" DES FILLES MÈRES ", UN PHÉNOMÈNE QUI PREND DE L’AMPLEUR À LA TSHANGU

Jeudi 16 juin 2016 - 06:44

Il est actuellement difficile de parcourir quelques centaines de mètres dans le district de la Tshangu sans rencontrer ne serait-ce qu’une fille mère. Sinon, des mineures en pleine grossesse. Le phénomène tend même à devenir banale parce que quasiment normale dans certains coins de ce district populeux de Kinshasa. Les parents consentent, en effet, de plus en plus librement de donner en mariage leurs filles mineures.

Elle est devenu presque révolue à Tshangu, l’époque où engrosser une fille légalement mineure équivalait à s’exposer à d’énormes ennuis judiciaires. Nombreuses, sont aujourd’hui les familles qui acceptent de procéder, par des arrangements à l’amiable avec le bonhomme qui a engrossé leur fille, en lieu et place de porter l’affaire au niveau de la justice.
La présence des filles mères est beaucoup plus prononcée dans les communes de Kimbanseke, N’sele et Maluku. Par contre, à Masina et N’Djili, la situation est un peu mitigée. On ne retrouve, dans ces deux dernières communes, la prépondérance des cas de filles mères que dans les coins les plus reculés.

DES HOMMES QUI ABUSENT DE MINEURES
Pire encore, les hommes qui engrossent les filles de 14 et 15 ans sont souvent prêts à les abandonner au terme de deux, trois ans, au profit d’autres filles mineures. Et c’est souvent le cas, après lui avoir donné au moins deux enfants.
Dans ce cas de figure, la responsabilité revient sur les épaules des parents." J’ai vu, dans une maison, trois filles qui, après avoir été engrossées par de jeunes gens, sont revenues sous le toit paternel avec leurs progénitures. Leur papa étant déjà en retraite, c’est moi, avec mon petit commerce de maïs, qui dois encore les nourrir tous ", explique une femme rencontrée à Mokali, la soixantaine révolue.
Ces hommes, qui renient les liens conjugaux, ne tardent pas à engrosser les autres filles. Autant pour les filles mères qu’ils ont abandonnées. Une fois que les enfants grandissent un peu, elles se font facilement rafler par les autres hommes, parfois pour se faire de nouveau engrosser. Dans tout cela, ce sont encore, une fois de plus, les parents qui en pâtissent.
"Nous préférons aujourd’hui contracter une relation amoureuse avec des filles mineures, car les adultes nous causent pas mal de soucis. Elles peuvent sortir en même temps avec plusieurs hommes. En plus de cela, elles estiment que c’est l’argent qui doit déterminer l’amour. Ce qui n’est pas le cas avec les filles mineures ", indique Junior, K., habitant de la commune de Maluku.

LES JEUNES OPTENT POUR LE RACCOURCI
Interrogés, les jeunes hommes se disent ne pas être en mesure de couvrir tous les frais que charrient les mariages coutumier et civil, avec la précarité ambiante. D’où, expliquent-ils, la nécessité de commencer par engrosser la fille, sachant que les autres formalités interviendront à posteriori.
" Aujourd’hui, le mariage coûte trop cher. La dot est fixée au moins à 1000 dollars américains. Or, une très grande proportion de jeunes croupit dans le chômage. C’est ainsi que nous optons pour le chemin le plus court qui consiste à engrosser d’abord la fille, le reste on verra dès qu’on aura un peu de moyens ", explique Doudou, la trentaine révolue, rencontré au quartier 13 à N’Djili.

LES ONG POINTENT DU DOIGT LA PAUVRETE
Les ONG et associations d’encadrement des jeunes filles attribuent ce phénomène à la pauvreté et à l’ignorance des textes de loi. Une autre causalité avancée est l’enclavement et le sous-développement de ces milieux défavorisés.
« La plupart des quartiers de la Tshangu, où on retrouve un taux élevé des filles mères, sont des coins très enclavés, sans eau, sans électricité et où le taux des filles qui fréquentent les écoles est très alarmant », explique Wally Buku, coordonnateur de l’ONG Kimbanseke- développement (KIMDEV),
" L’ignorance des textes de loi donne l’illusion à certains parents qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent de leurs filles.Entre le peu d’argent qu’offre l’homme qui a engrossé sa fille, dans ce contexte de misère sociale, et la fastidieuse procédure judiciaire quant à ce, ils n’ont de choix que de procéder par les arrangements et empocher cette somme d’argent", poursuit le coordonnateur Wally. Orly-Darel NGIAMBUKULU