Kamerhe-Kamuleta : Est-ce le début d’un bras de fer institutionnel ? (Tribune)

Mardi 22 avril 2025 - 23:59
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Une tension croissante mais discrète se dessine entre deux institutions fondamentales de la République Démocratique du Congo : l’Assemblée nationale, dirigée par Vital Kamerhe, et la Cour constitutionnelle, présidée par Dieudonné Kamuleta. Cette crise, née autour de l’affaire Bukanga Lonzo, ne se limite pas à une simple question de corruption, mais s’étend à un débat fondamental sur l’interprétation et l’application des textes constitutionnels relatifs à l’immunité parlementaire et à la séparation des pouvoirs. Au cœur de cette crise, le respect des procédures prévues par la Constitution est mis à l’épreuve, et ce non-respect potentiel de la norme constitutionnelle ouvre la voie à un conflit institutionnel qui pourrait avoir des conséquences majeures pour l’équilibre de la République.

Conformément à l’article 107 de la Constitution de la RDC, tout député national ne peut être poursuivi ou arrêté qu’avec l’autorisation préalable de l’Assemblée nationale, sauf en cas de flagrant délit. Or, dans l’affaire de Matata Ponyo, ancien Premier ministre et actuel député national, accusé dans le cadre de ce dossier emblématique, la Cour constitutionnelle n’a toujours pas adressé de demande formelle à l’Assemblée nationale pour la levée de ses immunités parlementaires, condition sine qua non avant toute procédure judiciaire. L'absence de cette démarche fondamentale crée un vide juridique préoccupant, qui remet en cause le respect des principes constitutionnels et l’équilibre entre les pouvoirs. Cet imbroglio juridique devient dès lors le cœur d’un affrontement indirect entre les institutions, à travers un désaveu implicite de la procédure légale établie par la Constitution.

Le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a rappelé, le 17 avril 2025, que l’Assemblée doit impérativement autoriser la levée de l’immunité parlementaire conformément à la Constitution, soulignant que cet acte relève de la seule compétence de l’Assemblée. Il a également précisé que l’Assemblée nationale n’avait pas été informée formellement des démarches judiciaires entreprises par la Cour constitutionnelle, ce qui aggrave le sentiment d’atteinte à son rôle fondamental. Vital Kamerhe a rappelé que cette procédure, dictée par la Constitution, vise à préserver les prérogatives de l’Assemblée nationale et à garantir que les parlementaires bénéficient de l’immunité parlementaire, un droit qui a pour but de protéger l'indépendance du pouvoir législatif face aux pressions extérieures. De plus, il a souligné que l’Assemblée nationale n’était pas seulement une institution législative, mais un organe qui incarne directement la voix du peuple et qui doit garantir l’intégrité de ses membres.

Cette déclaration de Vital Kamerhe met en lumière la divergence institutionnelle, car, bien que la procédure judiciaire se poursuive, la Cour constitutionnelle semble ignorer ce préalable législatif, ce qui fragilise l’indépendance du pouvoir législatif. Une telle situation crée une tension institutionnelle latente, où la Cour semble empiéter sur une compétence exclusive de l’Assemblée, risquant de créer un précédent dangereux pour la séparation des pouvoirs. Si cette situation perdure sans rectification, elle pourrait miner la confiance des citoyens dans la capacité des institutions à fonctionner dans les limites de la loi, alimentant ainsi un climat d’incertitude juridique qui risque d’éroder la légitimité des pouvoirs en place. En outre, Vital Kamerhe a mis l’accent sur le principe fondamental de la séparation des pouvoirs, précisant que toute ingérence dans les prérogatives de l’Assemblée nationale reviendrait à bafouer ce principe sacro-saint de l’État de droit. Il a également rappelé les précédents historiques où l’Assemblée nationale avait fait face à des tentatives de pression extérieure, en insistant sur le fait que la Constitution ne permettait aucune exception à la règle en matière de levée de l’immunité parlementaire.

