Tribune - Affaire Mwangachuchu : énorme responsabilité des juges devant la nation (Paul Kasereka)

Jeudi 9 mars 2023 - 18:32
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Affaire Mwangachuchu : énorme responsabilité des juges devant la nation

Le caucus des députés nationaux du Nord-Kivu prend ses distances

La Haute cour militaire se prononce ce mardi 14 mars dans un arrêt avant dire droit dans ce qu’il convient d’appeler «Affaire Mwangachuchu» pour départager le ministère public qui poursuit en flagrance ce député national élu du Masisi pour, entre autres, haute trahison, atteinte à la sécurité de l’Etat et détention illégale d’armes et munitions de guerre et la partie défenderesse qui crie à l’irrégularité de la procédure et à l’inexistence de la flagrance. Face à la nation, les juges sont donc devant une énorme responsabilité afin de faire éclater la vérité sur plusieurs dénonciations faites, même du haut de la tribune de l’Assemblée nationale, sur la contribution réelle ou supposée du prévenu dans l’insécurité qui bat son plein depuis des lustres dans le Masisi, plus précisément à Rubaya, où une milice opère en toute impunité à partir de sa concession minière, infligeant ainsi des exactions aux populations locales sur fond des graves abus des droits humains. Trois corps de ses victimes sont gardés à la morgue de l’Hôpital général de référence de Goma depuis juin 2019. Réuni il y a peu à Kinshasa à l’effet de trouver quelques issues pour venir à la rescousse de leur collègue, le caucus des députés du Nord-Kivu a préféré prendre ses distances et se remettre à la justice dans cette délicate affaire. 

Arrêté à Kinshasa dans la nuit du 1er mars dernier, le député national élu du Masisi Edouard Mwangachuchu Hizi sera à sa troisième audience ce mardi 14 mars à la Haute cour militaire. Consécutivement à la situation sécuritaire très volatile qui prévaut dans le Masisi, plus précisément à Rubaya, suite au vent que fait souffler la coalition RDF/M23 sur cette zone, ilest poursuivi, au regard de la découverte de caches d’armes dans le PE 4731 de sa société à Rubaya et des effets militaires lors de la perquisition de sa résidence à Kinshasa, pour haute trahison, association de malfaiteurs, atteinte à la sécurité de l’Etat,  détention illégale d’armes et munitions de guerre, participation à un mouvement insurrectionnel et incitation des militaires à commettre des actes contraires au devoir et à la discipline. Lesquels chefs d’accusation sont rejetés par ses avocats qui ont stigmatisé à l’audience du 07 mars l’irrégularité de la procédure de flagrance et l’incompétence de la Haute cour militaire pour juger leur client ; son juge naturel étant la Cour de cassation à laquelle la Constitution confère le droit de juger les députés nationaux. En plus, estimant que leurs moyens seront rencontrés par les juges, ils sollicitent une mise en liberté provisoire pour raison de santé afin que le prévenu bénéficie des soins appropriés. Cette perception des choses est aux antipodes du ministère public qui soutient que la démarche est régulière et conforme aux articles 2, 5 et 7 du Code de procédure pénale et à la Constitution. De la sorte, la Haute cour militaire est appelée à se déclarer compétente pour juger le député national Edouard Mwangachuchu Hizi déféré par devant elle.

L’affaire a été prise en délibéré et la Cour se prononce dans un arrêt avant dire droit à la date sus indiquée pour départager les parties. C’est ici qu’il est fait appel aux juges qui, face à la nation, sont devant leur énorme responsabilité. C’est maintenant ou jamais, disent les populations brimées de Masisi, que l’énigme sécuritaire de Rubaya doit être tirée au clair. La vérité doit manifestement éclatée pour que le rôleeffectivement joué par le prévenu, au travers de sa milice impitoyable implantée dans sa concession minière, soit élucidé dans leurs récurrents cauchemars. 

La découverte de caches d’armes dans le PE 4731 vient ainsi corroborer les nombreuses dénonciations des populations soupçonnant ce lieu d’être la tanière ou la position avancée des anciens rebelles du RCD et du CNDP, ainsi que d’autres recrues venant d’ailleurs. Le relèvement du colonel Van Ngoy Kasongo, autrefois commandant second de la Police provinciale du Nord-Kivu, de ses fonctions est indicatif de la couverture dont certains éléments étrangers à la police aurait bénéficiée. Puisse Dieu faire que le capitaine Robert Mushamaliro, commandant de longues dates du détachement de la PMH (Police Mines et Hydrocarbures) affecté au PE 4731 de SMB, ouvre sa bouche. 

L’arrêt avant dire droit tant attendu va présager de l’issue du procès. A Masisi, l’on pense que cette fois-ci serait la bonne parce que le patron de la SMB (Société Minière de Bisunzu) s’est toujours soustrait des procédures judiciaires par le biais de mises en liberté provisoire. Il y a eu même des condamnations à son endroit qui n’ont jamais été exécutées à Goma comme à Kinshasa. D’autres actions sont en suspens devant l’auditorat militaire à Kinshasa. Ses victimes sont en train de s’activer pour inonder la Cour avec des plaintes supplémentaires. Cependant, certaines voix viennent même de l’étranger pour mettre en mouvement des ONG des Droits de l’Homme, aussi bien en RDC qu’en Occident, pour faire pression sur les autorités congolaises et la justice pour ne pas laisser le député sombrer. Les chefs d’accusation sont tellement sévères qu’il peut s’en tirer avec «20 ans de réclusion criminelle» comme la moindre peine. Point n’est besoin de rappeler que les corps des trois victimes de sa garde industrielle sont gardés à la morgue de l’Hôpital général de référence de Goma depuis juin 2019.

Cette affaire est tellement délicate que le caucus des députés du Nord-Kivu a résolu de prendre carrément ses distances. Réunis à Kinshasa à l’effet de trouver quelques issues pour tendre la perche à leur collègue, ses membres n’ont pu dégager un quelconque consensus sur la démarche à faire. Ils se sont tournés finalement vers la justice qui doit faire son travail en âme et conscience. A l’occasion, certains ont même rappelé la profession de foi de Christophe Mboso Puanga,président de l’Assemblée nationale : «Chers collègues, quittez les groupes armés».

                                                                                                                              Paul Kasereka Paluku