Rebondissement dans l’affaire Kamerhe : Une telle issue était prévisible vu que des irrégularités énervaient le code de procédure pénal et la Constitution (Me Claude Kayembe)

Samedi 16 avril 2022 - 12:56
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C’est sans grande surprise que la Cour de cassation congolaise a cassé par un arrêt du 11 avril 2022, l’arrêt de la cour d’appel de Kinshasa/Gombe qui avait condamné le sieur Kamerhe à 13 de prison, réformant par-là, le jugement du TPI/Gombe qui l’avait pour sa part condamné, en substance, à 20 ans de prison.

Pour rappel, en droit positif congolais, comme dans beaucoup d’autres systèmes juridiques, la cour de cassation a pour rôle principal de juger le droit, la forme ainsi que la procédure. Elle n’intervient donc pas comme un triple degré de juridiction, car il n’existe que deux degrés de juridiction : les juridictions d’instance et les juridictions d’appel. Ainsi, la cour de cassation, casse et renvoi car elle ne connait pas du fond des affaires, sauf exceptions.

Dans le cas où elle renvoie à la cour d’appel, la cour de cassation lui passe logiquement la main afin qu’elle fasse son travail naturel, celui de statuer sur le fond des affaires, en second degré. In concreto, la cour d’appel réforme ou non les jugements du premier degré en aggravant, confirmant ou réduisant la peine (cfr affaire Kamhere et affaire Koffi Olomide en France où les peines ont été réduites)

In casu, sans refaire tout le procès Kamhere dit « procès 100 jours », je pense qu’une telle issue était prévisible vu que des irrégularités énervaient les articles 104 al 3 du code de procédure pénal et 19 de la Constitution. En bref, les avocats de la défense ont fustigé la manière dont le prévenu Kamhere avait été attrait en justice. D’après eux, il aurait fallu le faire par citation du prévenu  et non par notification. Ils ont également relevé, à juste titre, plusieurs manquements aux droits de la défense. 

En guise de rappel, il sied de préciser deux choses : 1) Qu’il s’agit en l’espèce d’un «  premier pourvoi ». Ainsi, conformément à l’article 37 al.3 de la loi coordonnée sur la cour de cassation de février 2013, le juge n’avait d’autres choix que de renvoyer vers une juridiction de même degré et autrement composée. 2) La défense de Kamhere a encore la possibilité de se pourvoir en cassation si l’arrêt à intervenir de la cour d’appel autrement composée ne lui convient pas. Dans ce cas, conformément à l’article 37 al. 5, si la cour casse pour une « seconde fois », elle statuera alors en chambres réunies et connaitra cette fois-là du fond l’affaire.

Dans un article récent, j’écrivais juste après que le sieur Kamhere avait sollicité sa liberté provisoire en cassation que, malgré l’émoi et l’incompréhension du grand public, qu’ « à la lecture de l’article 47 de la loi du 13 février 2013, il ressort sans équivoque que le législateur congolais a voulu que le pourvoi en cassation soit suspensif et que le juge de cette haute juridiction se prononce valablement sur une requête de mise en liberté provisoire concomitante audit pourvoi. C’est un choix qui peut paraitre aberrant, il n’en reste pas moins que c’est très clairement consacré par ladite loi. 

Pour être absolument objectif, la démarche du sieur Kamhere et la réponse de la Cour ne peuvent souffrir d’aucune contestation ! » ( Libération provisoire de Kamhere : analyse juridique objective, dénuée de toute passion, 7/7.cd du  15/12/2021)  

Dans un autre article beaucoup moins récent,  j’épinglais déjà des failles ainsi que la célérité avec laquelle la phase pré juridictionnelle  s’était déroulée – sur base de mon expérience passée dans deux Barreaux belges-,  en ces termes : « …Il m’est évident de voir que systématiquement, même dans de petites affaires, non seulement, des saisies sont effectuées (PC, Gsm, véhicules,...)  mais également des perquisitions surprises sont opérées (domiciles, bureaux et autres lieux suspects). Et dans des affaires financières comme celle qui retient notre attention, les juges d'instructions procèdent systématiquement à des gels des avoirs financiers. 

Souvenons-nous de l'affaire Bemba, alors qu'il ne s'agissait pas d'un délit financier, ses avoirs avaient pourtant été gelés. Les bruxellois se souviendront que même son épouse a été interpellée au volant de son véhicule pour saisir celui-ci. Dans une autre affaire, un congolais (actuellement décédé) surnommé "le millionnaire congolais", durant toutes les années qu'a duré son procès pour blanchiment, ses multiples comptes avaient été gelés.

Dans ce types d'affaires où le délit a été commis en "association", qui du reste est une circonstance aggravante, il est également impérieux de procéder par un "gros coup de filet", technique imparable qui permet aux enquêteurs de neutraliser le réseau des présumés malfaiteurs avec une certaine efficacité. Au courant de l’année 2019, j’ai été appelé à intervenir dans une affaire qui impliquait 35 suspects d’origine maghrébines et congolaises pour faux et usages de faux. Après la phase de l’ « information », les enquêteurs ont amorcé la phase de l’ « instruction » par un gros coup filet qui a neutralisé l’association. 