L’Assemblée nationale, en tant qu’organe élu du peuple, détient des prérogatives constitutionnelles qui ne sauraient être outrepassées sans risques pour la stabilité de l’État de droit. Si la Cour constitutionnelle poursuivait l’affaire sans l’aval préalable de l’Assemblée, cela constituerait une violation directe de l’esprit et de la lettre de la Constitution, avec des implications potentiellement graves pour l’avenir de l’immunité parlementaire en RDC. Cette situation de vide procédural remet en question la capacité du système politique congolais à maintenir l’équilibre entre ses institutions, et pourrait, si elle n’est pas rectifiée, provoquer un bouleversement des pratiques constitutionnelles en RDC. Un tel précédent pourrait en effet encourager d’autres institutions à ignorer ou à contourner les dispositions constitutionnelles, créant ainsi un terrain fertile pour des dérives autoritaires ou des interventions non constitutionnelles dans les affaires politiques du pays.

En dépit de l’importance de cette question, la Cour constitutionnelle n’a pas encore pris position publiquement vis-à-vis de l’Assemblée Nationale. Elle a en effet publié l’extrait de rôle relatif à la convocation de Matata et ses co-accusés pour le mercredi 23 avril 2025. Cela renforce l’incertitude et alimente une tension de plus en plus palpable entre les deux institutions. Aucune réaction officielle n’a été enregistrée, ce qui laisse planer un climat d’ambiguïté sur l’avenir de la procédure. Cette inaction révèle non seulement une divergence sur l’interprétation de la Constitution, mais aussi un manque de communication entre les institutions, une faiblesse structurelle dans la gestion des rapports interinstitutionnels, et une remise en question de la loyauté interinstitutionnelle. Le défi réside désormais dans la capacité du système à respecter les principes constitutionnels et à préserver l’équilibre entre les pouvoirs, notamment celui de l’Assemblée nationale en tant que garant des droits des élus du peuple. Dans un tel contexte, une crise de gouvernance se profile, avec des répercussions potentielles sur la capacité du gouvernement à mener des réformes majeures et à maintenir la cohésion politique.

L’affaire Matata Ponyo cristallise ainsi une question essentielle pour l’avenir politique de la RDC : celle de la préservation de la séparation des pouvoirs, du respect des procédures constitutionnelles et de l’indépendance des institutions. Si la Cour constitutionnelle poursuit son action sans respecter l’étape de la levée de l’immunité par l’Assemblée nationale, cela pourrait précipiter une crise plus large, remettant en cause la stabilité institutionnelle et la crédibilité de l’État. Ce dossier devient ainsi un test décisif pour la capacité du pays à maintenir l’intégrité de son système juridique et à garantir la primauté du droit. Une gestion rigoureuse et respectueuse des procédures s'avère impérative, car toute dérive pourrait déstabiliser l’ensemble du système politique congolais, avec des conséquences profondes sur la confiance des citoyens envers leurs institutions. Le député Matata dispose donc en ce moment de toutes ses immunités et ne pourrait se présenter à la Cour constitutionnelle.

Cette crise institutionnelle marque alors un tournant dans la manière dont la RDC gère ses principes démocratiques et son système juridique. La façon dont les deux institutions résoudront ce différend déterminera non seulement l’avenir de l’immunité parlementaire, mais aussi la capacité du pays à respecter et faire respecter sa Constitution. La situation est donc loin d’être résolue, et l’issue de cette crise pourrait avoir des répercussions durables sur la confiance de la population dans ses institutions. Il est désormais crucial que les acteurs politiques et juridiques trouvent une solution qui permette de préserver l’équilibre institutionnel, de restaurer la confiance dans les institutions publiques et d’assurer que les principes de la Constitution ne soient pas compromis.

Tribune de Gerard Musuamba, membre du Cercle des Juristes Indépendants du Congo (CJIC).