La sortie médiatique de Pasteur Théodore Ngoy, président national d’un petit parti politique dénommé « Congo pour la Justice » (C.Just.) et son collègue Martin Fayulu Madidi, président national de l’Engagement pour la Citoyenneté et le Développement (ECIDE), l’un des leaders de la coalition Lamuka et son « président (de la République) auto-proclamé » à l’issue de l’élection présidentielle de décembre 2018 a fait la « une » des médias kinois et réveillé plusieurs pseudo-juristes et constitutionnalistes dans une sorte de masturbation intellectuelle en droit constitutionnel qui ne pouvait se justifier que par la fin de la mesure de confinement dictée par la riposte contre le COVID-19.
Même si Martin Fayulu ne parlait que pour lui-même et non pas pour l’ensemble de l’Opposition Lamuka au regard des protestations qu’elle a suscitées dans son camp, cette sortie aura consacré la chute de Lamuka qu’il représentait et la fin du mythe entretenu depuis la fin des élections de décembre 2018 au nom de ce que d’aucuns considèrent à tort ou à raison comme relevant d’une haine viscérale envers Président Félix Tshisekedi avec qui il avait pourtant travaillé au sein du Rassemblement de l’ Opposition (Rassop).
Adoptant sans réserve la position de Théodore Ngoy qui demandait au Parlement de déchoir Félix Tshisekedi pour une prétendue haute trahison dans la nomination des anciens juges constitutionnels Jean Ubulu Pungu et Noël Kilomba Ngozi Mala comme présidents de la Cour de Cassation, mais qui avaient refusé de prêter serment devant le Président de la République, Mr Martin Fayulu adressait un important message à la Nation et au monde. Il reconnaissait comme légal et légitime le Parlement élu en décembre 2018 et au sein duquel il avait refusé de siéger. Prenait ainsi fin une longue comédie politique – genre « Théâtre de chez-nous » dans laquelle il jouait le rôle de « Président élu ». Cette sortie constitue également une « haute trahison de Lamuka » si l’on s’en tient au tollé qu’elle a provoqué dans les rangs de l’opposition.
Aussi, en demandant la déchéance de Président Félix Tshisekedi tout en sachant qu’elle bénéficierait à Mr Alexis Ntambwe Mwamba, le Président du Sénat qui est du FCC et qui deviendrait alors le président de la République par intérim aux termes des articles 75 et 76 de la Constitution qu’il dit défendre, Martin Fayulu prouvait au monde que son opposition à la coalition au pouvoir [coalition Front commun pour le Congo (FCC) – Cap pour le Changement (CACH)] n’était en réalité qu’une opposition au Président Félix Tshisekedi.
Demander au Parlement de déchoir Félix Tshisekedi pour une imaginaire haute trahison relève purement d’une ignorance exécrable des principes de l’Etat de droit de la part des deux anciens candidats malheureux à la Présidence de la République.
La Constitution comme expression de la volonté du peuple souverain est un patrimoine national. Elle intéresse tout le monde. Elle est sacrée et chaque Citoyen a le droit de la défendre. Il n’est donc interdit à personne de se prononcer sur la Constitution. Cependant, l’intervention du duo Théodore Ngoy - Martin Fayulu tend à corroborer la thèse selon laquelle tout le monde n’est pas juriste et tout juriste n’est pas constitutionnaliste même s’il est détenteur d’un diplôme de docteur en droit comme c’est le cas de Théodore Ngoy.
Si déjà le FCC à qui son intervention le rapproche comme un allié stratégique en dépit des déclarations fracassantes à l’usage des foules ne dispose que d’un petit nombre de constitutionnalistes dignes de ce nom qui n’interviendront jamais pour soutenir l’idée d’une déchéance du Président de la République par le Parlement, Président (de l’ECIDE) Martin Fayulu se trouve dans une situation encore plus difficile, son parti n’ayant pas à ce jour un seul grand constitutionnaliste connu et reconnu et lui-même n’étant pas juriste.
En ce qui concerne Théodore Ngoy, il a certes un doctorat et une maitrise en droit, mais sa spécialité est le droit pénal et la criminologie. Me Théodore Ngoy n’a pas non plus à son actif un seul grand procès gagné dans le cadre du contentieux constitutionnel ou administratif.
L’Etat de droit est le second nom de la RD Congo. Il est repris dans l’Exposé des Motifs, le Préambule et au premier article de la Constitution. Il présuppose que tout le monde est soumis à la loi en commençant par la Constitution qui est la loi suprême, qu’il existe un pouvoir judiciaire indépendant et que les décisions judiciaires doivent être respectées par tous d’autant plus que la justice est rendue au nom du peuple congolais (Article 149 de la Constitution).