C’est progressivement que les différents protagonistes ont été libérés, en fonction de l’implication plus ou moins grande des uns et des autres. Et c’est seulement après huit mois que les derniers suspects ont été libérés sous condition ou non. Les interpellations à compte-goutte comme c’est le cas dans l’affaire Kamerhe, me laissent perplexe. 

Certes, elles suscitent beaucoup de satisfaction dans l’opinion publique. Cependant, avec mon regard de praticien, je grince des dents parce que dans une affaire d’une telle ampleur, interpeller de cette manière est dépourvu d’efficacité. L’impression qui est la mienne, c’est que le parquet attend qu’une personne préalablement interpellée cite une autre pour finalement se décider, le cas échant, de l’interpeller à son tour. C’est ainsi que les interpellations s’éternisent et rendent laborieuse et inefficace l’enquête. Le parquet possède un large pouvoir d’appréciation des profils des suspects dans ce type d’affaire. Il aurait donc été judicieux de décrire préalablement et en secret le profil des personnes à interpeller, puis d’établir une longue liste et ensuite leur délivrer des mandats d’amener, quitte à les libérer progressivement. Cela peut paraitre cruel et traumatisant, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une technique d’enquête imparable.   

En effet, il sied de rappeler que la phase juridictionnelle est tributaire de la phase pré juridictionnelle. En d’autres termes, lorsque l’information et l’instruction sont diligentées de la manière la plus efficace, les juges du fond sont beaucoup plus à l’aise pour condamner et prononcer les peines idoines. Il ne faut jamais perdre de vue que le sacro-saint principe de la « présomption d’innocence » qui prévaut pendant l’instruction se poursuit jusque devant le juge du fond. Et ce principe a un pendant, c’est celui du « doute qui profite à l’accusé » lequel permet avec une certaine efficacité, aux avocats de faire acquitter leur client, quand-bien même celui-ci serait le parfait coupable. Et tout cela, à la faveur d’une instruction mal ficelée ! Il ne faut donc pas crier victoire trop tôt, la logique juridique et la réalité judiciaire sont parfois implacables. Dura lex sed lex ! Cet adage vaut dans les deux sens, tant pour les inculpés, mais également pour les victimes et l’opinion qui doivent quelques fois souffrir de voir un parfait coupable acquitté. 

Elles permettent sans nul doute d’éviter, sinon de réduire considérablement les risques de déperdition de preuves et de collusion des témoins. 

En effet, dès lors que le mandat d’arrêt provisoire a été émis, marquant le passage du statut de renseignant à celui de suspect, le parquet de Matete avait la latitude d’émettre séance tenante, des mandats de perquisition (à domicile ainsi que dans les locaux professionnels) afin d’éviter que des probables complices prennent la poudre d’escampette et/ou fasses mains basses sur les éléments de preuves.  

Les pénalistes ont pu constater qu’hormis la saisie classique des documents probants, celle des appareils (smartphones, PC portables ou non, des codes d’accès aux comptes Facebook et autres) sont devenues monnaie courante et d’une efficacité inouïe, dans la mesure où une grande partie de nos conversations passent désormais par ces moyens de communications, qui se révèlent des réservoirs importants d’informations pour la justice.

J’en veux pour preuve, mon intervention dans une récente affaire ouverte au parquet de Charleroi où le GPS a permis de tracer le parcours exact d’une personne suspectée de trafic de stupéfiants en association. Alors que ce suspect niait formellement s’être rendu dans plusieurs villes où les faits avaient été perpétrés, sans la saisie préalable du véhicule, les enquêteurs n’auraient pas accédé à une information aussi capitale qui n’a pas manqué de le confondre.
Force est de constater qu’en RDC, ce genre d’affaires très spectaculaires portant sur des sommes astronomiques, reste sur le plan du symbole. L’Etat congolais ne récupère (en numéraire ou en nature) quasi jamais les sommes dilapidées (…) 

La crainte, c’est que ce genre d’affaires qui portent sur des sommes mirobolantes risque de n’ « accoucher que d’une souris ». Au grand damne des populations déjà meurtris par les multiples affaires de détournement, blanchiment et spoliation non élucidées. 

Ma crainte est d’autant plus grande qu’au moment où je couche les dernières lignes, j’apprends que le prévenu Kamerhe est déjà déféré devant la juridiction du fond pour certains volets de l’affaire. Cela est plus qu’étonnant, car l’instruction d’une telle affaire peut s’étendre sur plusieurs mois, voire plusieurs années. 

