougandais .à se cacher au moment des ‘attaques de l’armée ougandaise et de ses alliés locaux.
Il convient de signaler qu’un grand nombre dé commandants des ADF-Nalu était de la communauté Kondjo, qui est installée de l’autre côté de la frontière avec l’Ouganda et qui partage la même langue et les mêmes coutumes que la communauté Nande. Ce sont surtout les communautés locales s’estimant marginalisées qui ont vu dans leurs alliances avec les ADF-Nalu une opportunité de s’émanciper.
La ville et le territoire de Beni, situés au nord du Nord-Kivu, dans l’est de la République Démocratique du Congo, forment une région que se partagent les communautés Nande, Mbuba, Pakombe, Mbuti et Talinga.
Il est aussi à noter que, contrairement aux autres groupes islamistes, les ADF ne font pratiquement aucun effort pour se manifester publiquement. Ils n’ont ni porte-parole, ni site Internet et ne sont pas visibles dans les médias sociaux. Ils n’utilisent pas non plus les tueries qu’ils commettent pour provoquer une répression démesurée’ de la part du gouvernement, ou pour créer des divisions au sein des communautés locales, comme le font des groupes islamistes en Somalie, au Nigéria, ou au Moyen- Orient. Dan Fahey, un ancien coordonnateur du Groupe des experts de l’ONU qui a interrogé des dizaines de prisonniers ADF, a conclu « Récemment, le groupe s’est tourné vers l’intérieur (sic), semble avoir abandonné son ambition de renverser le pouvoir en Ouganda et essaie plutôt de créer une utopie recluse à l’est du Congo. ».
Par Tshieke Bukasa