Cour constitutionnelle : l’arrêt qui divise

Jeudi 10 septembre 2015 - 10:58

Pour son baptême de feu, la Cour constitutionnelle a réussi à attirer vers elle tous les phares de l’actualité. Son arrêt est commenté dans tous les sens. Si la Majorité, particulièrement le PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie), le trouve « équilibré », dans l’opposition, on estime que l’arrêt de la Cour en a rajouté à la confusion qui entoure déjà le processus de démembrement des provinces, rendant illisible la poursuite du processus électoral. La division est bien là.

Fini le suspense, la Cour constitutionnelle a rendu, le mardi 8 août 2015, le premier arrêt de son histoire suite à une requête introduite par la Ceni. Les reports successifs des élections des gouverneurs et vice-gouverneurs de 21 nouvelles provinces issues du démembrement, par le fait du gouvernement ont ainsi permis à la cour de se prononcer sur une question d’importance. Un arrêt très attendu, car censé lever définitivement toute équivoque sur le processus de désignation de principaux animateurs de nouvelles provinces.

Après avoir auditionné les deux parties, notamment la Ceni et le gouvernement, la Cour s’est finalement prononcé. Dans l’opinion, son arrêt est interprété de diverses manières. Si la Majorité, spécialement le PPRD, s’en réjouit, d’autres dans les mêmes rangs pensent le contraire.

L’Opposition, par contre, a clairement affiché son désaccord. Elle estime que la Cour constitutionnelle a passé outre les limites que lui impose la loi en se substituant quasiment au Parlé- ment. Un acteur politique proche de la Majorité s’est interrogé à haute voix: «Avait-elle le droit de donner des injonctions aussi bien à la Ceni qu’au gouvernement ? Pire, en lieu et place de dire le droit, la Cour constitutionnelle s’est totalement versée dans la politique ».

Clément Kanku, député national du Mouvement du renouveau (Opposition), estime que l’arrêt donne des arguments au chef de l’Etat pour court-circuiter le processus censé mener aux élections des gouverneurs dans les 21 nouvelles provinces. «Est-ce que la Cour constitutionnelle serait en train de donner un chèque en blanc au chef de l‘Etat pour nommer des hauts fonctionnaires pour remplacer les fonctionnaires qui ont été élus pour un mandat de 5 ans ?», s’est-il interrogé au micro de radio Okapi.

En ordonnant à la Ceni de ne pas programmer les élections provinciales avant les élections des gouverneurs et vice-gouverneurs dans les provinces démembrées Clément Kanku y voit déjà une piste qui mène droit vers le glissement. Nous pensons que la Cour ne peut pas imposer à ce qu‘on organise les élections des gouverneurs dans les conditions actuelles. Ça serait cautionné le fameux glissement ».

Dans tous les cas, Clément Kanku note que l’arrêt de la Cour constitutionnelle rejoint l’Opposition qui a toujours dénoncé l’incapacité de la Ceni à conduire sans heurts le processus électoral. «Nous pensons que la Cour constitutionnelle n‘a fait que mettre à jour l’incapacité de la Ceni à faire son travail. L’incompétence et 1‘amateurisme des membres de ce gouvernement sont révélés au grand jour ».

Le député national PPRD Ramazani Shadary, est plus satisfait de l’arrêt rendu mardi dernier par la Cour constitutionnelle. « Moi parti (Ndlr: le PPRD) trouve que l’arrêt de la Cour constitutionnelle est un arrêt équilibré. Il, a montré les difficultés qu‘ont rencontrées les institutions. Et la Cour a indiqué que pour élire les gouverneurs, il fallait 120 jours après le démembrement (d’anciennes provinces, NDLR), les 120 jours sont déjà dépassés », s’est défendu l’élu du Maniema, par ailleurs président du groupe parlementaire PPRD à l’Assemblée nationale. En rendant son arrêt, la Cour a pris également en compte les réalités du pays, se félicite Ramazani Shadary. «Je crois que l’arrêt de la Cour est un bon arrêt, parce qu’il tient compte des réalités du pays sur le plan du droit politique et sur le plan logistique et matériel ».

