André Mbata aux dirigeants africains : «Laissez le pouvoir avant qu’il ne vous quitte»

Mercredi 26 novembre 2014 - 10:22

Le vendredi 15 novembre 2014, Prof André Mbata était brillamment intervenu à la célèbre Ecole de Droit de New York (New York Law School) lors de la conférence sur les 20 ans du constitutionnalisme en Afrique du Sud pour parler de l’exceptionnelle contribution de Nelson Mandela en droite ligne de l’hommage qu’il avait rendu à Madiba à travers son livre préfacé par le Prof Tukumbi Lumumba-Kasongo (Cornell University, Wells College & Suffolk University, USA).

            A New York, il était aussi reçu comme auteur de deux ouvrages publiés respectivement en Allemagne (Obama’s Election and Change : Lessons for the World, Africa and US Foreign Policy, Saarbrucken : Lambert Academic Publishing, 2011) et en France (Barack Obama et les défis du changement global, Paris : L’Harmattan, 2012).

            Dans ses deux livres, André Mbata avait réfléchi sur l’élection de Barack Obama, la campagne du « changement » à la base de son élection, et ses implications pour la politique africaine qui devait également changer pour soutenir le développement démocratique contrairement au passé où l’Administration américaine avait soutenu des dictateurs en récompense des services rendus comme « agents » des Etats-Unis pendant la guerre froide.

            Au Danemark où il est arrivé par l’aéroport international de Billund le jeudi 20 novembre 2014, André Mbata s’est signalé par une conférence donnée dans l’après-midi de samedi 22 novembre 2014 à l’Université du Danemark du Sud (Syddansk Universitet – University of Southern Danmark) située dans la ville d’Ordense..

            Devant un auditoire constitué d’étudiants en Master et les doctorants des Départements des Relations internationales, Droit public international et Science politique, il a parlé des derniers développements politiques et constitutionnels en Afrique, particulièrement en RDC, de la Cour pénale internationale, et du rôle de l’Union européenne (UE) et de l’ONU dans la résolution des crises africaines.

            Pendant deux heures, André Mbata a présenté l’histoire, la géographie, le peuple, et les immenses ressources qui font de la RDC l’un des pays les plus riches de la planète avec malheureusement cet autre paradoxe d’être le pays dont les habitants comptent parmi les plus pauvres. Il a attribué cette situation non seulement aux ingérences étrangères, mais aussi et surtout à une élite politique profiteuse, autoritaire, corrompue et incapable de déjouer le complot qui a dirigé le pays depuis l’indépendance et qui apparaît aujourd’hui sous la forme d’un « conglomérat d’aventuriers et opportunistes», ce mal absolu jadis dénoncé par Mzee Laurent-Désiré Kabila. En empruntant les mots utilisés naguère par l’éminent professeur congolais Marcel Lihau Ebua qui aurait du mal à se reconnaître dans cette mouvance, on est en présence d’une « coterie » qui comprend en son sein plusieurs milliers d’hommes et de femmes sans foi, sans loi, sans conscience ni scrupule, incapables de grandes idées et sans aucune vision des lendemains qui n’ont pas honte de dire au monde entier qu’ils doivent continuer à sucer l’Etat parce que, disent-ils, ils ne sont pas encore rassasiés.

            Il s’agit là de la version moderne de la « politique du ventre » dont certaines personnes grassement rémunérées sont « chargées d’assurer la visibilité ». Cette politique du ventre est également servie par un « journalisme du ventre » à travers les journalistes et les médias au service de la prévarication des faits, par l’« évangile du ventre » prêché par des chefs religieux que la misère ou l’appétit de biens matériels a fait prospérer dans toutes les contrées du pays, particulièrement à Kinshasa, et par des « juristes et des politologues du ventre» prônant le « viol » des textes fondamentaux de la République pour l’unique confort de ceux qui les engraissent.