L’opinion se souviendra de l’affaire FILLON en France dont l’enjeu portait sur des sommes cent fois moins importantes (détournements de fonds publics, abus de biens sociaux, recel, emplois fictifs, manquement de la déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique). En l’espèce, elle a débuté lors de la campagne électorale de février 2017. Et ce n’est qu’en février 2020 que l’affaire a été plaidée au Tribunal correctionnel de Paris. Le jugement sera quant à lui prononcé en juin prochain. Et les exemples sont légions ! (Affaire Kamhere : Double regard d’un praticien du droit !, 7/7.cd du 07/05/2020)

Finalement, tout cela n’accrédite-t-il pas la thèse du professeur Nyabirungu qui soutient mordicus la création d’un parquet financier ? Du reste, cette idée n’est pas originale, dans la mesure où l’on dénombre dans plusieurs systèmes juridiques l’existence des parquets financiers sinon des cellules spécialisées en matières financières. En effet, la spécialisation rend beaucoup plus efficace le travail de la justice et réduit les risques d’erreurs qui peuvent avoir des conséquences dommageables. Raison pour laquelle, toujours dans le même article, je faisais une interpellation en ces termes : « Ainsi, il est impératif que les nouvelles autorités en place mettent un point d’honneur à équiper et organiser des formations afin de mettre à jour les techniques d’enquêtes des parquets. Mais également, créer des cellules spécialisées en leur sein. Au courant de l’année 2010, alors que j’assurai la défense d’une star de la musique congolaise devant le tribunal correctionnel de Bruxelles, j’ai découvert que le parquet avait, suite à la recrudescence du phénomène Ngulu, crée une énième cellule dénommée « cellule Papa Wemba ». (Ibidem)

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je milite pour la création d’une juridiction ad hoc en matière de circulation routière pour lequel je consacre d’ailleurs un ouvrage à paraitre.

Par ailleurs, plusieurs personnes se posent la question de savoir quels sont concrètement les effets d’un tel arrêt ? Est-ce que le sieur Kamhere resterait détenu jusqu’à la nouvelle décision de la cour d’appel autrement composée comme le soutient certains ? Ou, est-ce qu’il est totalement libre jusqu’à cette nouvelle décision à intervenir comme le soutiennent certains autres ? Il faut reconnaitre qu’il y a déjà une grande controverse dans le milieu des juristes. 

Sur ce point, il sied de distinguer la cassation avec renvoi et la cassation sans renvoi. Lorsqu’il y a cassation avec renvoi, on retombe devant la juridiction d’appel. Or, l’appel a sans nul doute, un effet suspensif de la décision du premier degré. Ainsi, vu que la juridiction d’appel a un effet dévolutif et évocateur dans la mesure où tout reprend A bovo (compteur à zéro), le prévenu Kamhere et consorts bénéficient donc à nouveau de la présomption d’innocence. Avec bien sûr la possibilité de confirmer, réformer en augmentant ou en diminuant la peine, voire carrément l’acquitter. Sans perdre de vue qu’elle doit avant tout se prononcer sur les irrégularités soulevées par la défense qui ont sous-tendu l’arrêt de la cour de cassation. 

Par contre, s’il s’agit d’une cassation sans renvoi, comme le permet le droit congolais, l’effet suspensif n’est pas de mise. Dans ce cas, on se réfère à la première décision.

D’aucun s’étonnent également qu’il y ait autant d’arriérés judiciaires devant la cour de cassation qui s’apparenteraient même à un véritable déni de justice, alors que le « procès 100 jours » impliquant le sieur Kamhere et consorts a été traité avec célérité. 

Ce qui révolte bien évidemment les autres justiciables qui attendent désespérément. 

Il y a-t-il un finalement arrangement politique ?

A priori non ! La procédure en elle-même, de par la célérité et le laxisme qui l’a caractérisé, notamment dans sa phase pré juridictionnelle, était déjà suffisamment biaisée que pour permettre à l’équipe de défense de profiter de s’engouffrer dans les brèches. Quand bien-même il y aurait pu avoir tractations politiques, il est très difficile aux tenants de cette thèse de la défendre valablement tant les arguments juridiques et judiciaires militent en faveur des prévenus. Les acteurs judiciaires ont probablement donné une occasion en or aux acteurs politiques. Quel dommage !

Force est de constater que le procès Kamhere est un véritable cas d’école qui met à la lumière les failles du système judiciaire congolais, lequel appel impérativement à des réformes profondes. 

En effet, en l’espèce, ni le parquet ni la partie civile n’a pu démontrer l’existence d’un acte matériel dans le chef des prévenus. Or, à défaut d’actes matériels précis qui constituent des infractions, les juges peuvent malgré tout condamner sur base d’un faisceau d’indices précis et concordants, ce qui est tout de même laborieux. 

C’est ainsi que l’enquête aurait dû prendre le temps nécessaire pour établir ou non la culpabilité. Pour rappel, une instruction se fait toujours à charge ou à décharge.

A la veille des échéances électorales, il est plus qu’impératif que le Parlement au travers de sa commission PAJ, le Gouvernement au travers de la Ministre de la justice et celui des droits humains, les nombreuses associations et ONG des droits de l’Homme ainsi que l’institution Présidence de la République s’y penchent  afin de régler avec acuité les différents problèmes qui grippent la machine judiciaire. 

En effet, les nombreux justiciables congolais, qui du reste sont des électeurs ;  et étrangers, qui du reste sont en grande partie des investisseurs, soupirent après des réformes radicales du système  judiciaire. Une telle démarche serait d’une grande noblesse et bénéfique pour le régime en place. 

Analyse de Me Claude Kayembe