L’on ne peut pas logiquement défendre l’Etat de droit comme l’ont déclaré Me Théodore Ngoy et Mr Martin Fayulu sans une réelle maîtrise de la Constitution et des lois de la République. S’adresser au Parlement et croire que le Congrès peut déchoir le Président de la République relève d’une ignorance manifeste du droit constitutionnel congolais aggravée probablement par un long confinement ordonné au pays et/ou à l’étranger dans le cadre de la riposte contre le COVID-19. Il s’agit purement d’une hérésie ainsi que le révèle le recours à trois instruments fondamentaux qui se réfèrent à la procédure et à la compétence en ce qui concerne les infractions commises par le Président de la République (ou le Premier Ministre). Il s’agit de la Constitution (Articles 157-168), de la Loi organique (LO) no 13/026 portant organisation et compétence de la Cour Constitutionnelle du 15 octobre 2013 (Articles 100-105) et du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle (RICC) (Articles 73-85) du 10 août 2018.
La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier Ministre pour des infractions de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions (Article 167 de la Constitution).
La haute trahison est définie à l’article 165 de la Constitution. Il y a haute trahison lorsque le Président de la République a violé intentionnellement la Constitution ou lorsque lui ou le Premier Ministre est reconnu auteur ou co-auteur ou complice de violations graves et caractérisées des Droits de l’Homme ou de cession d’une partie de territoire national.
Dans l’Etat de droit institué par la Constitution, l’autorité compétente pour décider de la haute trahison est la Cour constitutionnelle et non pas le Parlement ni les dénonciateurs qui ne sauraient donc pas se substituer à elle. Il est donc inacceptable que des individus sans qualité autre que celle qu’ils s’attribuent eux-mêmes puissent se réveiller un matin et se croient habilités à agir en lieu et place de la juridiction compétente en affirmant sans vergogne que le Président de la République a commis un acte de haute trahison et devrait être déchu de ses fonctions. Quel pays ?
Le Procureur Général près la Cour constitutionnelle assure l’exercice de l’action publique dans les actes d’instruction et de poursuites contre le Président de la République. A cette fin, il reçoit les plaintes ou dénonciations et rassemble les preuves. Il entend toute personne susceptible de contribuer à la manifestation de la vérité (Article 199 de la LO et Article 76 du RICC). C’est dont à lui que Mr Martin Fayulu, Me Théodore Ngoy et d’autres tambourinaires de la destitution du Président de la République devraient s’adresser et non pas au Parlement. La décision de poursuivre le Président de la République ne revient donc pas au Parlement comme une interprétation littérale et erronée de l’article 166 de la Constitution le ferait croire aux nombreux marchands ou trafiquants du droit constitutionnel congolais.
Par ailleurs, il y a une différence entre les poursuites et la mise en accusation du Président de la République. Le Procureur Général près la Cour constitutionnelle « poursuit » quand il entreprend des actes d’instruction, reçoit les plaintes et les dénonciations, entend les présumés coupables et rassemble les preuves de l’infraction vantée.
Les poursuites se rapportent à l’instruction préparatoire ou pré-juridictionnelle. Par contre, la mise en accusation se réfère à la saisine de la Cour constitutionnelle lorsque l’instruction est clôturée. Les poursuites et la mise en accusation du Président de la République relèvent de la compétence du Procureur Général près la Cour constitutionnelle et lui seul.
Toutefois, que ce soit pour les poursuites ou la mise en accusation, il doit solliciter l’autorisation du Parlement réuni en Congrès en adressant des requêtes au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat, la « requête aux fins d’autorisation des poursuites » (Article 101 de la LO et Article 77 du RICC) ou la « requête aux fins de solliciter la mise en accusation » (Article 103 de la LO et Article 79 du RICC).
Les décisions de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier Ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès (Article 166 alinéa 1er de la Constitution, Articles 101 & 102 de la LO, Article 74 du RICC). L’expression « votées » a ici le sens de « autorisées » car c’est le Procurer Général près la Cour constitutionnelle qui seul peut mener des poursuites et mettre en accusation le Président de la République ou le Premier Ministre à la suite d’une requête introduite par lui.
Le Parlement ne peut rien faire de lui-même contre le Président de la République sans avoir reçu une telle requête du Procureur Général, que le FCC y occupe 99,9% ou même 100% des sièges ou non.
