Tribune - Le COVID-19 en RD Congo : Une opportunité au-delà d’un désastre annoncé (Dr Masendu Kalenga) 

Jeudi 9 avril 2020 - 10:00
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La pandémie qui secoue la planète confirme non seulement la grande fragilité humaine, mais aussi celle des organisations qui dirigent le monde. Même les « grandes puissances » sont ébranlées, prises de court par une crise que personne n’a vu venir dans des Etats dotés de technologies sophistiquées et de moyens redoutables pour régenter le monde. Le COVID-19 frappe sans distinction, les puissants et ceux qu’ils dominent. Ses conséquences économiques que l’on imagine déjà désastreuses sont encore difficiles à évaluer. En attendant, les réflexes de protectionnisme et de fermeture des frontières reviennent au galop. C’est le « sauve qui peut » et le « chacun pour soi » au plus haut niveau.  Vive la mondialisation !
En RD Congo où le COVID-19 est récemment arrivé, l’angoisse monte avec les premiers décès, dont des personnes en vue. Devant la gravité de la situation, le Président de la République a légitimement créé un comité d’éminents experts et annoncé des mesures importantes pour limiter la propagation du virus et en atténuer les conséquences. 
Au-delà des inquiétudes bien justifiées et de la nécessité pour tous d’appliquer des mesures appropriées face à l’urgence, voici une occasion pour nous poser des questions fondamentales et concevoir des stratégies destinées à changer la trajectoire inacceptable dans laquelle le pays s’est engagé depuis plusieurs décennies de manière quasi inexorable. C’est une opportunité pour imposer et verrouiller dans la durée des règles solides destinés à apporter des changements positifs tant souhaités pour le pays. Le COVID-19 pourrait ainsi servir de détonateur.

Interdiction d'entrée et de sortie  de et vers plusieurs pays occidentaux. 

On entend déjà plusieurs voix s’élever pour dire « plus de soins à l’étranger pour les privilégiés du système ! ». Avec le COVID-19 certains vont expérimenter le fait que le pays manque cruellement d’infrastructures, d’équipements, et de matériel de base pour assurer à la population des soins préventifs et curatifs adéquats. Pour les riches, comme pour les pauvres !
Voici l’occasion pour dire « stop à l’inacceptable » et mettre en œuvre le plan ambitieux de réhabilitation de notre système de santé porté par la nouvelle ère politique. Un investissement tout particulier doit être accordé aux grands hôpitaux universitaires, et aux hôpitaux provinciaux de référence. Le pays peut compter sur de multiples ressources humaines propres, à l’intérieur comme à l’extérieur. Ce plan doit comporter un programme structuré de recyclage des prestataires des soins pour renforcer les compétences médicales et réajuster chez de nombreux acteurs de santé des déviances inacceptables dans leurs pratiques.
C’est aussi une opportunité pour réduire la dépendance quasi absolue du pays vis-à-vis de l’extérieur concernant des dispositifs élémentaires. Avec ses multiples ressources naturelles, le Congo ne devrait pas importer des compresses, des seringues, des masques, des gants, des solutions hydroalcooliques et bien d’autres produits médicaux de base. Il est impératif d’encourager la recherche et le développement des technologies permettant d’accroître notre autonomie pour les besoins essentiels dans le domaine des soins de santé et dans bien d’autres secteurs. Non canalisée et valorisée, l’impressionnante créativité de beaucoup de jeunes congolais est détournée vers des actions futiles.

Application des mesures d'hygiène et de distanciation sociale.

 La pratique est en première ligne de la lutte contre le COVID-19.  Mais pas seulement ! L’insalubrité et l’incivisme caractérisés dans lesquels beaucoup se complaisent sont un boulevard pour diverses calamités, bien au-delà de la pandémie actuelle. Personne n’en est épargné ; ni les masses populaires parfois insouciantes, ni l’élite intellectuelle défaillante. 
Les mesures prises pour contrer le COVID-19 sont à maintenir dans le temps afin de préserver de manière plus globale la santé.
Les règles d’hygiène individuelle et collective pour limiter la transmission du virus.  Il faut en profiter pour étendre ces mesures à l’hygiène environnementale, fécale et alimentaire si déficitaires qui causent des dégâts bien plus importants que ceux attendus du COVID-19. Les services d’hygiène bien structurés doivent pourvoir s’appuyer sur un pouvoir dissuasif et au besoin répressif. Il faudra encore s’attaquer à la promiscuité sans borne dans les habitations des grandes villes. 
La fermeture des bars et des églises, qui avec leurs nuisances sonores, dans une accoutumance et une impunité incompréhensibles, perturbent la quiétude des ménages et des étudiants, tout en renforçant l’abrutissement. Stop à la multiplication de prédicateurs véreux qui, dépassant dans leur exubérance ceux qui leur ont vendu le modèle, ôtent à leurs fidèles tout sens critique indispensable au progrès. C’est l’occasion de changer les choses avec des règles rigides, mais aussi des incitants, pour des églises partenaires du développement collectif.
L’interdiction des veillées mortuaires traditionnelles, que ce soit en pleine cité ou dans des salles funéraires aujourd’hui en vogue. Ces dernières sont devenues un business lucratif où on dépense des fortunes qui auraient pu servir aux soins de santé de la personne décédée, dans une inversion totale des valeurs. Nos riches traditions, avec leur grande diversité, doivent être valorisées ou repensées pour favoriser et non pas freiner le progrès. Des mesures coercitives doivent y aider.
La fermeture des grands marchés. C’est une occasion pour y imposer des règles strictes de propreté et d’organisation qui faut totalement défaut. Il reste encore l’épineuse question des commerces en tous genres avec des produits étalés sur le sol dans un manque total d’hygiène.
La régulation dans le trafic et le transport public. Il faut en finir avec un désordre et un incivisme inacceptables, particulièrement à Kinshasa. Au-delà des dégâts causés sur l’environnement, les pollutions chimiques et sonores engendrées par un trafic routier mal régulé et par les embouteillages sont une cause majeure de maladies cardio-respiratoires, de décès prématurés ainsi que d’anomalies neurocomportementales graves. Des sanctions exemplaires doivent être appliquées, avec des agents de l’ordre recyclés, responsabilisés et motivés.

