Dans les différents marchés de Kinshasa, tout un commerce se crée autour de bouteilles en plastique usagées. Les acheteurs les remploient, ensuite, pour la vente d’autres produits.
Cela fait plus de trente-cinq ans que ce cinquantenaire évolue dans le négoce au marché Gambela, dans la commune de Kasa-Vubu. Il est, d’ailleurs, chef d’un « pavillon » de plus de trente vendeurs d’accessoires usagés comme les boîtes de conserve, les bouteilles en verre et en plastique. Sur les étals, les bouteilles en plastique, très prisées actuellement dans la ville, sont en grand nombre. Une bouteille de 33 cl coûte 20 francs. Les trois se vendent à 50 francs. Par ailleurs, deux bouteilles de 1,5 litre se négocient à 150 francs. « J’achète une bouteille de 33 cl à 10 francs. Je me contente d’un bénéfice de 10 francs par bouteille. C’est insignifiant, mais cela me permet quand même d’être à l’abri des petits besoins et d’entretenir ma famille. Normalement, c’est une activité que je ne devrais pas faire, vu mon niveau d’études [troisième année de médecine]. Mais les réalités du pays m’y obligent », explique ce père de dix enfants. Ses ventes journalières tournent autour de 10 000 francs. Comme la plupart de ses collègues, il n’a pas besoin de se déplacer pour s’approvisionner. « Nous avons des jeunes gens, tout comme des adultes, qui viennent nous vendre des bouteilles chaque jour ». Ces « grossistes » parcourent de longues distances à travers la ville pour ramasser la marchandise. « Nous trouvons ces bouteilles dans des poubelles, les rues, les cours d’eau et bien d’autres endroits », raconte l’un d’eux. Tenant un sac rempli de bouteilles, il est venu vendre sa moisson du jour. Tout compte fait, il a pu réunir 4200 francs. Avec ce qu’il gagne, celui qui ne va plus à l’école, « faute de moyens financiers », parvient à trouver de quoi manger pendant la journée et se vêtir. Ses parents, en chômage, ne sont plus en mesure de satisfaire ses besoins. A la maison, il mange une fois par jour.
Délicate gestion de déchets
Les bouteilles en plastique inondent la ville. Elles sont vendues et jetées dans tous les coins de la capitale. Biodégradables ou non, ces plastiques posent un sérieux problème environnemental.
Une fois achetées, les bouteilles sont réutilisées dans la vente de produits comme l’huile végétale, le pétrole raffiné, le yaourt, les médicaments traditionnels… « A la place des sachets qui sont fragiles, nous préférons vendre dans ces bouteilles qu’on trouve désormais facilement à travers la ville », commente un vendeur de pétrole raffiné au m,arché de l’UPN dans la commune de Ngaliema. Pourtant, la commercialisation de ces récipients n’est pas autorisée, bien qu’ils soient partout, comme au marché central, dans un pavillon où l’on paye régulièrement différentes taxes. En août 2012, un arrêté du ministre de l’Industrie, Petites et moyennes entreprises, Rémy Musungayi, et celui de l’économie et du Commerce, Jean-Paul Nemoyato, a interdit « la fabrication, l’importation et la commercialisation des emballages non biodégradables » sur l’ensemble du territoire national. Un délai de trois mois avait été accordé à tous les opérateurs économiques agissant dans ce secteur, pour le recyclage de ces emballages. Le 25 avril 2013, les deux ministres sont revenus à la charge. Dans un communiqué officiel, ils ont précisé que « la vente de l’eau, de liqueurs et eau-de-vie en bouteilles en plastique doit se faire à des points de vente qui permettront la récupération de ces emballages par les producteurs et les distributeurs à leurs frais ».
Une réutilisation dangereuse
Mais, sur le terrain, ces mesures n’ont jamais été respectées. Les bouteilles en plastique inondent la ville. Elles sont vendues et jetées dans tous les coins de la capitale. Biodégradables ou non, ces matières plastiques posent un sérieux problème environnemental. Elles bouchent les canalisations d’eau, provoquant des inondations, surtout pendant la saison pluvieuse. Un plastique biodégradable jeté dans un buisson prendra plus de temps à se désagréger que prévu, de l’avis des environnementalistes. Leur concentration dans la ville crée un environnement propice aux moustiques. En plus, leur réutilisation, surtout pour des produits de consommation, constitue un réel danger pour la santé, à en croire Samclide Mbikayi, médecin au Centre hospitalier Monkole, dans la commune de Mont-Ngafula. « Ces bouteilles sont ramassées n’importe où. Il y a un grand risque de contacter des maladies des mains sales comme le choléra ou la fièvre typhoïde. Il y a un vrai danger d’autant plus que ces microbes, que l’on trouve généralement dans un environnement insalubre, sont résistants aux antibiotiques. Il y a aussi le risque de contracter, par exemple, la tuberculose quand la bouteille, utilisée par une personne atteinte, n’a pas été nettoyée convenablement avant sa réutilisation », insiste le médecin.
« Ya Mado » ne se cache plus
« Hormis les produits pharmaceutiques, la vente en sachets des produits tels que les fruits et divers légumes, l’eau, les liqueurs et autres en sachets, est strictement prohibée sur toute l’étendue de la République démocratique du Congo », avaient annoncé, le 25 avril 2013, Rémy Musungayi et Jean-Paul Nemoyato. Au lendemain de cette décision, une opération baptisée « traque des sachets » avait été menée contre les industriels et vendeurs d’une eau qualifiée d’impropre à la consommation par Rémy Musungayi, qui soulignait que « l’opération de suivi de l’application stricte de cette décision auprès des opérateurs économiques et des commerçants ambulants des sachets a une durée indéterminée ». Pour échapper à la vigilance des agents de l’ordre, les vendeurs ambulants avaient adopté la stratégie dite de « Ya Mado ». Ils gardaient généralement leur marchandise dans un emballage noir pour échapper à la police. Quelques semaines après, tout est revenu comme avant. « Ya Mado » n’a plus besoin de se cacher. L’eau en sachet a repris son droit de cité et elle est vendue partout dans la ville au nez et à la barbe de la police.