RDC : Un an après l'entrée en vigueur de l'état de siège, les espoirs s'amenuisent ! (Récit)

Vendredi 6 mai 2022 - 07:04
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Photo 7SUR7.CD

Il y a exactement un an, l'état de siège instauré dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri par le président Tshisekedi entrait en vigueur. Par sa décision, Kinshasa espérait imposer la paix dans cette contrée en proie aux interminables conflits armés entretenus principalement par les rebelles d'Allied Democratic Forces (ADF), aux côtés de plusieurs autres milices locales. De ces jours, une année après, le tableau sécuritaire y demeure sombre, tant des civils continuent d'être tués à coups d'armes blanches ou encore des fusils.

Alors que le gouvernement de la République note régulièrement des avancées à l'issue de différentes missions officielles effectuées sur place, dans l'opinion, c'est un vrai déni. Les forces vives, des acteurs sociaux et politiques refusent d'acquiescer la thèse de Kinshasa qui dit tout le contraire de la réalité du terrain selon eux.

Le ras-le-bol

Le 3 mai 2021, les populations du Nord-Kivu et de l'Ituri apprennent avec beaucoup d'enthousiasme la décision du pouvoir central qui entre en vigueur le 06 mai. Elles sont persuadées que la mesure prise leur permettra finalement de "fumer le calumet de la paix" après plus de 2 décennies de guerre.

Malheureusement, très vite, l'espoir de ces citoyens s'évapore sur fond d'une série d'attaques meurtrières : « des tueries s'accroissent, des incursions s'enchaînent, des incendies des véhicules ou encore des maisons foisonnent ».

Désespérés et sans défense, les habitants des régions en proie aux massacres dénoncent les limites de l'état de siège et exigent de Kinshasa une autre voie de sortie.

Dans un monitoring réalisé en mi-mars dernier, Jean-Baptiste Kasekwa, député national élu de Goma (Nord-Kivu), a dressé un bilan comparatif de la période d'avant et de celle de l'état de siège. L'élu du parti ECIDÉ de Martin Fayulu parlera de 1.070 civils tués en 2019, 1.569 autres en 2020 alors qu'au moins 2.321 ont été abattus entre 2021 et mars 2022, période concernée par cette mesure.

Le Baromètre Sécuritaire du Kivu lui, établit un chiffre de 2.500 personnes mortes au cours de cette période alors qu'avant, entre avril 2020 et mai 2021, révèle-t-il, seuls 1.374 civils ont trouvé la mort. Au regard de ce tableau, il ressort que l'état sécuritaire est plutôt allé de mal en pis.

Ces chiffres, associés à d'énormes dégâts matériels ainsi qu'à l'afflux des déplacés vers les zones urbaines, suscitèrent tout à coup une sorte de révolte populaire : des manifestations des groupes de pression et des mouvements citoyens par ici, des cris plaintifs par là ou encore des plaidoyers divers par ailleurs. Des habitants regrettent de constater qu'en dépit de la restriction de leurs droits civiques, l'état de siège ne parvient pas à leur apporter la paix.

« L'état de siège n'a absolument rien fait. Le seul point positif, c'est d'avoir réussi à imposer le salongo [à Butembo] et à mobiliser les recettes. Mais, pour ce qui est de la sécurité, sa mission principale, il n'y a rien à dire. Rien. Il est en dessous de zéro », estime à 7SUR7.CD, maître Billy Saghasa.

Et pour le CT Isaac Kivikyavo, le fait pour les autorités congolaises d'avoir accepté de coopérer avec l'Ouganda pour sécuriser l'Est est la preuve que l'état de siège a échoué.

« Si l'état de siège était en train de produire les résultats voulus, pourquoi le gouvernement a encore invité l'UPDF ? Le fait qu'on les a invités montre que même Félix Tshisekedi est conscient que sa décision n'a pas donné ce qu'il voulait. Les autorités ont peur de lever ça, parce qu'elles auront montré clairement qu'elles ont échoué », dit-il.

Un autre désintéressement vient des députés provinciaux du Nord-Kivu mis en congé après l'avènement de l'état de siège.

« Nos yeux ont vu moins que ce qu'ils croyaient voir par rapport aux attentes suscitées. L'état de siège est plus politico-médiatique qu'operationnel. Tout porte à croire qu'il y a un complot contre le Nord-Kivu : freiner le développement de la province, l'isoler des élections et faciliter le vieux projet de la balkanisation et museler la classe politique », avaient-ils écrit à Tshisekedi dans un mémorandum publié le 14 février 2022.

Au niveau de la justice, l'inquiétude était très grande. Face à l'absence des mesures d'accompagnement et le transfert du pouvoir entre les mains des militaires, les tribunaux et les justiciables étaient confrontés à d'énormes défis : des problèmes purement civils traités devant des tribunaux militaires, la surpopulation carcérale et le retard dans le traitement des dossiers à cause du nombre insuffisant des magistrats, etc. Il a fallu attendre le 28 mars 2022 pour que les juridictions civiles reprennent les affaires [...]. Pour les actions de développement, certains projets en cours ont dû être stoppés, ralentis ou encore reportés sine die.

À qui la faute ?

L'état de siège était et reste considéré par les autorités congolaises comme la dernière cartouche contre l'insécurité. Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement, l'avait d'ailleurs vite qualifié de "thérapie de choc". Mais, au Nord-Kivu et en Ituri, des habitants accusent le chef de l'État de l'avoir instauré dans la précipitation sans penser aux mesures d'accompagnement.

