Procès Bukanga-Lonzo : « La Cour constitutionnelle est en train de siéger pour qu’en fin de compte, elle rende un arrêt de nul effet » (Me Nyabirungu)

Lundi 21 avril 2025 - 19:20
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L'avocat de l'ancien Premier ministre et actuel député national Augustin Matata Ponyo, Me Raphaël Nyabirungu Mwene Songa, a, lors d'une conférence de presse ce lundi 21 avril 2025 à Kinshasa, fait le point sur les irrégularités de procédure entourant le procès relatif au présumé détournement de fonds destinés au parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo.

Dès l'entame de son intervention, Me Nyabirungu a exposé longuement les neuf moyens de droit soulevés par la défense de Matata Ponyo lors de la dernière audience. Ces moyens s'articulaient autour de cinq exceptions d'incompétence et quatre exceptions d'irrecevabilité. Selon l'avocat, ces exceptions mettent en lumière des violations flagrantes de la Constitution et de la loi.

S'exprimant notamment sur le revirement de la Cour constitutionnelle par rapport à son propre arrêt R.P 0001 du 15 novembre 2021, à travers lequel elle s'était déclarée incompétente à statuer sur cette affaire, ainsi que sur la violation de l'article 168 de la Constitution, Me Nyabirungu a estimé que tous ces manquements à la Constitution et à la loi ne peuvent conduire qu'à un arrêt nul et de nul effet.

« La Cour aujourd’hui est en train de siéger pour qu’en fin de compte, elle rende un arrêt nul et de nul effet », a-t-il déploré, tout en rappelant que cette affaire devait s'arrêter du fait que la composition des juges de la Cour constitutionnelle est irrégulière.

« La Cour constitutionnelle n’est pas législateur »

Il a également regretté ce qu'il considère comme des manœuvres de la Cour constitutionnelle pour s'attribuer une compétence qui lui a échappé, en violation de l'article 162 de la Constitution.

« Qu’est-ce qui fait que l’affaire soit rentrée devant la Cour constitutionnelle ? Il n’est pas très digne de constater que la Cour constitutionnelle puisse recourir à des subterfuges pour rattraper une compétence qui lui a échappé. Dans son arrêt CONS.1816 du 18 novembre 2022, la Cour, saisie par personne (aucun prévenu ne l’avait saisie) mais prétextant d’une requête de la Cour de cassation qui lui demandait un avis d’interprétation, en a profité pour rendre un arrêt en matière de contrôle de constitutionnalité qui n’a aucun rapport avec RP (matière pénale). Ici, la Cour rend un R.CONST prétextant d’un contrôle de constitutionnalité pour dire qu’il faut donner un juge à Matata et que chaque citoyen a droit à un juge et comme jusque-là Matata n’en a pas, la Cour décide de lui en donner un. C’est qui ce juge ? La Cour constitutionnelle elle-même. Or, quelle que soit l’intelligence de la Cour, quelles que soient les manœuvres élaborées, elle ne peut pas contrôler les termes de la Constitution qui disent que chaque citoyen a un juge que la loi lui désigne, conformément à l’article 19 de la Constitution », a-t-il affirmé.

Me Nyabirungu a insisté sur le fait que la Cour constitutionnelle ne peut s'ériger en législateur et créer des règles de procédure.

« À ce niveau, notre rôle en tant qu’avocat est de dire à la Cour qu’elle n’est pas législateur. La Cour a beaucoup de pouvoir, nous sommes d’accord, mais elle n’en a pas celui de créer la loi », a-t-il indiqué.

Par ailleurs, il a martelé sur le principe fondamental de la stricte application de la loi pénale, en se référant à l'article 1er bis du Code pénal. Il a fustigé la motivation des juges de la Cour constitutionnelle de recourir à l'arbitraire.

« Il n’y a pas un procès pénal digne de ce nom s’il est fondé sur l’arbitraire du juge. Le juge est applicateur de la loi, il n’en est pas créateur. C’est aussi cela le sens de la séparation des pouvoirs. On ne peut pas permettre au procureur général de se lever un matin et de dire : Voilà, je vais en justice, même si par ailleurs la justice s’est déjà prononcée. Le procureur ne peut pas se lever en disant : Je recommence la procédure parce que la première fois, le juge ne m’a pas cru. On ne reprend pas la même affaire deux fois », a-t-il insisté.

Abordant les exceptions d'irrecevabilité soulevées par la défense, Me Nyabirungu a notamment souligné l'absence de procès-verbal d'un vote du congrès autorisant les poursuites contre un ancien Premier ministre, foulant ainsi au pied l'article 166 de la Constitution, puisque la Cour constitutionnelle a décidé de juger son client.

« La Cour constitutionnelle a tranché parce qu'elle s'occupe de cette affaire. Dans ce cas, puisque le juge constitutionnel décide d'être le juge pénal de Matata, ancien Premier ministre qui n'est plus en fonction, en voulant le juger comme s'il était en fonction, la Cour doit en tirer toutes les conséquences. C'est-à-dire non seulement reconnaître sa compétence vis-à-vis d'un Premier ministre, mais aussi reconnaître la procédure qui préside à cette mise en accusation. C'est-à-dire que la Cour ayant décidé de juger un Premier ministre, elle doit recourir à l'article 166 de la Constitution qui exige que les poursuites et la mise en accusation soient décidées par un vote du Congrès. Nous sommes unanimes pour constater que ce vote n'a jamais eu lieu. Néanmoins, la Cour veut le juger et est même en train de le juger. Soit alors la Cour revienne à la raison et décide qu'en tant que député national, le renvoi doit se faire devant son juge naturel : la Cour de cassation. Dans ce cas, il faut demander à la chambre à laquelle il appartient de lever les immunités. Cette formalité n'a jamais été remplie », a-t-il indiqué.

Un procès pénal aux antipodes de la Constitution et des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme

Me Nyabirungu a exprimé sa déception face à la décision de la Cour constitutionnelle de joindre ces exceptions soulevées par la défense au fond du dossier. Il y voit un rejet du débat public et contradictoire sur des questions fondamentales de procédure. Il a qualifié cette démarche « d'anachronique et incompatible avec la nature d’un procès pénal équitable » tel que garanti par la Constitution, les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et les lois de la République.

« Tel que ce dossier se déroule, cela ne peut donner satisfaction à personne éprise de justice. Tous les principes directeurs du procès pénal sont ignorés, méprisés et rejetés... Dire qu’on va joindre ces exceptions au fond sur base de l’article 26 du code de procédure civile, c’est ce que j’appelle une démarche anachronique et incompatible avec la nature d’un procès pénal équitable tel qu’il résulte des dispositions de la Constitution, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et de nos différentes lois », a-t-il fait savoir.

La prochaine audience dans le cadre de ce procès est prévue ce mercredi. Il sied de noter par ailleurs que lors de la plénière qui s'est tenue jeudi dernier, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a appelé le procureur général près la Cour constitutionnelle à régulariser la procédure, en demandant en bonne et due forme la levée des immunités du député Matata Ponyo.

Merveil Molo