            Comme il l’avait souligné à New York, André Mbata a rappelé que les « monarchies présidentielles » n’ont plus de place en Afrique. Il s’est référé au cas du Burkina Faso où un despote têtu et impénitent qui refusait de se donner un dauphin, qui ne croyait qu’en lui-même et que ses flatteurs présentaient comme indispensable, a été contraint de « dégager » et de sacrifier bêtement une année de pouvoir qui lui restait encore avant de prendre finalement la direction du Maroc …comme l’avait fait avant lui le Maréchal Mobutu en 1997. Au Burkina Faso comme au Zaïre de Mobutu, ceux qui chantaient les louanges du « Guide » avaient subitement enterré leurs désirs et disparu dans la nature avant de refaire surface quelques jours, mois ou années plus tard, le temps de se « convertir » à la nouvelle mouvance, de « naître de nouveau » pour prêcher au peuple meurtri un nouvel évangile de nationalisme.

Certes, tout serait perdu si les peuples se laissaient diriger par les désirs de quelques individus prêts à mourir et à tuer pour se maintenir au pouvoir et qui dans cette folie meurtrière seraient passés de la « raison » à la « déraison » comme l’écrivait un éminent sociologue congolais, le Prof Mwabila. Paraphrasant René Descartes avec son « cogito ergo sum » (je pense donc je suis), le Prof André Mbata a insisté sur cette vérité philosophique comme pierre philosophale de toute existence humaine digne et responsable. Comme l’ont démontré les Danois au cours de leur histoire et comme le célèbre poète et dramaturge anglais Shakespeare l’avait stigmatisé dans Hamlet, le problème majeur pour les individus comme pour les peuples, c’est « to be or not to be » (Etre ou ne pas être). « That is the question » (C’est la question).  Le choix serait à faire entre « L’être et le néant » pour emprunter des expressions du philosophe français Jean-Paul Sartre. Il est vrai qu’il faut manger ou avoir des biens pour vivre. Cependant, ce qui différencie fondamentalement l’homme de tout autre être vivant est qu’il est un animal « pensant ». Le cogito ergo sum confirme que c’est surtout parce que l’on pense que l’on peut véritablement se dire exister comme un être humain.

            S’adressant indirectement aux dirigeants africains « bien-aimés »(!), aux « révolutionnaires » et à leurs suppôts,  Prof André Mbata a conseillé de ne pas se faire d’illusions ou de croire aux mirages comme le Petit Prince d’Antoine de St Exupéry dans le désert où de grains de sable peuvent parfois apparaître comme des montagnes.

            Pour tous ceux qui adorent les « révolutions » – « Rectification de la Révolution » avec Compaoré au Burkina Faso, « Révolution Pardon » avec Mzee Kabila, etc, André Mbata a rappelé que sur papier, même Joseph-Désiré Mobutu était un « révolutionnaire » parce qu’il était le « Président-Fondateur du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR)» et qu’il prêchait la « Révolution-Comparaison » ! Malheureusement, l’histoire de la RDC, comme celle récente du Burkina Faso, a démontré que même s’il est « populaire », le désir d’éternité des dirigeants ne constitue qu’une fausse illusion. Il en est de même au Togo qui avait fourni le premier cas de monarchisation du pouvoir présidentiel et où le peuple a commencé à s’exercer dans les rues au rythme de « 50 ans de pouvoir Père et Fils, c’est fini », comme pour dire que le Togo n’est pas une propriété privée d’une famille.

            Tout en comprenant qu’il n’est pas facile d’abandonner le pouvoir, les richesses et les honneurs qu’il procure, Prof André Mbata a rappelé son message d’amour donné à Blaise Compaoré en 2007 et qu’il n’a cessé de donner aux dirigeants africains : « Ne vous fiez pas aux thuriféraires de votre régime et à d’autres flatteurs qui vous « sucent », vivent aux dépens de vous et vous doivent même leur opulence et leur existence ou résurrection en politique. Respectez la Constitution de votre pays. Laissez le pouvoir avant que le pouvoir ne vous quitte. Il y a une vie après la présidence ». Blaise Compaoré n’avait pas compris. La prière est que ses « frères d’armes » qui restent au pouvoir – presque tous ceux qui aspirent à la monarchie présidentielle sont des militaires, ont porté des armes ou succédé aux militaires – entendront au moins la voie de la raison avant qu’il ne soit trop tard.

