Le ministre congolais des droits humains, André Lité Asebea, et deux figures associatives plaident pour que le châtiment suprême soit formellement retiré de la législation de la République démocratique du Congo.
Tribune - La peine de mort viole les droits les plus fondamentaux de l’être humain : le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Constitution congolaise en vigueur sacralise ce droit dans son article 16 ainsi que dans l’article 61 qui prohibe toute dérogation à ce droit, même en cas d’état de siège ou d’urgence. Malgré ces articles et un moratoire de fait que connaît la République démocratique du Congo (RDC) depuis 2003, la peine de mort est toujours présente dans la législation nationale. Les tribunaux congolais continuent de prononcer régulièrement des condamnations à mort. Entre 2016 et 2018, au moins 155 personnes ont été condamnées à cette peine, amenant à plus de 500 le nombre de condamnés à mort, incarcérés dans des conditions qui ne répondent pas aux standards internationaux, même si le gouvernement s’efforce de les améliorer.
Les condamnations à mort sont principalement prononcées pour association de malfaiteurs, meurtre ou assassinat, vol à main armée ou encore participation à un mouvement insurrectionnel. Pour les autorités congolaises, le maintien de cette peine se justifie jusqu’à présent par le très haut niveau d’insécurité dans l’est du pays. En effet, les divers massacres que d’aucuns qualifient de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, y sont fréquents. C’est à ce titre, et à des supposées fins dissuasives, que les tribunaux militaires condamnent à mort, entre autres, les membres des milices.
Il sied néanmoins de considérer le fait que le droit international n’est pas favorable à la peine de mort, quelles que soient les circonstances. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998, que la RDC a ratifié, prévoit, dans son article 77, la servitude pénale de trente ans au plus ou à perpétuité pour les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
Conditions de détention
Sur cette voie, la RDC a cependant enregistré des évolutions notables ces dernières années, sans que la peine de mort ne soit encore formellement retirée de sa législation. L’espoir est né lorsque, à partir de 2003, sur décision du gouvernement de l’époque sous l’autorité du président Joseph Kabila, les exécutions des condamnés à mort n’allaient plus avoir lieu. Au regard du contexte post-conflit du pays, cette décision valait bien une palme.
Le président Félix Tshisekedi et son gouvernement appuient actuellement sur le levier du renforcement de l’Etat de droit qui constitue une opportunité pour aller plus loin encore. Nous pensons que le temps est venu de plaider contre la peine de mort pour tous les crimes et en toutes circonstances, en vue de son abolition totale en RDC.
Le rapport le plus récent et documenté sur le sujet, intitulé « Vers une mort en silence » et publié par les associations Ensemble contre la peine de mort (ECPM) et Culture pour la paix et la justice (CPJ) en décembre 2019, recense au moins 510 condamnés à mort, et ce dans seulement dix des quatre-vingts prisons que compte le pays.
Ce nombre très important de condamnés à la peine capitale auquel il faut ajouter la surpopulation carcérale, la malnutrition, le manque d’hygiène, etc. constituent des défis que la RDC doit relever en ce qui concerne les conditions de détention. La RDC a encore des efforts à fournir pour être en phase avec les règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus, également appelées « règles Nelson Mandela ». Les Nations unies ont fait état de 201 personnes décédées en détention en 2017 et 223 en 2018. A titre indicatif, entre le 1er et le 13 janvier 2020, soit en l’espace de treize jours, une soixantaine des détenus sont morts dans les prisons de Makala, à Kinshasa, de Bunia, de Goma et de Bukavu. Le gouvernement ne peut être indifférent au fait qu’il y ait des morts en prison sans avoir été exécutés.
Protection du droit à la vie
L’abolition de la peine de mort est en progression constante depuis de nombreuses années, si bien qu’à ce jour une très grande majorité de pays ont aboli la peine capitale en droit (114 pays) ou en pratique (34), ce qui représente les trois quarts des pays dans le monde. Avec 22 Etats ayant aboli la peine de mort, l’Afrique connaît une évolution sans précédent depuis 2009 et se présente comme le prochain continent abolitionniste. En outre, 90 % des 29 membres africains de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et 83 % des Etats africains membres du Commonwealth sont en situation de moratoire ou sont abolitionnistes. En Afrique centrale, 7 Etats sont abolitionnistes, 5 en moratoire de fait (dont la RDC) et 1 seul reste toujours rétentionniste. Une minorité de pays africains, principalement en Afrique de l’Est, maintiennent encore la peine capitale et l’appliquent. Les efforts entrepris par la RDC pour renforcer l’Etat de droit devront aussi accorder à l’abolition de la peine de mort la place qu’il lui faut en vertu de la protection du droit à la vie.
Forts de ce qu’avait annoncé le vice-ministre de la justice lors de la Journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre 2019, nous en appelons à commuer les peines de tous les condamnés à mort, sans exception, en peines d’emprisonnement.
Nous encourageons en outre le gouvernement à voter en faveur de la résolution des Nations unies relative à l’instauration d’un moratoire universel sur l’application de la peine de mort en décembre 2020 afin d’officialiser le moratoire en place. Pour mémoire, depuis 2007, la RDC s’est soit abstenue, soit s’est absentée du vote.
Nous encourageons également le gouvernement à ratifier le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, afin d’affirmer devant la scène internationale la volonté de la RDC de ne pas faire marche arrière.
L’abolition est à portée de main, saisissons-la.
André Lité Asebea est ministre des droits humains de la République démocratique du Congo (RDC).
Maître Liévin Ngondji est avocat, président de l’association Culture pour la paix et la justice.
Raphaël Chenuil-Hazan est directeur général d’Ensemble contre la peine de mort (ECPM).