En République démocratique du Congo, le président de la République peut être poursuivi pour des infractions politiques de haute trahison, d'outrage au Parlement, d'atteinte à l'honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d'initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de la fonction. Il en est de même du premier ministre (Art. 164 de la Constitution).
La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le règlement intérieur (Art. 166 de la Constitution).
Mais si la question ne se pose plus sur la responsabilité pénale d’un président en fonction, beaucoup s’interrogent du sort réservé par le constituant à tout ancien chef de l’Etat, devenu sénateur à vie (Art. 104 de la Constitution). Peut-il être poursuivi pour ces mêmes faits, si les poursuites n’ont pas été engagées pendant qu’il était en fonction ou est-il couvert d’une immunité absolue, interdisant toute poursuite ?
Parmi les innovations apportées par le constituant de 2006 dans le cadre de la lutte contre l’impunité et la garantie de la bonne gouvernance, se trouve la réaffirmation de l’indépendance du pouvoir judiciaire (Jean Louis Esambo).
Dans cette perspective, la responsabilité pénale du président de la République a été non seulement consacrée pour éviter qu’il abuse de son pouvoir, mais aussi bien encadrée et aménagée. La Constitution consacre ainsi, une responsabilité pénale qu’un ancien président ne peut échapper pour les faits dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de la fonction présidentielle.
- Une responsabilité pénale consacrée par la Constitution :
La Constitution indique clairement que la Cour constitutionnelle est le juge pénal du président de la République et du premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d'outrage au Parlement, d'atteinte à l'honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d'initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices (Art. 164).
Une interprétation téléologique ou finaliste de cette disposition constitutionnelle renseigne clairement que, les infractions commises par un président de la République à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, et qui rentrent dans les catégories énumérées, ne sont pas couvertes par une immunité de la fonction, elles sont donc punissables.
On peut facilement observer, que le constituant situe le moment de la commission de ces faits, c’est-à-dire pendant que l’on exerce la fonction du président de la République, mais ne dit pas, à quel moment, une plainte peut être déposée contre le titulaire de cette fonction, qui commettrait ces faits. Faut-il engager les poursuites pendant qu’il est encore en fonction, ou peut-on le faire après l’exercice du mandat présidentiel ?
Une porte reste grandement ouverte, seule la prescription peut juridiquement justifier l’impossibilité de toute poursuite contre un ancien président.
En précisant seulement le moment de la commission de ces infractions (dans l'exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions), sans indiquer à quelle période les poursuites peuvent être engagées ou initiées, le constituant a laissé expressément, une porte grandement ouverte quant au choix du moment pour engager les poursuites, qui peuvent être initiées pendant que l’intéressé est encore en fonction ou après l’exercice de la fonction.
De ce point de vue, seule la prescription et le décès, peuvent justifier juridiquement toute impossibilité de poursuite contre un ancien chef de l’Etat, car ne jouissant pas d’une impunité absolue !
Non seulement que la Constitution n’organise pas le régime de l’irresponsabilité pénale du chef de l’Etat pour les faits cités à l’article 164 , et repris par l’article 72 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, mais ne s’exonère pas tout ancien président de la République pour ces mêmes faits commis pendant l’exercice de sa fonction.
Comme le président en exercice, un ancien chef de l’Etat reste justiciable de la Cour constitutionnelle, selon la procédure prévue par la Constitution, la loi organique précitée et le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle, pour les faits prévus à l’article 164 de la Constitution.
Soulignons, que l’articulation entre la légitimité, la responsabilité et les pouvoirs dans la construction d’un régime politique, permet non seulement d’empêcher tout abus de pouvoirs par les dirigeants, mais contribue efficacement à l’instauration d’un Etat de droit démocratique souhaité par les citoyens (Martin MULUMBA, Thèse de doctorat portant sur la conception de la fonction présidentielle en Rd Congo).
Placé au sommet de l’Etat par le peuple, le président congolais est le chef de l’État ; il représente la Nation et il est le symbole de l’unité nationale (Art.69 al. 1er). Il veille au respect de la Constitution (Art. 69 al. 2). Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’État ; il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux (Art 69 al. 3). Son statut et ses différents pouvoirs attestent également sa prépondérance sur les autres institutions.
