Les Nations unies sont-elles en mesure d’empêcher le Burundi de basculerdans la guerre civile ou pire, dans un génocide ? Non, si l’on en croit les conclusions d’une note interne qui aurait dû rester confidentielle. Adressé aux membres du Conseil de sécurité, le document signé par Hervé Ladsous, le chef du département des opérations de maintien de la paix, et révélé par le site Vice News, est un clair aveu d’impuissance.
En 1994, l’ONU avait échoué à protéger la minorité tutsi et les opposants hutu au Rwanda voisin. Après cette tragédie qui souille encore son honneur, et les promesses internationales qui ont suivi de ne jamais permettre la commission d’un autre génocide, l’organisation envisage, parmi trois scénarios possibles pour le Burundi, « des violences avec une claire dimension ethnique, avec une incitation potentielle à commettre de graves crimes tels que des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et un génocide ». Face à cette éventualité du pire, le département des opérations de maintien de la paix estime que « sans moyens supplémentaires significatifs que pourraient fournir les Etats membres » afin de permettre une intervention « en dernier recours » des casques bleus, « l’ampleur des violences dépassera les capacités de protection des Nations unies ».
28 jours pour préparer le déploiement d’une force
Dans le cas d’un déploiement militaire qui, dans une première phase, pourrait puiser dans les effectifs de la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (RDC), M. Ladsous note qu’une force d’environ 4 000 hommes aura « des capacités trés limitées pour stabiliserune ville de 500 000 habitants [la capitale, Bujumbura] dans un pays qui en compte 10 millions. » Après le feu vert du Conseil de sécurité, celle-ci ne pourrait être opérationnelle qu’après vingt-huit jours de préparation, un délai bien assez long pour commettre des massacres de grande ampleur, et ne serait en mesure de sécuriser, écrit-il, que « des infrastructures stratégiques telles que l’aéroport et les principales artères », et de n’apporter « une protection aux populations civiles que dans une poignée de quartiers de Bujumbura même s’il est fort probable que les civils seront menacés dans tout le pays ».
Autre écueil, selon le département : les casques bleus, s’ils sont déployés, ne pourront remplir pleinement leur mission de protection des civils « en l’absence d’un cadre politique et du consentement de la nation hôte ». A ce jour, la médiation menée par l’Ouganda, censée ouvrir la voie à une solution négociée, n’a permis aucune avancée. « Seule la cérémonie d’ouverture s’est tenue à Entebbe. Pour l’instant, on ne peut pas encore parler de dialogue », estime le chef de la diplomatie burundaise, Alain-Aimé Nyamitwe. Quand à l’acceptation du déploiement d’une force étrangère par Bujumbura, celle-ci est loin d’être acquise. Il y a un mois, l’Union africaineavait voté le principe de l’envoi d’une force, la Mission africaine de prévention et de protection au Burundi, composée de 5 000 hommes, mais le président Pierre Nkurunziza, dont la réélection en juillet 2015 à un troisième mandat a replongé son pays dans la crise, a opposé une fin de non-recevoir à l’organisation pan-africaine. « S’ils viennent (…), ils auront attaqué le Burundi et chaque Burundais va se lever pour les combattre », a menacé le chef de l’Etat, considérant qu’il n’y a pas de « belligérants au Burundi ».
Le 11 décembre 2015, le pouvoir avait pourtant repoussé une offensive rebelle lancée sur plusieurs sites de la capitale. La répression qui a suivi dans les quartiers contestataires aurait fait près de 200 morts. Progressivement, le niveau de violence s’accroît. Selon le Haut Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme, au moins 400 personnes ont été tuées depuis le début de la contestation populaire en avril 2015, dont environ 190 pour les seuls mois de novembre et décembre. Les tentatives du régime d’ethniciser la crise par des discours ne souffrant d’aucune ambiguïté n’ont jusque-là pas été suivies par la population, mais l’équilibre entre majorité hutu et minorité tutsi est fragile. Alors que le Rwanda soutient quasi ouvertement les embryons de rébellions naissantes et que l’est de la RDC demeure un réservoir de milices constituées sur des bases ethniques, le risque d’un embrasement régional est immense.
Une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies est attendue la semaine prochaine à Bujumbura avec l’espoir de relancer un dialogue au point mort. Pour l’heure, les médiations de l’ONU se sont soldées par des échecs. Deux de ses « facilitateurs » ont été récusés. Le premier par l’opposition, le second par le pouvoir.
Lire aussi : Au Burundi, « le black-out est presque total »
Cyril Bensimon