            Pour Prof André Mbata, le combat pour la démocratie et le constitutionnalisme est avant tout une affaire des Africains eux-mêmes comme ils l’avaient fait sous Abdoulaye Wade au Sénégal, Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte et comme ils viennent de le faire sous Compaoré au Burkina Faso. Cependant, les grandes puissances comme les Etats-Unis et les organisations internationales comme l’ONU et l’UE auxquelles appartient le Danemark devraient cesser de faire main basse sur les richesses africaines et d’entretenir des crises. Elles devraient plutôt assister les peuples africains dans leurs luttes pour asseoir des systèmes démocratiques sur l’ensemble du continent et mettre en échec toute tentative de monarchisation du pouvoir. Elles devraient enfin faire comprendre aux dirigeants qu’ils ont tout à perdre en cherchant à s’entêter dans des entreprises criminelles de « viol » ou de fraudes à la constitution pour s’éterniser au pouvoir.

Dans le cas de la RDC, André Mbata a rappelé que toute révision de l’Article 220 par voie législative ou référendaire est constitutionnellement prohibée. De même, toute tentative de prolongation de mandat au-delà de 2016 ou de « glissement de calendrier électoral » en se servant du prétexte de recensement ou des élections locales et provinciales par manque de financement constituerait une haute trahison et une inacceptable fraude à la Constitution.

Se faisant l’ambassadeur des scientifiques congolais, l’orateur a lancé un appel à l’établissement et au renforcement des échanges entre les universitaires et les universités de Danemark avec les universitaires et les universités de la RDC qui devraient véritablement devenir des « universités de développement ».

            S’agissant de la CPI, il a déploré l’attitude irresponsable des dirigeants africains qui avaient essayé de mener campagne contre cette Cour sous le fallacieux prétexte qu’elle ne viserait que les Africains alors que ce sont ces dirigeants eux-mêmes qui avaient librement signé et ratifié le Statut de Rome et déféré le plus grand nombre de cas devant cette Cour. Le Prof a affirmé que selon la règle « pacta sunt servanda »(les traités signés doivent être exécutés de bonne foi), même si des erreurs avaient été commises notamment sous le Procureur Moreno qui se comportait plus en politicien qu’en homme de loi. Selon lui, les dirigeants africains ne devraient pas se cacher sous le manteau d’une « souveraineté nationale » du reste  éphémère  pour se soustraire aux poursuites de la CPI. Les portes de cette Cour devraient rester grandement ouvertes à tous les criminels qui gouvernent l’Afrique ainsi qu’à toute autre personne qui serait responsable de graves violations de droit international humanitaire ou des droits de l’homme.

            En ce qui concerne la création au sein de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples d’une chambre devant faire le même travail que la CPI, tout en saluant cette décision, le Prof a émis de sérieux doutes sur son efficacité car il ne trouve pas comment les Chefs d’Etat africains, qui sont les premiers responsables de graves violations des droits de l’homme dans leurs pays respectifs, pourraient être déférés devant cette chambre par des collègues membres de l’Assemblée de Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine qui continue d’agir comme un « club » de dirigeants qui n’hésitent pas à se soutenir dans le mal pour rester au pouvoir, ni comment ils pourraient être poursuivis et jugés par des magistrats nommés par eux et ne jouissant d’aucune indépendance.

Prof André Mbata devrait avoir plusieurs autres contacts avec les milieux universitaires et certains milieux politiques danois avant de se soustraire de l’hiver glacial de l’hémisphère nord pour revenir sous la chaleur des tropiques en Afrique.

Mamie Bayla (CP),  Ordense/ Danemark

 

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