Il pèse lourd, très lourd, et pourrait bien renverser la balance politique en République démocratique du Congo. Jean-Pierre Bemba, colosse d’1 m 90 dépassant largement le quintal, saura le 21 mars s’il est acquitté ou non par la Cour pénale internationale (CPI).
ef de guerre et vice-président congolais y est poursuivi depuis 2008 pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ». Des exactions commises par ses hommes entre la fin 2002 et le début de l’année 2003 en Centrafrique.
A l’époque, les troupes rebelles du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) qui contrôlent le nord de la RDC passent la frontière pour venir en aide au président Ange-Félix Patassé, menacé par les coups de boutoir du colonel François Bozizé. Viols, meurtres, pillages… Les soldats de Jean-Pierre Bemba sèment la terreur. Mais les preuves de l’implication directe du « chairman », comme le surnomment ses partisans, sont ténues.
S’il devait être condamné à une peine qui s’annonce légère, l’ex-candidat à la présidentielle pourrait quitter la prison de Scheveningen au printemps. Il est déjà attendu comme le messie par les siens à Kinshasa et dans son fief de l’ancienne province d’Equateur. « L’accusation s’est fourvoyée pendant huit ans en cherchant un bouc émissaire à la crise centrafricaine. Des horreurs ont été commises, mais elles sont le fait de quelques soldats. Malgré son incarcération, Jean-Pierre est resté notre président », estime Jacques Djoli, sénateur et membre du comité exécutif du MLC. Techniquement, ajoute l’affidé, rien n’empêche son chef d’être à nouveau candidat à la magistrature suprême puisqu’il n’a pas été déchu de ses droits civils et politiques. Et, « comme Mandela hier », il aurait conservé toute son influence.
D’autres figures de l’opposition le reconnaissent, voire s’en félicitent : le retour de « Jean-Pierre » en RDC renforcerait le camp des anti-Kabila. Tous reprochent au président de vouloir se maintenir au pouvoir à l’issue de son deuxième mandat en décembre 2016 en s’arrangeant pour faire « glisser » le calendrier électoral. « Aujourd’hui, observe Francis Kalombo, député de la majorité rallié à l’opposition, le pouvoir a même peur d’une mouche ou d’un chien. Alors, de Bemba… »
L’ancien vice-président était arrivé en seconde position lors de la présidentielle de 2006, emportant près de 70 % des suffrages dans la capitale. Accusé de haute trahison pour avoir refusé de fondre sa garde personnelle dans l’armée gouvernementale, il vivait en exil en Europe au moment de son interpellation. « Je suis convaincu qu’il a été arrêté et envoyé à La Haye pour des raisons politiques. On l’a mis au frais pour aider Kabila à asseoir son pouvoir », estime Martin Fayulu, président de l’Ecidé (Engagement pour la citoyenneté et le développement) et membre de la Dynamique de l’opposition, aux côtés du MLC.
« Fils à papa »
Né en 1962 dans les hautes sphères de la bonne société congolaise, Jean-Pierre Bemba ne s’imaginait sûrement pas finir un jour dans une geôle. Son père, Jeannot Bemba Saolona, un métis portugais, a longtemps été le « patron des patrons » de l’ancien Zaïre et l’un des prête-noms en affaires douteuses du président Mobutu Sese Seko. On l’aperçoit, dans Le Cycle du serpent du documentariste belge Thierry Michel. Il apparaît costumé, cravaté, pommadé, inspectant ses entrepôts débordant de riz et de café. Un homme élégant et massif, mais moins imposant que son rejeton à qui il a transmis la veine des affaires. Après des études de commerce à Bruxelles, « Jean-Pierre » se lance dans le secteur du téléphone portable et de la télévision. Sa sœur a épousé un fils du maréchal président.
C’est précisément dans l’un des bastions du mobutisme, la région d’Equateur, que le jeune Bemba se fait définitivement un prénom après la chute du régime et la victoire de Laurent-Désiré Kabila. Il y fonde en 1998, parrainé par le pouvoir ougandais, un parti milice, le MLC, et établit son quartier général dans l’ancien « Versailles » du dictateur déchu à Gbadolite. Il affirme avoir appris à manier le revolver lors d’un court stage effectué en Ouganda. Depuis leur jungle, ses hommes raflent tout ce qu’ils peuvent (or, diamants, bois précieux…), violent, tuent, allant jusqu’à se livrer à des actes de cannibalisme contre les Pygmées.
L’ancien « fils à papa » réussit malgré tout sa reconversion politique après la signature des accords de paix de Sun-City qui mettent fin à la guerre civile en RDC. Nommé vice-président, il suit les dossiers économiques et financiers, participe aux négociations qui ont mené à l’effacement de la dette du pays. Jacques Djoli, l’assure : « C’est un manager très rigoureux ». D’autres diraient un « criminel » sans foi ni loi.
Trouvera-t-il sa place au sein d’une opposition qui compte déjà plusieurs figures importantes comme l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, l’ex-président de l’Assemblée nationale et dirigeant de l’Union pour la nation congolaise Vital Kamerhe ou le « vieux » Tshisekedi, leader historique de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) ? Il faudra probablement compter dessus. « Même s’il n’est pas en mesure de battre Moïse, il sera un apport considérable pour fragiliser Joseph Kabila », assure le député Francis Kalombo.
Par Elise Barthet
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