Hier lundi 10 novembre, l’Assemblée Nationale était tombée plus bas que terre ! Jamais elle ne s’était autant décrédibilisée. Avec cet épisode, Aubin Minaku restera dans les annales de la République comme le plus piètre président de la Chambre basse que la RDC n’ait jamais connu. Dans l’affaire des motions contre les ministres des finances et de l’industrie, le Bureau de l’Assemblée nationale s’est comporté avec une indignité telle qu’elle a poussé l’Opposition à boycotter la séance plénière. Mais le meilleur de l’indignité de ce Bureau MP était à venir.
Restez entre eux les députés de la Majorité Kabiliste se sont encore illustrés par un pugilat gigantesque où l’un d’eux, Valentin Senga, accusé de filouterie, a été roué de coups par les membres de sa famille politique et de sa province d’origine. La question est comment en est-on arrivé là ? Samy Badinbanga, initiateur de la motion contre le ministre Kitebi, a annoncé dans la foulée qu’une plainte contre le président de l’Assemblée nationale sera déposée incessamment pour tirer toutes les conséquences de ce scandale qui ne grandit aucune institution. La démocratie c’est le contrôle. Redouter le contrôle comme se sont illustrés les ministres Kitebi et Musungayi vont nourrir les suspicions de détournement des deniers publics. C’est qui est dommage c’est aussi la façon dont les membres du gouvernement avec la complicité du Bureau s’y sont pris pour repousser coûte que coûte l’examen de la motion. La manoeuvre du pouvoir était grossière pour repousser les deux motions. D’abord il y a eu le prétexte du voyage pour finir par la motion incidentielle de Thomas Lokondo, qui aujourd’hui a été complètement dévalué politiquement. Pour Musungayi, c’est la technique du retrait massif des signatures par le sulfureux Valentin Senga. Dans les deux cas, la « République débout » de Kabila est une véritable boutade. Ci-dessous un compte-rendu de la séance qui restera comme celle de la honte de cette législature.
Mwando et Lokondo
Un théâtre de chez nous qui a fait la honte de l’Assemblée nationale
Théâtral, caricatural, honteux, dégoûtant : les adjectifs n’ont pas manqué hier dans l’opinion pour qualifier la scandaleuse séance plénière à laquelle on a assisté hier à l’Assemblée nationale. Censée être le Temple de la démocratie, celle-ci est devenue le royaume du n’importe quoi où des pitres se mettent en spectacle. La chambre basse devait, en effet, traiter les deux motions de défiance initiées contre le ministre délégué aux Finances Patrice Kitebi Kibol Nvul par le député Samy Badibanga Ntita, et contre le ministre de l’Industrie et PME Rémy Musungayi Bampale par le député Awenze. Mais c’était sans compter avec la MP qui avait résolu de sauver, quoi qu’il en coûte, même en passant par le mouillage de la barbe, ses deux plénipotentiaires. Dans le rôle de l’exécutant de cette sale besogne : Charles Mwando Nsimba, premier vice-président de l’Assemblée nationale, faisant office de président de séance en l’absence de son titulaire Aubin Minaku.
Le lundi 10 novembre 2011 restera dans l’histoire de l’Assemblée nationale, voire du parlementarisme congolais. Ce jour, après moult subterfuges, le bureau avait finalement résolu de convoquer une séance consacrée au traitement des motions de défiance contre le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Finances et contre le ministre de l’Industrie et PME. Initiée par Samy Badibanga, la première motion comportait multiple danger pour le gouvernement.
Empêcher le vote
D’abord, elle risquait de recueillir dans le secret de l’isoloir le soutien de nombreux sociétaires de la majorité MP qui rêvent de faire tomber l’exécutif, mais qui se gênent de le manifester publiquement, soit pour obtenir le départ d’Augustin Matata de la primature, soit pour précipiter la formation du gouvernement de cohésion nationale tant attendu. En effet, le vrai ministre des Finances étant le Premier ministre lui-même, si la motion avait réussi contre son ministre délégué, le titulaire du poste aurait été, forcement, touché. D’où la décision, annoncée par des tabloïds kinois de ce lundi : la MP a décidé de faire bloc pour faire échouer la motion Badibanga.
Il s’agira d’empêcher par tous les moyens qu’on arrive au vote de la motion, car on ne sait jamais ce qui peut arriver lorsque les députés se retrouvent, seul devant leur conscience, dans l’isoloir. Dans le rôle du président du bureau de la chambre : Charles Mwando Nsimba, ancien mobutiste flamboyant qui a connu ses heures de gloire pendant la deuxième République où il a été gouverneur du Kivu, ministre de l’Intérieur, ministre des Transports, ministre des Travaux publics, avant de passer avec armes et bagages à la Kabilie. A peine a-t-il donné la parole à Samy Badibanga, député de Kinshasa/Mont-Amba et président du groupe parlementaire UDPS et Alliés, que le député Charles Lokondo, ancien mobutiste lui aussi rallié à la Kabilie, intervient par une motion incidentielle.
