(Lesoir.be) Une délégation d’eurodéputés est en mission au Congo. L’objectif : sortir l’exploitation des minerais du circuit criminel et guerrier.
Vendredi dernier, dans son petit bureau de l’hôpital général de Panzi où ses assistants avaient rajouté des chaises, Denis Mukwege, lauréat du prix Sakharov décerné par le Parlement européen, et personnage central du film que viennent de lui consacrer le cinéaste Thierry Michel et notre collègue Colette Braeckman, lisait à haute voix une lettre qu’il venait d’envoyer à Bruxelles au sujet du projet de règlement sur les « minerais des conflits ». Autour de lui : une délégation de quatre eurodéputées du groupe des Socialistes et Démocrates (S&D), emmenée par leur président Gianni Pittella.
Le lien entre les viols et les minerais
« J’ai envoyé cela hier à Martin Schulz, en toute humilité, explique le docteur. Après 20 ans de prédation au Congo, l’Union européenne peut vraiment faire la différence. Les zones de conflit correspondent exactement aux zones de minerais », ajoute Monsieur Mukwege. « Une pratique typiquement mafieuse, au sens où elle combine prédation, protection, et terreur », nous avait expliqué la veille, rencontré par hasard sur un vol de la Monusco vers Goma (Nord-Kivu), Martin Kobler, le représentant spécial de Ban Ki-moon en République démocratique du Congo (RDC). « C’est un argument en faveur de crédits et d’aides au développement de l’UE, avait plaidé Justin Paluku, le gouverneur du Nord-Kivu, face à la délégation parlementaire, dont la présidente de la commission du Développement Linda McAvan. Car les groupes armés se développent et sont forts dans les régions inaccessibles : construire des routes fait partie de la solution. »
A l’issue de la visite de l’hôpital et de la Fondation Panzi, qui abrite l’ensemble pluridisciplinaire impressionnant de programmes destinés à venir en aide aux femmes, Marie Arena, ex-ministre et sénatrice belge, aujourd’hui eurodéputée, coordinatrice pour le groupe S&D de la question des femmes, mais aussi du projet législatif sur les minerais, fait une confidence au Docteur Mukwege : lorsqu’à l’automne passé Elena Valenciano, présidente de la sous-commission des Droits de l’homme, a annoncé au groupe S&D qu’elle présentait un « formidable candidat » au prix Sakharov, Arena a stupéfié l’assistance avec un « Je suis contre ! » A côté du docteur, la socialiste espagnole opine du bonnet en riant, tandis qu’Arena explique : « J’ai dit au groupe que le prix serait juste un cache-sexe, une façon de nous donner bonne conscience, si nous ne nous engagions pas concrètement en faveur d’une législation solide et efficace sur la traçabilité des minerais. » C’est ainsi que le Docteur Mukwege a obtenu le prix Sakharov, et que le groupe S&D a décidé d’engager tout son poids en faveur d’une législation européenne contraignante sur la traçabilité des minerais…
La traçabilité consiste à pouvoir identifier et documenter jusqu’à la source l’origine d’un produit. Et c’est aussi à la source que la délégation socialiste européenne a voulu aller confronter ses idées législatives. Pour le coup, la source est une mine de cassitérite : Kalimbi, sur le territoire de l’entité de Nyabibwe, un gros village perché sur une colline à l’ouest du lac Kivu. La mine n’est autre qu’un gruyère de petites galeries horizontalement creusées dans la colline. Kalimbi est, depuis octobre 2012, ce qu’on appelle une mine artisanale « verte » : certifiée par les autorités, par opposition aux mines « rouges », les illégales. La certification des mines a commencé après le coup de tonnerre de la promulgation en 2010 aux Etats-Unis de la loi Dodd-Frank. Destinée principalement à corriger les dérives qui avaient mené les marchés à la crise financière de 2008, cette législation avait été complétée par un volet sur les minerais des conflits, après une visite qu’avait effectuée à l’hôpital de Panzi… la secrétaire d’Etat Hillary Clinton.
Mais le dispositif Dodd-Frank, inspiré d’un cadre de bonnes pratiques élaboré peu avant par l’OCDE, a eu un effet radical et pervers : il a entraîné un embargo américain de fait sur le secteur minier du Congo, l’illégal et criminel, mais aussi le modeste secteur artisanal balbutiant. La RDC s’est lancée dès lors dans un processus de certification de mines artisanales. Mais aussi de concessions de mines industrielles à de grandes entreprises. (1). La certification assure notamment, c’est le premier souci, que les « creuseurs » travaillent hors de toute contrainte. Et ces mines doivent se situer dans des zones qui ne sont pas sous le contrôle de groupes armés. Mais il n’y a à ce jour, au Kivu, que 19 mines certifiées, sur un nombre total évalué à 900…
A Kalimbi, pour l’occasion pas banale d’une visite parlementaire européenne, les autorités provinciales (le vice-gouverneur, le ministre local des mines et son directeur de département) sont du déplacement. Au milieu d’une marée de creuseurs et de badauds, les huiles descendent au fond du sillon encaissé, où coule le ruisseau dans lequel les mineurs rincent leurs petites pierres de cassitérite. Puis, pas peu fiers de le montrer, les responsables provinciaux emmènent les invités de marque dans la petite tente sous laquelle de jeunes agents de la Sesscam, l’organe public de contrôle, scellent et numérotent les sacs contenant les précieuses récoltes.
Financer le développement
Pendant ces démonstrations officielles, on cause tranquillement avec les différents acteurs de cette petite économie locale. Jonathan, creuseur et secrétaire de l’une des deux coopératives locales explique l’articulation des chaînons successifs de l’activité. Un négociant intervient dans l’explication, prétend que le prix n’est pas celui-là, la conversation s’anime un peu. Le creuseur et son client finissent par s’accorder sur un point : ils sont tous deux lésés par un marché encore branlant et les nouvelles taxes. Un responsable de la société civile spécialisée dans les questions minières nous expliquera que depuis la certification, différents niveaux de l’Etat ont désormais accès au ponctionnement sur ces revenus.
Jonathan, lui, perçoit parfaitement que les taxes sont une chose normale. « Mais la taxe payée à l’économat provincial devrait revenir au développement local », ce qui est prévu dans les plans officiels sous le titre de « basket fund », nous précise-t-il. « Par ailleurs, cela fait trois ans qu’on nous promet un centre de négoce sur le site. » En attendant, les négociants achètent toujours la production des creuseurs à la volée, sans qu’un véritable marché puisse s’établir. Marie Arena, qui bombardait de questions les protagonistes qui l’entourent, conclut : « Donc, il faut que vous, la coopérative, soyez représentés dans les lieux qui décident de ces choses-là. »
Au retour à Bukavu, on rencontre différents acteurs de la société civile engagés dans les questions minières, et on reparle beaucoup du projet de règlement européen. Marie Arena réexplique, comme elle l’a fait quelques heures plus tôt dans d’autres termes auprès des mineurs, pourquoi les socialistes militent pour un texte qui obligerait les entreprises actives en Europe à procéder à l’exercice de vérification de toute leur chaîne d’approvisionnement. « Nous y sommes favorables, explique Patient Matabishi, président de la Coordination de la Société civile du Sud-Kivu.Mais il faut des mesures d’accompagnement, qui tiennent compte de ce qui se fait au niveau local : renforcer les capacités de l’administration, soutenir les coopératives, veiller aux conditions de travail. » « On aimerait aussi que l’UE puisse intervenir dans la législation minière congolaise », ajoute une autre activiste. Un ange passe, et Marie Arena met les points sur les i : « Nous ne pouvons pas adopter une législation européenne qui constituerait une ingérence dans la législation congolaise. » C’est une petite musique que l’on entend souvent auprès des opposants ou activistes civiques congolais, mécontents d’un pouvoir jugé corrompu et peu soucieux du bien de la société. Mais à laquelle invariablement, les visiteurs étrangers répondent qu’ils peuvent les aider. Mais pas se substituer au peuple congolais…