Si le Congrès autorise les poursuites en réponse à sa requête, le Procureur Général près la Cour constitutionnelle pose les actes d’instruction qu’il ne saurait entreprendre sans l’autorisation du Congrès. Il peut alors entendre le Président de la République (Article 102 de la LO et Articles 77 in fine et 78 du RICC). A la fin de l’instruction, il adresse un rapport au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat Il peut décider de classer le dossier ou poursuivre. Dans ce dernier cas, le rapport est accompagné d’une requête aux fins de solliciter du Congrès la mise en accusation du Président de la République (ou du Premier Ministre) (Article 103 de la LO et Article 79 du RICC).
Il s’agit d’une seconde requête après la première qui était une demande d’autorisation des poursuites.
Dans le cas où le Congrès adopte la résolution de mise en accusation, le Procureur Général transmet le dossier au Président de la Cour constitutionnelle. Il fait citer le prévenu et s’il y a lieu, les coauteurs et/ou les complices (Article 103 in fine de la LO et Article 80 du RICC).
La Cour constitutionnelle va alors juger le Président de la République. En cas de condamnation, elle prononce sa déchéance (Article 167 de la Constitution ; Article 105 de la LO et Article 82 du RICC).
Au regard de ce qui précède, il n’appartient pas au Congrès de poursuivre, de mettre en accusation, de condamner et de déchoir le Président de la République.
Les deux premières compétences reviennent au Procureur Général près la Cour constitutionnelle et les deux dernières à la Cour constitutionnelle elle-même. C’est ce que les tambourinaires du FCC et de Lamuka (Aile Martin Fayulu) qui soutiennent la déchéance du Président de la République par le Parlement réuni en Congrès devaient comprendre.
L’on ne peut pas parler de déchéance du Président de la République sans qu’il ait été au préalable condamné pour haute trahison pour violation intentionnelle de la Constitution par la Cour constitutionnelle qui est l’organe compétent.
Les doctrinaires comme Prof André Mbata peuvent et émettent souvent des opinions dans leurs écrits qui constituent aussi une source secondaire du droit. Néanmoins, c’est à la Cour constitutionnelle que revient le revient le pouvoir de qualifier l’infraction de haute trahison du Président de la République, de le condamner et de prononcer sa déchéance.
Un avocat ou un politicien bien averti en droit constitutionnel aurait donc commencé par attaquer l’ordonnance présidentielle en s’adressant à la juridiction compétente et non pas aux médias ou au Parlement. Même alors, une ordonnance présidentielle de nomination des magistrats est un acte administratif et non pas une loi ou un acte ayant force de loi dont la constitutionnalité pourrait être examinée par la Cour constitutionnelle (Article 160 de la Constitution).
Mr Martin Fayulu et Me Théodore Ngoy devraient se laisser former ou conseiller en droit administratif pour comprendre que le Conseil d’Etat comme juge des référés pouvait être saisi pour protéger les droits des anciens juges constitutionnels Kilomba et Ubulu par un référé-suspension.
Ce serait cependant trop demander à l’avocat pénaliste qui n’a même pas pu identifier l’ordonnance présidentielle contestée – celle qui nomme les trois nouveaux juges constitutionnels, les deux anciens juges constitutionnels ou les deux à la fois ? - et plus encore à l’économiste président de l’ECIDE que le pasteur protestant de l’Eglise de la Gombe qui est proche du FCC a réussi à faire descendre de son piédestal de « Président élu » en discréditant le combat mené jusque-là par ce leader de Lamuka et par sa plateforme dans son ensemble.
Le droit constitutionnel congolais n’étant pas la petite sœur du droit constitutionnel d’un pays comme les Etats-Unis où le Congrès peut déchoir le Président dans le cadre de la procédure d’impeachment avec le Sénat intervenant comme procureur et juge, le Parlement congolais réuni en Congrès ne peut jamais déchoir Félix Tshisekedi ni aucun autre Président de la République. Un tel pouvoir ne revient qu’à la Cour constitutionnelle régulièrement saisie.
Rien n’est plus dangereux pour un homme que de rêvasser à la longueur des journées et surtout de le faire debout et en dansant. On peut donc s’entendre pour mettre un terme à une vaste blague et une distraction de mauvais goût relevant d’une certaine masturbation intellectuelle en droit constitutionnel entretenue par des politiciens se gargarisant à prendre leurs vessies pour des lanternes de la Nation.
Professeur André Mbata