Obligées de faire le « bus 207 » sur le boulevard du 30 juin pour survivre : Triste réalité pour les Katika (Enquête)

Vendredi 3 septembre 2021 - 07:55
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7SUR7.CD

Sur les artères de Kinshasa, un fait est très visible, l’omniprésence des bus de transport en commun appelés « 207 ». Bien qu’ils soient surnommés "Esprit de mort" à cause des multiples accidents qu’ils occasionnent, ces bus rapportent gros à leurs propriétaires. Chaque soir, les chauffeurs passent aux domiciles de leurs patrons pour effectuer le versement.

Sur cette artère principale du centre-ville de Kinshasa, ce ne sont pas seulement les véhicules qui font le taxi pour effectuer le versement le soir. Il y a aussi des enfants qui ont été transformés en bus 207 par des adultes. Ils sont obligés de mendier pour effectuer le versement le soir. C’est le cas pour les Katika que la rédaction de 7SUR7.DC a suivi pendant plusieurs jours au mois d’août 2021.

Grâce à Suzi (nom d’emprunt) qui fait la cordonnerie et le lavage autos sur le boulevard du 30 juin depuis plus de 30 ans, à l’en croire, nous avons réussi à établir un contact avec ces enfants et à gagner leur confiance. Elles sont 5 filles et viennent toutes d’une même famille. La plus âgée a 12 ans et la cadette a 5 ans. Elles vivent avec leur maman dans une mosquée dans la commune de Kinshasa.

« Maman fait rien et papa nous ne savons pas où il vit », nous a confié Sandy, la plus âgée et qui a le devoir de veiller sur ses sœurs.

A la question de savoir ce qu’elles viennent faire sur le boulevard, il a fallu beaucoup insister pour qu’elles répondent.

« Nous venons ici pour chercher l’argent. C’est maman qui nous envoie pour qu’elle achète pour nous la nourriture et les uniformes », a répondu Gisèle (9 ans) avec hésitation.

Et d’ajouter : « Pour nous voir, il faut venir nous chercher aux environs de la BCDC ou de la Sonas. C’est là-bas que nous nous tenons pour demander l’argent aux passants. Mais souvent les policiers viennent nous chasser ».

Il arrive que leur maman se mette dans tous ses états si seulement l’une revient mains bredouilles. Elle peut aller jusqu’à user de la violence.

« En rentrant à la maison, si seulement l’une parmi nous dit qu’elle n’a pas eu l’argent, maman se fâche beaucoup et parfois elle nous tape. Elle pense qu’on a eu l’argent mais qu’on l’a bouffé au Malewa (gargote). Et si c’est  Sandy, parfois on ne lui donne pas à manger », a dit Julia, 8 ans.

En posant la question à Sandy pour vérifier si ce que sa sœur dit est vrai, visiblement traumatisée, elle hochait seulement la tête pour manifester son refus de répondre. A en croire ses sœurs, elle craignait que leur maman apprenne le soir qu’elle a parlé à quelqu’un.

Tenant à aller voir leur maman pour échanger, leur refus était catégorique.

« Maman n’aime pas que les gens nous suivent à la maison. Si tu viens avec nous, maman va taper Sandy. Une fois on avait amené une maman à la maison qui voulait nous acheter les habits, après son départ, maman avait tapé Sandy », a renchéri Julia, qui est la plus loquace du groupe.

Elles fréquentent presque pas d’autres enfants. Leur maman ne les a jamais expliquées le pourquoi de cette fatwa.

« Maman n’aime pas que nous puissions avoir des amis. Nous jouons seulement entre nous. Mais il nous arrive quelques fois de jouer avec d’autres enfants qui viennent aussi passer nuit à la mosquée », a répondu Gisèle lorsque nous avons voulu savoir si elles ont au moins des amis qu’elles fréquentent.

Comme les 207, le versement des Katika prime sur leur entretien

C’est un secret de polichinelle à Kinshasa que les bus 207 sont mal entretenus. Raison de leurs multiples accidents. Pour leurs propriétaires, c’est d’abord l’argent.

Visiblement c’est pareil avec les Katika. Elles ne semblent être que des machines à sous. Leur entretien importe moins. L’aînée Sandy est trop calme et affaiblie. Son état de santé n’a pas manqué d’attirer notre curiosité.

« Je ne me sens pas bien depuis longtemps. Maman me donne le diclophénac mais je sens toujours la chaleur dans le corps, des maux de tête et des chatouillements sur la peau », nous a-t-elle expliqué en montrant des gales qui se sont développées sur son corps.

D’après Suzi, notre guide, qui d’ailleurs nous a révélé ce surnom de "207", les enfants qui mendient sur le boulevard du 30 juin sont des véritables machines à sous.

« C’est depuis 1986 que je fais la cordonnerie et le lavage autos sur le boulevard. Je connais comment ces enfants viennent et grandissent ici. Les adultes qui les utilisent, en majorité des aveugles et même des faux aveugles, vont les récupérer dans les orphelinats, en complicité avec les responsables de ces orphelinats. Chaque soir après avoir mendié, on leur remet une partie de recettes qu’ils doivent ramener où ils habitent. Raison pour laquelle nous les appelons des 207. Je connais même une dame qui mendie en utilisant les enfants qu’elle récupère dans un foyer non loin du marché central. Et le week-end, ses propres enfants qui vivent à Kimbanseke viennent récupérer l’argent pour acheter à manger », a-t-il confié.

Et d’ajouter : « Pour les filles, plusieurs on les engrosse à partir de ce boulevard. Quelques années après, elles transforment à leur tour leurs enfants en 207. Je les connais presque tous. Plusieurs viennent se laver le soir où je puise de l’eau avec laquelle je nettoie les véhicules ».

Que dit la loi congolaise sur la mendicité forcée des enfants ?

La mendicité forcée des enfants est parmi les pires formes de la traite des personnes très courantes en RDC.

Le travail que font les Katika est contraire à la loi n°09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant. L’article 58 de cette loi stipule que « l’enfant est protégé contre toutes les formes d’exploitation économique ».

Et à l’article 62, alinéa 1er de renchérir : « est considéré comme en situation difficile et bénéficie d’une protection spéciale, notamment l’enfant rejeté, abandonné ou exposé à la négligence, au vagabondage et à la mendicité ou trouvé mendiant (...) ».

Hormis cette loi nationale, la RDC est signataire de plusieurs conventions internationales qui protègent l’enfant contre l’exploitation économique. Il s’agit entre autres de la charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant de juillet 1990, la convention n°182 sur les pires formes de travail des enfants et la convention des Nations-Unies relatives aux droits de l’enfant de novembre 1989.

Cette dernière stipule à son article 32, alinéa 1er « Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social ».

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les Katika et plusieurs autres enfants sont économiquement exploités sur l’artère principale du centre-ville de Kinshasa, siège de la plupart des institutions du pays. Ça se passe au nez des autorités censées protéger ces enfants contre leurs bourreaux.

Bienfait Luganywa