Limitation des contacts sociaux, en restant à la maison.

 La stratégie s’est révélée efficace contre le COVID-19. On appréciera, même transitoirement, la diminution des attroupements des badauds et le spectacle des commerçants ambulants sur les grandes artères de la ville. Il est vrai qu’il faudra investir judicieusement, non seulement dans la création des emplois, mais aussi dans la lutte contre l’exode rural. Cette dernière implique bien entendu l’amélioration des conditions de vie à l’intérieur du pays, mais aussi l’octroi d’une prime attractive aux travailleurs des zones rurales. Parallèlement, les stratégies d’aide au contrôle des naissances devront être renforcées.
En attendant, on peut profiter des mesures annoncées pour soutenir le rôle éducatif des parents. C’est dans la cellule familiale, base de la société, que les enfants apprennent à bâtir l’essentiel de leur personnalité et à assimiler les vraies valeurs de la vie. Il est bien connu que « tout se joue avant 6 ans ». 
Le programme du Président de la République met, à juste titre, un accent sur le changement des mentalités. Ceci ne se limite pas à la la lutte contre la corruption chez les acteurs politiques et les gestionnaires des institutions publiques. Il existe en effet à tous les niveaux de notre société des déviances négatives enracinées qui freinent le progrès. Et c’est à la base qu’il faut mener des actions pour changer durablement les mentalités par un programme transversal ambitieux, avec la famille au centre. Ceci doit impliquer le secteur de l’enseignement, les pouvoirs traditionnels, les médias, les organisations culturelles, les églises et divers autres groupes sociaux. Une bonne occasion pour valoriser et éprouver nos psychologues, nos socio-anthropologues et nos éducateurs. 
Changer les mentalités pour le développement doit surtout viser :
La reconstruction d’une identité positive, en renforçant l’estime de soi et la foi en son potentiel créatif ; dans la modestie ;
L’amélioration des capacités de jugement et de décision face aux problèmes individuels et de groupe, avec une démarche structurée dans une vision sur le long terme ;
La promotion d‘une aspiration continue à l’excellence (qui comprend la culture de la beauté et de la perfection) et à la grandeur, prioritairement par le travail et le mérite ;
Le respect de l’ordre, de la légalité et du bien commun.
Agir à la base est une priorité pour combattre les aberrations comportementales que d’aucuns dénoncent chez certains responsables congolais depuis plusieurs décennies. Il faut en finir avec des imitations sans jugement, ainsi que des titres ronflants affichés sans en assumer ni l’exigence ni la noblesse. Arrêtons de briller, comme sur les réseaux sociaux, par des turpitudes éloignées des objectifs de la reconstruction du pays. La jeunesse ainsi abreuvée ne pourra rendre que ce qu’elle aura reçue des ainés.
Tous concernés, nous devons agira !
Nul doute que l’arrivée du COVID-19 en RD Congo laisse présager une crise dont on a de la peine à imaginer les diverses conséquences. 
Une chose est cependant certaine, il y aura un après COVID-19. N’attendons pas pour le penser et le construire. Le frein temporaire au cours de la vie trépidante doit être une opportunité pour réfléchir et travailler assidûment, méthodiquement et ingénieusement à des solutions endogènes pour la protection et l’envol de la RD Congo. 
Et ce ne sont pas les moyens qui manquent ! Nous nous sommes longtemps accommodés du siphonage scandaleux des caisses de l’Etat, dans l’impunité quasi totale. Et chacun à sa manière nous y contribuons sous différentes formes, directement ou indirectement. La lutte annoncée contre la corruption gangréneuse ainsi que contre le pillage des ressources naturelles du pays prend ici tout son sens. 
Arrêtons de nous lamenter et en cherchant des boucs émissaires ailleurs ! Nous avons la capacité d’agir, dans un élan national qui implique les hauts responsables et toute élite intellectuelle, en osant remettre en question les modèles hérités de l’histoire, pour avancer autrement. 
Que la crise annoncée suscite l’émergence de réseaux efficaces et solidaires parmi les nombreuses personnes qui aspirent à contribuer à l’essor de la RD Congo. 
Agissons ! Cessons d’être des complices coupables, par notre passivité 
ou par notre défaitisme.

Masendu KALENGA
masendu.kalenga@cap-sante.org

 

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