A l’instar de la France et de plusieurs autres pays africains, le président congolais est élu au suffrage universel direct (art. 70, al. 1er), il bénéficie donc d’une légitimité populaire importante. Il dispose de très nombreux pouvoirs importants, tous en rapport avec son rôle défini à l’article 69 de la Constitution. Pour leur mise en œuvre, il statue par voie d’ordonnances (art. 79, al. 3). Ces dernières sont contresignées par le Premier ministre (ce qui engendre une forme de responsabilité politique du chef de l’État, par principe irresponsable politiquement), hormis celles intervenant dans le cadre des articles 78 concernant la nomination du Premier ministre, 80 pour l’investiture des Gouverneurs et vice-gouverneurs de province, 84 pour l’attribution des grades dans les ordres nationaux et des décorations et 143 en qui concerna la déclaration de guerre.
Pour éviter qu’il abuse impunément de sa fonction et surtout de son pouvoir qu’il exerce au nom du peuple, le constituant a eu raison de consacrer un régime de responsabilité pénale, pour celui qui risque facilement de confondre sa personne avec la Nation qu’il incarne. Il est placé au sommet de l’Etat et non au-dessus de la loi, d’où cet intérêt de le limiter et le rendre responsable de ses actes (Martin MULUMBA, Thèse de doctorat, op cit). Il ne peut prétendre échapper à cette responsabilité après son mandat !
- Une irresponsabilité après le mandat présidentiel clairement remise en question :
En organisant la responsabilité pénale du Président de la République , le constituant n’interdit aucune poursuite contre un ancien président de la République pour les faits prévus à l’article 164 , qu’il aurait commis pendant l’exercice de ses fonctions , sinon il l’aurait dit clairement. Le mandat présidentiel étant limité dans le temps, le constituant a simplement pris la précaution de ne pas limiter la période de toute poursuite, ce qui rendrait tout ancien au-dessus de la loi, alors qu’il ne l’était pas, au moment où il exerçait la plus haute fonction de l’Etat !
D’aucuns s’interrogent sur la protection qu’accorde la loi n°18-021 du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République élus. C’est l’occasion de rappeler la notion de hiérarchie des normes prônée par Hans Kelsen, qui permet non seulement d’assurer un ordre juridique stable et cohérent, mais aussi et surtout apporte à l’ordre juridique le principe de légalité, et permet de le respecter.
De ce point de vue, loi n°18-021 du 26 juillet 2018 étant inferieure à la Constitution, ne peut jamais servir de reference pour interpréter la Constitution, mais plutôt faire sa lecture à la lumière de la Constitution, qui fonde toute sa légalité. Se pose ainsi, la question de la conformité de ladite loi à la Constitution ?
C’est l’occasion de rappeler utilement, la théorie de la hiérarchie des normes juridiques formulée par Hans Kelsen, organisant un classement hiérarchisée de l’ensemble des normes qui composent le système juridique d’un Etat de droit pour garantir la cohérence et la rigueur. Elle est fondée sur le principe qu’une norme doit respecter celle du niveau supérieur.
De ce point de vue, la loi n° 18/021 du 26 juillet 2018 sur le statut des anciens présidents de la République comme norme inférieure à la norme suprême qui est la Constitution, ne peut être considérée comme accordant aux anciens chefs de l’Etat, une immunité absolue pour les faits prévus à l’article 164, car inexistante dans le texte constitutionnel.
C’est la Constitution qui institue et organise les différents organes composant l’Etat, elle doit être considérée comme la norme la plus élevée. Cette hiérarchie des normes assure un ordre juridique stable et cohérent. Elle apporte à l’ordre juridique le principe de légalité et permet de le respecter.
Cette notion de hiérarchie des normes juridiques ne peut prendre tout son sens que si son respect est contrôlé par une juridiction. Un contrôle qui peut être effectué par exception lors d’un litige précis ou par voie d’action lors d’une saisine d’organe spécifique.
On notera ainsi, le rôle fondamental que joue la Cour constitutionnelle en République démocratique du Congo, comme gardienne de la suprématie de la Constitution par le biais du contrôle de constitutionnalité des lois dont elle est chargée.
Dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité de la loi a priori par voie d’action, elle opère un contrôle obligatoire des lois organiques avant leur promulgation, et les règlements intérieurs des chambres parlementaires, avant leur mise en application. Quant aux lois ordinaires, comme celle portant sur le statut des anciens présidents, elles peuvent faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité facultatif avant leur promulgation.