Mauvaise foi
Pour s’opposer à la motion de son collègue en affirmant qu’elle était illégale, alors que le ministre censé se défendre était présent. La mauvaise foi est apparue au grand jour lorsque l’élu de Mbandaka est allé jusqu’à évoquer le fait que le ministre délégué ne pouvait pas être convoqué par la chambre au motif que le vrai ministre des Finances était le Premier ministre lui-même. Pourtant, cette question avait été soulevée en son temps par l’opposition lors de la formation du gouvernement, mais la MP, par la bouche de son égérie Christophe Lutundula Apala Pen’Apala avait soutenu qu’il y avait certes erreur dans la formation de l’exécutif, mais qu’on pouvait faire avec et convoquer, le moment venu, le ministre délégué. Argument approuvé bruyamment par les applaudisseurs des bancs de la MP, connus pour leur talent à jouer au tam-tam sur leurs pupitres. Lokondo a-t-il oublié cet épisode, ou bien il a agit selon un scénario établi à l’avance ?
Charles Mwando va alors soumettre la motion à l’appréciation des députés selon la procédure habituelle : deux intervenants pour, deux contre. Par une motion d’ordre, le député Toussaint Alongo a beau expliquer qu’une motion ne peut faire l’objet d’une motion, mais que, par égard à l’article 209 du Règlement d’ordre intérieur de l’Assemblée, il n’existe que deux conditions pour le traitement d’une motion : 50 signatures et l’indication « motion », le vieux patriarche ne l’entend de cette oreille.
Entêtement du Bureau
Devant cette situation, le député Bamporiki, président du groupe parlementaire UNC et Alliés, est intervenu au nom de l’opposition pour expliquer les fondamentaux dans le traitement d’une motion, que conformément à l’article 211 du Règlement d’ordre de l’Assemblée, aucun retrait de motion n’est possible depuis sa mise en discussion, qu’une fois que la discussion est engagée, elle se poursuit jusqu’au vote, et que l’intervention de Samy Badibanga constituant la mise en discussion de la motion, plus rien ne pouvait arrêter la motion. Des réalités que Mwando ne pouvait ignorer pour avoir dirigé la commission qui a élaboré ce Règlement d’ordre. Mais devant l’entêtement du bureau, Bamporiki annonce que l’opposition se retire de la salle. Sur ce, les députés de l’opposition ont quitté l’hémicycle.
Dépassé, mais imperturbable, Charles Mawando fait passer la motion Lokondo au vote : 209 votent oui, 12 contre, et 14 abstentions, soit au total 235 votants.
La MP étant restée seule, on serait tenté de croire que les choses allaient bien se passer. Erreur ! On passe à la deuxième motion du jour, celle initiée par le député de Kisangani Awenze contre le ministre Rémy Musungayi. Ici, la particularité, ce que M. Awenze est lui-même membre de la MP. Coup de théâtre : avant même d’avoir donné la parole au motionnaire, voilà Charles Mwando qui invite le député Valentin Senga à la tribune. Motion ou simple intervention ? Il ne le précise pas. L’arbitraire est à son comble. En 1998, M. Valentin Senga est un inconnu administrateur du territoire d’Ubundu en province Orientale, qui rejoint le MLC pendant la deuxième guerre. Pendant le 1+4, le parti de Jean-Pierre Bemba le fait passer de l’ombre à la lumière, en le portant au gouvernement, d’abord comme vice-ministre de l’Intérieur, ensuite comme ministre de l’Agriculture. Il ne brille guère, et est viré au détour d’un remaniement. Il passe alors au PPRD. S’il prend la parole ce jour, c’est pour défendre le ministre de l’Industrie dans l’affaire de la cimenterie de la province Orientale, alors qu’il avait signé lui-même la motion contre lui ! Enfin, il se proclame le représentant des 18 députés qui retirent leurs signatures de la motion. Mwando ne fait procéder à aucune vérification pour connaître qui sont les députés que Senga affirme représenter et confirmer par ses dires sans les concernés eux-mêmes. Bien plus, le retrait des signatures d’une motion avait été acté et proscrit aussi bien par la conférence des présidents que lors de la plénière à huis clos du samedi 1er novembre 14.
Ambiance de chaos
Sauf que, dès qu’il quitte la tribune, Valentin Senga est attendu par une cohorte des députés de province Orientale en furie, qui l’accusent de trahison, le traitent de corrompu, et se ruent sur lui avec vigueur : uppercuts et directs s’abattent sur l’infortuné pendant que nombreux autres députés se précipitent pour le tirer des griffes de ses corrégionnaires. Mwando appelle la police qui se fait désirer, c’est l’ambiance de chaos dans l’hémicycle. Aux dernières nouvelles, Valentin Senga serait blessé. Le président des céans explique quand-même que la motion Awenze n’est plus valide, provoquant la sortie de la salle de nombreux députés de la Province Orientale, furieux.
De son côté, l’opposition ne tient pas à s’en arrêter là. Elle compte initier une pétition contre le président de l’Assemblée nationale, et saisir la justice contre le ministre délégué aux Finances pour faux en écritures et faux et usages de faux.
samuel mbuta