En RDC, une mission de contrôle a révélé qu'environ 11,7 millions de dollars avaient été détournés entre avril et juin pour la seule ville de Kinshasa. De l'argent qui était destiné à la paie des fonctionnaires et aux frais de fonctionnement de certaines administrations. Cinq ministères sont concernés dans les secteurs de l'éducation, la santé et la recherche. Un coup dur alors qu'on présentait la bancarisation de la paie des fonctionnaires en RDC comme le moyen d'éviter les détournements. Du côté de l'association congolaise des banques, on tient à rassurer : ce n'est pas le système bancaire qui en cause. Alors comment a-t-il pu s'opérer ?
Les fonctionnaires aujourd'hui en RDC sont censés se présenter en personne dans leurs établissements bancaires chaque mois, avec une pièce d'identité, pour recevoir leur salaire. Or, le contrôle opéré entre avril et juin à Kinshasa a révélé que des fausses listes étaient en circulation.
Soit des vrais fonctionnaires ont retiré leurs salaires auprès de plusieurs banques, soit il s'agit des fonctionnaires fictifs armés de fausses pièces d'identité. « Les deux cas de figures existent », confirme l'un des syndicalistes impliqué dans les opérations de contrôle, ajoutant qu'il s'agissait dès lors d'un réseau nécessairement très important.
Concrètement, cela signifie que dans chacun des cinq ministères concernés jusqu'à présent, dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de la recherche, il y a des complices qui ont créé ces fausses listes, mais aussi des milliers de bénéficiaires en bout de chaine pour retirer l'argent dans les banques, le salaire moyen n'excédant pas la centaine d'euros.
Sur les 11 millions d'euros détournés dans la capitale sur trois mois seulement, tout n'est pas partie en salaires, cela représente 60% du montant total, les 40% sont, eux, partis en faux frais. Reste à savoir si ce système de détournements existe également en province. Les syndicalistes mandatés par le gouvernement pour opérer ce contrôle sont notamment dans la province de l'Equateur pour surveiller la paie de novembre.
Un détournement d'autant plus facile à effectuer que les listes de la fonction publique ne sont toujours pas informatisées. Un travail essentiel à la fiabilisation du processus de paie qui est en cours, assure le ministre d'Etat en charge du Budget, Michel Bongongo.
L’aide des syndicats
Mais pour le ministre, l'affaire est d'autant plus grave qu'il y a toujours des centaines de milliers de vrais fonctionnaires qui, eux, ne perçoivent toujours pas de salaires. « Ce phénomène malveillant des non-payés constitue une véritable épine pour le fonctionnement de l’Etat. C’est ainsi que sous l’impulsion du chef de l’Etat, le Premier ministre m’a instruit de veiller à ce qu’un contrôle systématique s’opère. »
Le ministre confie qu’au départ, il avait « des difficultés » à concevoir comment il allait entamer cette opération de contrôle. « Heureusement il y a eu ces jeunes médecins qui n’étaient pas payés et nous avons commencé à essayer de comprendre ce phénomène. Et nous avons découvert la fraude et c’est à partir de là, avec les syndicats des médecins, que nous nous sommes dits : commençons cette opération avec les syndicalistes, avec les fonctionnaires. Ce sont les fonctionnaires eux-mêmes, comme syndicalistes, qui contrôlent leurs propres collègues fonctionnaires, ceux qui ont la charge de contrôler la paie. »
Les banques se défendent
Pour Michel Losembe, directeur général de la BIAC (Banque internationale pour l'Afrique au Congo) et président de l'Association congolaise des banques, ce n'est ni la bancarisation, ni les banques qui sont en cause, il faut chercher les responsabilités ailleurs.
« Le détournement ne s’est pas fait dans le système bancaire. La fraude porte sur la détermination des listes avant d’arriver dans les banques. C’est-à-dire que les banques, qui ont été malheureusement prises indirectement dans cette malversation, l’ont été de bonne foi dans le sens où elles ont reçues des listes de personnes qui étaient supposées être des fonctionnaires », assure-t-il. La chaîne de faux est « partie du sommet », selon lui.
L’une des sources du problème, estime Michel Losembe, vient du fait que le processus des listes reste encore essentiellement manuel. « Le gouvernement est en train de travailler à un programme d’informatisation mais jusqu’à aujourd’hui la partie manuelle de la gestion des listes reste très importante. Par la force des choses, cela permet un certain nombre de fraudes qui malheureusement se sont matérialisées le mois dernier. »
« C’est une fraude de grande ampleur », reconnaît-il. Et de conclure : « Nous n’avons pas encore tous les éléments de l’enquête qui est en cours au niveau du gouvernement. Mais vraisemblablement, sur la méthode, c’est des fausses listes de faux fonctionnaires et l’utilisation de bonne foi du système bancaire au milieu qui a payé des individus qui, en apparence, étaient des fonctionnaires. »
LRP