Bien plus, quelques-uns estiment que l'attitude de Kinshasa ne reflète pas le sentiment des dirigeants qui sont en guerre. Ils dénoncent les conditions non enviables dans lesquelles sont maintenues les troupes engagées sur la ligne de front ; ils constatent l'absence d'un arsenal militaire plus offensif que  celui d'avant l'instauration de la mesure, etc. Pour ces Congolais, l'état de siège a paru seulement comme étant un remplacement des autorités civiles par des militaires mais qu'aucun iota n'a été touché sur le plan opérationnel.

« Félix Tshisekedi avait pris cette mesure dans la précipitation. Rien n'avait été préparé », estime Strong Kagheni du PPRD, avant que Jimmy Nziali du mouvement génération positive ne renchérisse : « le gouvernement n'a jamais pris le temps de reformer ses services et de les mettre dans des conditions qu'il faut. Or, ça devrait être parmi les priorités de l'État ».

Localement, les dirigeants nommés par Kinshasa sont eux aussi accusés d'avoir déjà déserté leur objectif. Au lieu de s'attaquer au vrai problème, ils sont plus penché vers l'aspect économique. Aussi, certains militaires sont en même temps soupçonnés d'œuvrer à la solde de l'ennemi et de freiner l'élan des opérations en cours.

Par ailleurs, dans la capitale, d'aucuns suspectent les populations des régions insécurisées de profiter de la situation : « Quittez les groupes armés », lançait déjà Christophe Mboso aux députés nationaux de l'est alors qu'au Nord-Kivu, le gouverneur militaire promettait de « sortir de leurs carapaces » les députés provinciaux impliqués dans la déstabilisation.

De l'autre côté, lors de sa nouvelle visite en ville de Beni en mi-juin 2021, le chef de l'État avait dénoncé une mafia ainsi que des magouilles dans les rangs de l'armée. Le président congolais avait alors pointé d'un doigt accusateur ceux qui lui font rapport sur la situation sécuritaire et qui ne jouent pas franc-jeu. Félix Tshisekedi avait ainsi avoué avoir été menti sur les effectifs des soldats déployés dans la zone des combats et leur prise en charge.

L'aube pointe à l'horizon

Pour répondre aux cris plaintifs des populations et des députés du Nord-Kivu et de l'Ituri, Félix Tshisekedi avait insisté que l'état de siège ne serait levé que lorsque ce pourquoi il avait été instauré aura eu une issue, c'est-à-dire le retour effectif de la paix. Message également réitéré à Kinshasa par Sama Lukonde à l'issue de sa récente mission sécuritaire dans l'est. Pourtant aujourd'hui, à en croire même le Baromètre sécuritaire du Kivu, « le nombre de morts lors d'attaques a plus que doublé dans la région, aucun groupe armé n'a été démantelé, les ADF ont étendu leur zone d'influence et le M23 est de nouveau actif dans le Nord-Kivu ».

Mais, face aux appels pressants des ressortissants de ces provinces, le gouvernement congolais est peut-être en voie de courber l'échine.

Aux dirigeants congolais, les citoyens, à travers leurs élus, ont déposé de nombreuses doléances visant soit à lever la mesure de l'état de siège, soit à le requalifier ou à proposer une autre issue à l'épineuse question des massacres.

Pour Jean-Paul Lumbulumbu, par exemple, vice-président de l'Assemblée provinciale du Nord-Kivu, à défaut d'être levée, la mesure du chef de l'État mérite d'être circonscrite dans des zones géographiques bien limitées, car son efficacité en dépend. 

« Au regard des éléments que nous avons aujourd'hui, il faut lever l'état de siège. Il faut le maintenir dans les zones gravement affectées par l'insécurité. L'avantage est que tous les effectifs militaires nécessaires y seront affectés, tous les moyens financiers, la logistique, l'attention de la communauté nationale et internationale », propose-t-il dans une réaction à 7SUR7.CD.

De son côté, maître Jimmy Peruzi de l'UNC suggère l'implication des communautés locales à leur propre sécurisation à travers une formation militaire obligatoire.

« Il faut impliquer les jeunes qui sont prêts à faire le service militaire obligatoire. Ça n'aurait pu prendre que 6 mois mais on continue à faire du surplace. C'est la solution unique et la plus crédible », estime-t-il.

Par ailleurs, dans leur mémorandum au chef de l'État publié le 14 février, 26 députés provinciaux du Nord-Kivu, à l'instar de certains autres citoyens, ont préconisé le retour à l'ordre institutionnel puis le remplacement de l'état de siège par l'état d'urgence sécuritaire.

Face à la forte sollicitation des ressortissants de ces 2 entités, le mercredi 4 mai dernier, Félix Tshisekedi a réuni autour de lui députés, sénateurs du Nord-Kivu et de l'Ituri, le premier ministre et quelques membres de son gouvernement, des responsables de l'appareil sécuritaire, des membres de la commission défense et sécuritaire de l'Assemblée nationale. Tous se sont accordés qu'un nouveau regard devrait être jeté sur l'état de siège un an après sa mise en place. C'est d'ailleurs dans cet ordre d'idées qu'une table  ronde qui devra statuer sur l'avenir de cette mesure est projetée très prochainement.

Même si certains élus du Nord-Kivu rassurent qu'il s'agira de la levée de l'état de siège avant la fin de la session en cours, soit avant le 15 juin prochain, le député Bertin Mubonzi, président de la commission défense et sécurité de l'Assemblée nationale, avance qu'il pourrait plutôt bien s'agir d'une requalification. 

Isaac Kisatiro, à Butembo