Lors de la revue annuelle du DSCRP2 (Document des stratégies pour la croissance et la réduction de la pauvreté de 2ème génération) et du PAG (Programme d’action du gouvernement) organisé récemment au Grand-Hôtel Kinshasa, le ministre des Ressources hydrauliques et Electricité, Bruno KapandjiKalala, avait reconnu que la RDC était largement en dessous de la moyenne africaine en ce qui concerne la desserte en eau potable et en électricité.
Ainsi, pour la fourniture en eau potable, il avait fixé le taux de desserte nationale à 30%, contre une moyenne africaine de 60%. Le ministre pouvait ainsi se flatter de ce que Kinshasa, par exemple, affiche un taux de desserte de 65%. Seulement voilà : ce taux a tout faux, car il ne comprend nullement en compte les graves et très longues coupures d’eau dont de nombreux quartiers sont victimes à travers la capitale. C’est le cas de Salongo et de Righini, le quartier huppéde Lemba, au Sud de Kinshasa, privés d’eau depuis plus de trois semaines.
Dans les quartiers de Righini, l’un des plus cossus de Kinshasa, et Salongo, dans la commune de Lemba au Sud de la capitale, c’est le retour à marche forcée vers l’âge des Cro-Magnon. Depuis plus de trois semaines, nulle goutte d’eau n’a coulé de robinets.
A l’heure où le gouvernement claironne la Révolution de la modernité, des milliers de citoyens en sont réduits à sortir sans s’être lavés, s’en vont faire leurs besoins à leurs lieux de travail ou dans les bars et terrasses de Lemba-Terminus ou Super, et peinent à trouver de l’eau pour la cuisine. On peut aisément imaginer les conditions hygiéniques dans lesquelles vivent ces compatriotes dans la mesure où la plupart des maisons de ces quartiers disposent d’installations hygiéniques internes.
Des millions de la BM pour rien
Pour ceux qui possèdent de véhicules, la solution c’est d’aller puiser l’eau dans les quartiers de faible altitude du Nord de la commune ou carrément dans d’autres communes. Ceux qui n’ont pas de véhicule font ces courses à moto où ils trimballent des gros bidons de 25 litres, comme dans des villages perdus et arides du Sahel.
Mais cette situation ne préoccupe en rien les dirigeants de la Regideso dans leurs bureaux lambrissés du boulevard du 30 juin à Gombe centre-ville. Ils ont sans doute d’autres préoccupations que de fournir de l’eau à leurs abonnés. Et pourtant …
Et pourtant, sur fond des millions de dollars américains, la Banque mondiale avait financé la construction et la mise en service d’une usine de captage d’eau brute et de purification de la Lukaya dans la commune de Mont-Ngafula, et qui a été mise en service depuis le samedi 27 juillet 2013. Avec une capacité de traitement de 36.000 m3 d’eau par jour, cette usine était censée décongestionner celle de Ndjili en desservant les quartiers en hauteur de Mont-Ngafula, Lemba (Righini et Salongo particulièrement), et Selembao, soit au total 293.000 personnes à servir. Avec son air débonnaire, le directeur des opérations de la Banque mondiale, Eustache Ouayoro pouvait dire, l’air satisfait : «Ceci va à coup sûr permettre de reculer la pauvreté et améliorer tant soit peu, les conditions de vie des populations bénéficiaires, mais aussi de s’approcher des objectifs millénaires pour le développement (c’était d’ici 2008)». Depuis lors, l’usine construite par l’Unité de coordination des projets (UCOP) dans le cadre du PMURR (Programme multilatéral d’urgence pour la réhabilitation et la reconstruction) n’a fait reculer aucune pauvreté. Car, en matière de fourniture d’eau dans les quartiers visés, avant l’usine de la Lukaya est pire qu’après l’usine de la Lukaya. Entre-temps, des millions en monnaie forte sont partis en fumée.
Enfumage
Il y a également la construction du réservoir de Righini dont les habitants se posent la question de son utilité. Egalement construit sur financement Banque mondiale, il avait également suscité ces commentaires d’autosatisfaction de la part de cette institution de Bretton Wood, qui, depuis Mobutu, nous a habitué à des discours dithyrambiques en faveur des tenants du pouvoir, tout en sachant for bien que les actions qu’elle finance n’ont nul effet bénéfique sur la population.
Juste le temps de nous enfumer avec des chiffres et des données techniques nul ne retiendra. Du genre : «La ville de Kinshasa connaissait un déficit généralisé d’eau potable. Le projet PMURR a permis à la Regideso, non seulement d’augmenter la capacité de production de l’eau potable passant d’une capacité de 220 000 m3/jour à 330 000 m3/jour mais aussi de rétablir la desserte en eau potable dans 22 communes de la zone d’influence de l’usine de Ndjili sur les 24 communes de la ville de Kinshasa. Les travaux ont consisté en la réalisation d’un nouveau déversoir dans la rivière Ndjili en aval du barrage actuel, la réhabilitation des ouvrages existants, la réhabilitation d’un troisième module de dessablage, la pose de 19 300 m de grosse canalisation variant entre 250 et 1000 mm, la construction et l’équipement d’un nouveau réservoir d’une capacité de 2300 m3. Le nouveau réservoir a été installé à Gombele, quartier Righini, en renforcement d’un autre plus ancien et de même capacité. Ce qui a permis de desservir des quartiers aussi éloignés que les communes de Ngaba ou Mont-Ngafula ou des quartiers comme le campus de Kinshasa ou Kindele, dans le sud de la ville», dixit la Banque mondiale.
Haut degré de cynisme
De sorte que, continuer de nous rabattre les oreilles avec des discours sur la Banque mondiale qui a financé l’amélioration de la desserte en eau potable, c’est comme narguer le peuple avec des discours du genre cadrage macroéconomique réussi par-ci, taux de croissance record par-là, alors que nul ne voit aucune amélioration dans sa vie quotidienne.
Pendant que les habitants de Righini sont aux abois et crient à la Regideso-assassin, tout ce que cette société de distribution d’eau trouve à faire, c’est d’envoyer, en début de semaine dernière, ses agents pour couper l’eau auprès des clients soi-disant en retard de paiement de leurs factures ! Décidément, il y a des gens dotés d’un très haut degré de cynisme.
aristote kajibwami