L’Ecole de Droit de New York (New York Law School) compte avec celle de l’Université de Harvard et d’autres universités américaines parmi les meilleures écoles ou facultés de droit de la planète et y être invité constitue un rare privilège dont un petit nombre d’universitaires peuvent se prévaloir.
Du 13 au 15 novembre 2014, New York Law School a organisé une conférence internationale sur les 20 ans du constitutionnalisme et de la démocratie en Afrique du Sud. De nombreuses personnalités américaines et africaines du monde politique et scientifique se sont retrouvées à cette occasion pour réfléchir non seulement sur le constitutionnalisme et la démocratie en Afrique du Sud mais aussi sur l’ensemble du continent africain depuis la fin de l’apartheid.
La République Démocratique du Congo, notre pays, y a été représentée par Dr Junior Kabange qui a récemment obtenu son diplôme de doctorat après la présentation d’une exceptionnelle thèse en droit à l’Université d’Afrique du Sud et qui rejoint bientôt l’Université de Kinshasa mais aussi et surtout par le professeur André Mbata.
A cette occasion, le brillant constitutionnaliste congolais qui avait publié en juillet dernier un intéressant ouvrage (Mbata Mangu, A., Hommage à Nelson Mandela : Leçons de leadership pour les dirigeants africains et du monde présent et à venir, Kinshasa : IDGPA, 2014) préfacé par le prof Tukumbi Lumumba-Kasongo de Cornell University aux Etats-Unis, a fait une communication sur la Contribution de Nelson Mandela à la promotion du constitutionnalisme et de l’Etat de droit. Cette contribution de Madiba a été analysée à plusieurs étapes de La longue marche vers la liberté de Mandela, comme juriste, comme avocat, comme combattant de la liberté de son peuple, comme « volontaire en chef » dans la campagne pour la désobéissance aux lois d’Apartheid, comme accusé, prisonnier, leader politique, et premier président noir démocratiquement élu de l’Afrique du Sud.
Pour le Prof André Mbata, célébrer la contribution de Mandela, c’est en même temps rendre hommage au Droit, aux juristes, et aux Facultés de Droit dans le changement démocratique. Pour lui, le droit est à la fois une discipline scientifique et une vie. Le droit se rapporte d’abord à la justice, à la vérité et à la défense du bien commun ou de l’intérêt de tous par opposition à l’intérêt personnel ou privé.
L’enseignant ou l’étudiant en droit ne peut que s’inscrire dans la défense de ces valeurs contrairement à la situation actuelle dans plusieurs universités africaines où la corruption a gagné les milieux universitaires au point que certains professeurs de droit sont devenus des architectes de la pérennisation des régimes autoritaires et corrompus. Il en est de même des avocats comme des juges qui baignent dans le conformisme et ont renoncé à toute indépendance pour ne dire que le droit des dirigeants.
Nelson Mandela était bien différent. Mandela avait suivi ses premiers cours de droit en 1939, lorsqu’il s’était inscrit à la Faculté de Droit de l’Université de Fort Hare dans la Province de Transkei, actuellement le Cap oriental (Eastern Cape).
Lorsqu’on considère qu’il avait obtenu son diplôme de licence en droit de l’Université d’Afrique du Sud alors qu’il était encore en prison, Nelson Mandela aura passé 50 ans à étudier le droit, un record qui dépasse celui de ses 27 ans de prison. L’un des premiers avocats noirs avec son ami Oliver Tambo, il en avait profité pour défendre les droits des plus faibles qui étaient essentiellement les noirs et à combattre le droit de l’apartheid, donnant ainsi la leçon qu’un avocat n’a pas le droit de se taire ni de se conformer à un système injuste comme celui de l’apartheid, mais il doit plutôt le combattre. Après sa libération, Mandela était devenu le père de la Constitution de l’Afrique du Sud qui est considérée comme l’une des plus progressives du monde. En tant que président, il avait prêché par l’exemple dans le respect de l’Etat de droit.
