(lemonde.fr)Kikamba est un petit village situé dans une zone aurifère du territoire de Shabunda, dans l’est instable de la République démocratique du Congo (RDC). On y trouve quelques écoles, de rares structures de santé, des boutiques, des églises… Pour survivre, les habitants cultivent du riz, du maïs, du manioc, ou vendent des produits de première nécessité.
Le 1er mai, Kikamba a été attaqué. « Selon les victimes et d’autres habitants de Kikamba, dans la soirée du 1er mai, des dizaines d’hommes armés ont pris le village d’assaut, ont pillé les maisons, battu les hommes qu’ils ont rencontrés et violé de nombreuses femmes jusqu’à l’aube », écrit Médecins sans frontières (MSF) Espagne dans un communiqué daté du 15 mai.
La région souffre de l’activisme de groupes rebelles, comme les Congolais des Raïa Mutomboki (Citoyens en colère, en swahili) et les Rwandais hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), dont des membres sont accusés d’avoir participé au génocide des Tutsis au Rwanda, qui fit quelque 800 000 morts d’avril à juillet 1994.
Répudiation et exclusion sociale
MSF s’est rendue sur place vingt-quatre heures après l’attaque pour assister « de nombreuses victimes », dont « plusieurs femmes déclarant avoir été violées », bravant la stigmatisation associée au viol, qui peut entraîner la répudiation et l’exclusion sociale. Celles qui se sont présentées à temps ont reçu un kit de prophylaxie post-exposition, qui réduit le risque d’infection au VIH.
Le bilan fait débat. MSF, qui ne nomme pas les violeurs présumés, a conclu que « 127 femmes (âgées de 14 à 70 ans) ont signalé avoir été agressées sexuellement ». Mais le 7 mai, le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha) a indiqué qu’« une dizaine de cas de viols » avait été recensée après une incursion des Raïa Mutomboki.
Lire aussi : RDC : nouveaux massacres dans le Nord-Kivu
En outre, un travailleur humanitaire a interrogé le chef de village de Kikamba, qui lui a « déclaré que 19 femmes ont été violées », dont des mineures. Ce bilan est plus plausible, pour Arsène Mubuto, médecin chef de la zone de santé de la ville de Shabunda : les « assaillants, au nombre de sept, sont rentrés dans quelques foyers », où vivaient 17 femmes. « Au cas où on aurait systématiquement violé, le nombre ne pouvait pas aller au-delà de 17 », insiste-t-il, ajoutant que deux autres femmes auraient été violées en forêt.
Chez Ocha, on se cale désormais sur les conclusions de MSF. « Nous faisons foi lorsque le protocole a été respecté par le partenaire, et MSF a l’expertise nécessaire et est un partenaire crédible », confie une source.
Bilan invraisemblable
Le docteur Mubuto continue cependant de juger « invraisemblable » le nombre de 127 viols. « « Nous avons organisé une contre-vérification », commente le Dr Mubuto. Or, à leur retour, les agents ont rapporté que les femmes avaient simplement fait des déclarations et n’avaient pas été examinées, ce qui rend les données « pas fiables ». En matière de violences sexuelles – un fléau dans l’est de la RDC – « on doit être très prudent », répète le médecin.
MSF dément toute légèreté. « Les femmes ont été vues en consultation par notre équipe médicale. Elles sont venues progressivement sur plus d’une semaine et ont bénéficié d’un suivi médical et psychologique », assure Francisco Otero y Villar, chef de mission de MSF à Bukavu, à environ 420 km à l’est de Kikamba.
Le Dr Mubuto reste sceptique et estime que les 127 cas déclarés pourraient s’expliquer par un effet pervers de l’aide humanitaire. « MSF a donné un pagne, du savon, des biscuits… aux femmes. Nous pensons que (…) des femmes ce sont dit : ’Nous pouvons en recevoir aussi si on déclare avoir été violées’ . Il y a bien des gens qui s’inscrivent sur la liste des déplacés [de guerre] pour recevoir de l’assistance. » Francisco Otero y Villar réfute catégoriquement cette thèse : « il n’y a aucune relation entre l’assistance et l’arrivée de ces femmes ».