Le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, évoque plutôt le « bon sens » dans la relecture qu’il se fait de l’arrêt rendu par a Cour constitutionnelle. «La Commission électorale’ nationale indépendante devra se réunir pour essayer d’examiner à son niveau la problématique qui a été créée par l’insertion d’un nouveau point à son calendrier, car dans ce calendrier n ‘existait que l’élection des gouverneurs définitifs. Or maintenant, la Commission avait inscrit un point d ‘élection des gouverneurs provisoires. Donc, c‘est un problème qui nécessite une évaluation, selon le point de vue de la Cour, qui est tout à fait marqué au coin du bon sens le plus élémentaire, mais en dehors de cela le gouvernement n‘est pas fondé à commenter les décisions d’une cour de justice », a-t-il déclaré, interrogé par RFI.

EPREUVE NON CONCLUANTE

Bien avant l’arrêt de la Cour constitutionnelle, Christophe Lutundula, député national (Majorité) relevait dans une tribune reprise sans la presse que la requête de la Ceni à la nouvelle instance judiciaire était un véritable « baptême de feu » et une «épreuve de crédibilité ». Sa réaction, après l’arrêt de la Cour, était très attendue.

De son séjour parisien, Christophe Lutundula n’a pas fait dans la dentelle. « D’abord, il est regrettable que la haute institution qui est un garant d’un état de droit et démocratique ait rendu un arrêt qui ne nous facilite pas la tâche. Celui-ci induit à des interprétations diverses et pourquoi pas à des abus », a-t-il relevé d’entrée de jeu. Et de souligner: «En effet, comme j’ai eu à le dire dans la tribune à l’Assemblée nationale, l’adoption des circonstances exceptionnelles est difficilement acceptable à l’espèce. Il n‘était pas nécessaire d’être un spécialiste pour percevoir et comprendre que l‘installation précipitée de nouvelles provinces, allait conduire à cette impasse que nous observons aujourd’hui à la limite du chaos».

Il est d’avis que « le gouvernement pouvait prendre des mesures exceptionnelles. La Cour aurait précisé que les élections des gouverneurs doivent avoir lieu dans tel timing. Elle .aurait également précisé la nature et la portée exacte des mesures que le gouvernement peut prendre de manière qu‘il n y ait ni abus, ni, confusion », rappelant par exemple que «la Cour pouvait également demander à la Ceni de ne pas organiser une autre élection avant les élections des gouverneurs, qui assurent lu transition dont on ne connaît pas encore la durée ». Il Constate cependant que « la Cour est allée un peu plus loin sans pour autant fixer la date qu‘elle aimera voir organiser les élections des gouverneurs ». Il prédit par conséquent que «tout se fera selon la volonté du pouvoir en place. C’est pourquoi je dis la tâche ne sera pas facile ». Il est convaincu que la Cour en a rajouté à la confusion qui s’est déjà créée autour du processus de démembrement des provinces. Pour lui «la Cour devrait veiller à ce que la situation soit clarifiée, qu‘il n y ait rien qui contrarie les prescrits de la Constitution et de la loi ».

« FORCE MAJEURE » TAILLEE EN PIECE
Sam Bokolombe, député national UNC (Opposition) et professeur de droit à l’Université de Kinshasa, est plus tranchant sur 1 sujet. «La Cour constitutionnelle, note--il, invoque la force majeure dans la programmation de la mise en place de nouvelles provinces. Je note que la force majeure est imprévisible et ne se prépare point. Lorsque que je me représente les conditions cavalières dans lesquelles la loi sur le découpage territorial a été adoptée, tout ce qui arrive aujourd’hui était voulu par le pouvoir en place. En outre, les présidents des bureaux provisoires des assemblées provinciales de nouvelles provinces ont été instruits de ne pas mettre en place des bureaux définitifs ».

Il poursuit en relevant qu’ »arguer de l’absence d’assemblées provinciales et de la mise en place de leurs bureaux définitifs pour justifier la nomination des gouverneurs dans le cadre des mesures transitoires préconisées par la Cour’ est un argument politicien et pervers qui ne tient pas la route. C’est tout simplement une violation intentionnelle de la Constitution. En effet, le gouvernement était censé savoir qu‘en toute logique juridique, en découpant certaines provinces, leurs assemblées se dissolvaient de plein droit. La tentative de rafistolage actuel relève de l’amateurisme et du bricolage institutionnel. On a donc provoqué et catalysé le chaos, ce qui exclut toute hypothèse de force majeure ».

LE POTENTIEL

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