Le prof André Mbata a relevé le bon exemple de Mandela qui n’avait jamais essayé d’influencer la justice de son pays pour qu’elle lui produise des jugements selon sa volonté comme on le voit dans plusieurs pays africains où fonctionne une justice corrompue. Il avait d’abord annoncé les couleurs en procédant à la nomination des membres de la Cour constitutionnelle en se basant sur leurs mérites alors que plusieurs chefs d’Etat ne nomment à ces fonctions que des juristes à leur solde et incapables de dire le droit en toute indépendance.
Le prof André Mbata a cité quatre cas qui montrent le respect que Mandela avait pour le pouvoir judiciaire et l’Etat de droit. Le premier cas était celui de l’Affaire Makwanyane dans laquelle la Cour constitutionnelle avait aboli la peine de mort pourtant réclamée par la majorité des sud-africains. Mandela n’était pas intervenu et avait même découragé ceux qui réclamaient le referendum à ce sujet. Le prof Mbata a rappelé lui-même le cas qu’il avait porté devant la Cour suprême du Congo pour déclarer la peine de mort comme étant inconstitutionnelle et sur lequel cette Cour ne s’est toujours pas penchée depuis près de quatre ans.
Le second cas concerne l’Affaire Grootboom dans laquelle la justice avait demandé au gouvernement de construire des maisons pour des sans-logis par respect du droit au logement protégé par la Constitution. Mandela avait également laissé faire.
Le troisième cas est celui de l’Affaire de l’Association de Rugby (South African Rugby Association). Mandela avait pris une ordonnance créant une commission d’enquête sur le racisme dans le rugby sans avoir entendu l’Association concernée qui avait alors saisi la justice. Le juge avait convoqué Mandela. Le prof André Mbata a rappelé de manière pathétique comment Mandela, Président de la République, père de la nation sud-africaine alors âgé de 80 ans avait répondu à la convocation et s’était soumis à un long interrogatoire, refusant même de s’asseoir comme on le lui demandait. Même lorsque la Cour lui avait donné tort en estimant que le Président de la République n’était pas au-dessus de la Constitution et ses pouvoirs devaient aussi s’y conformer, Mandela avait accepté la décision.
Le quatrième cas concerne le respect de la Constitution en ce qui concerne le mandat présidentiel. Nelson Mandela avait renoncé à son droit de se représenter pour un second mandat que lui accordait la Constitution alors que plusieurs présidents pensent que c’est même un devoir et cherchent une présidence à vie. Pour le prof André Mbata, l’Afrique est confrontée au problème de manque de leadership véritable à l’image de celui de Mandela. Il s’agit de l’un des problèmes les plus graves que posent des dirigeants assoiffés de pouvoir, corrupteurs et corrompus.
Le prof André Mbata a conclu en estimant que Nelson Mandela avait fait une contribution extraordinaire au constitutionnalisme et à la démocratie en Afrique.
Parlant des dirigeants africains tentés de faire changer les constitutions de leurs pays pour se maintenir au pouvoir, le prof Mbata a estimé qu’ils se trompent d’époque. L’heure des despotes et des « monarques présidentiels » est terminée comme vient de le démontrer le cas Blaise Compaoré.
Pour le prof André Mbata, l’obligation pour les présidents en fonction de s’en tenir à deux mandats n’est pas un ordre des Américains qui s’ingéreraient dans les affaires africaines comme le prétendent certains fanfarons des cours présidentielles, mais plutôt le vœu des peuples africains eux-mêmes.
Plusieurs personnalités scientifiques et politiques ont partagé ce point de vue en rappelant que la mission première du juriste et des facultés de droit n’est pas de se conformer au milieu ambiant, mais de combattre l’autoritarisme comme l’avait fait Mandela. Sous l’Administration de Barack Obama dont le mandat se termine aussi en 2016, les Etats-Unis, ont-elles rappelé, seront aux côtés de ceux qui se battent pour le constitutionnalisme, le respect de l’Etat de droit et des droits des peuples qui n’ont que trop souffert sous des régimes autoritaires et corrompus. Mais le premier combat, ce sont les Africains eux-mêmes qui doivent le mener comme ils viennent de le faire au Burkina Faso et le feront dans d’autres pays où les dirigeants chercheraient à violer les constitutions pour instaurer des « monarchies présidentielles ».
Le prof André Mbata devait quitter New York lundi soir pour une série de conférences sur le continent européen.
John Mongo (CP)