Dans sa logique de combattre toute impunité, le constituant de 2006 prévoit également un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori, par voie d’action, réservé aux citoyens eux-mêmes (art. 162, al. 2), et un contrôle a posteriori, par voie d’exception.
Cette exception d’inconstitutionnalité de la loi peut être soulevée par toute personne dans une affaire qui la concerne devant une juridiction ou par la juridiction elle-même (l’exception d’inconstitutionnalité peut donc être aussi soulevée d’office par une juridiction). La juridiction en question sursoit à statuer et saisit la Cour constitutionnelle. Ainsi, la loi n° 18/021 du 26 juillet 2018 sur le statut des anciens présidents, ne peut jamais échapper à tout contrôle de la Cour constitutionnelle.
De ce point de vue, l’existence d’un contrôle de constitutionnalité des lois par voie d’exception en complément du contrôle de constitutionnalité des lois par voie d’action est non seulement très bénéfique pour la garantie des droits, mais constitue une sécurité juridique importante, contre toute norme inférieure qui serait contraire à la Constitution.
La Constitution se situe au sommet de la hiérarchie des normes, elle se trouve au-dessus de toutes les autres règles de l’ordre juridique de l’Etat. Elle est le fondement de la validité de toutes les normes, aucune règle ne peut exister dans l’Etat si elle ne découle, directement ou indirectement, d’une règle constitutionnelle (Marie Anne Cohendet).
De ce qui précède, on peut clairement affirmer que le constituant n’a pas été amnésique en faisant de droit, tout ancien président de la République élu, sénateur à vie ( Art. 104), mais simplement, sa responsabilité pénale pour les infractions commises au moment de l’exercice de la fonction présidentielle , doit s’interpréter à la seule lumière de l’article 164 de la Constitution et de l’article 72 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
De ce point de vue, la lecture combinée des articles 164 et 104 de la Constitution doit toujours être faite à l’aide d’une interprétation systémique, qui permet non seulement de prendre le texte constitutionnel dans sa globalité, mais aussi et surtout de comprendre d’une manière claire, la responsabilité pénale du président de la République qu’il instaure.
Qu’il s’agisse de l’article 164 de la Constitution ou de l’article 72 de la Loi organique du 15 octobre 2013, rien n’empêche que les poursuites soient engagées contre un chef de l’Etat après son mandat, c’est-à-dire en étant un ancien président, donc un sénateur à vie. Toute possibilité d’engager les poursuites ou de déposer une plainte contre un ancien président pour les infractions politiques de haute trahison, d'outrage au Parlement, d'atteinte à l'honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d'initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, ne peut jamais être considérée comme contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution.
Qui peut imaginer un seul instant, que le constituant prévoit (autorise) les poursuites contre le président de la République en place pour les infractions précitées, ce qui peut facilement créer une instabilité, à la fois sur le plan institutionnel et politique, et que le même constituant, puisse se permettre d’aménager un sanctuaire d’immunités pour un ancien président qui aurait commis les mêmes faits quand il était en fonction ? La simple logique ou le bon sens, conduit à exclure catégoriquement une telle hypothèse.
On gardera à l’esprit, que l’interprétation sémiotique de l’article 164 de la Constitution ou de l’article 72 de la Loi organique du 15 octobre 2013, indique seulement le moment de la commission ces infractions, c’est-à-dire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de la fonction présidentielle, mais ne limite pas les poursuites (dépôt de toute plainte) que pendant l’exercice de cette fonction !
De ce point de vue, un ancien président de la République peut bien être poursuivi devant la Cour constitutionnelle, pour ces infractions commises par lui dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de la fonction présidentielle.
Mais, qu’il s’agisse d’un président en exercice ou d’un ancien chef de l’Etat, la procédure de mise en accusation reste complexe, voire longue. Car, il ne suffit pas simplement de déposer une plainte, mais faudra-t-il surtout, établir en fait comme en droit, la responsabilité de l’accusé, et passer la barrière du Congrès (autorisation obligation du Congrès). C’est donc, une procédure qui dépend à la fois de l’indépendance des juges et de la volonté des élus.
Martin MULUMBA
Docteur en Droit Public, Spécialité en Droit constitutionnel de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne