Depuis la publication du livre d’Evariste Boshab, en juin 2013, la classe politique est dans tous ses états. Cet ouvrage a-t-il mis la puce à l’oreille de l’auteur politique congolais au point de consacrer son énergie à défendre la Constitution ? Plus d’une année durant, la scène politique de la RDC voit les acteurs ferrailler autour de cette problématique. L’espace politique se retrouve ainsi craqueler. Les clivages ne sont plus entre la Majorité et l’Opposition seulement, mais ils vont au-delà et concernent même la Majorité ! Cette question a soulevé et continue à provoquer des soubresauts au sein de différents milieux congolais. Autant de publications ont vu le jour, autant d’émissions radio et télé y ont été consacrées. Le monde des confessions religieuses ne s’est pas empêché de donner son point de vue. On n’oublie pas alors la levée du bouclier des jeunes d’une certaine tendance !
A ce stade de l’effervescence, quelle leçon en tirer ? Tout le monde semble avoir raison ; personne n’a tort ! Certains observateurs expriment leur indignation quant au bien fondé de ce débat autour de la révision constitutionnelle. D’aucuns soutiennent que les acteurs politiques s’adonnent là à une pure distraction car ils passent leur temps à discuter d’une matière inexistante ! D’autres répliquent en affirmant que ce débat constitue une mise en garde contre une manière rampante et subtile de procéder à la révision de la Constitution. En attendant le dépôt formel des fameux projets du gouvernement, l’expectative se poursuit.
Au-delà de ce débat, deux inconnues persistent. C’est d’abord le silence du Président de la République sur cette question. Nombreux sont ces chantres qui ne cessent claironner que le mandat en cours se trouve encore à mi-chemin, il faut attendre la fin de l’exercice pour que le Chef de l’Etat se prononce ! Ce silence favorise les différentes divagations verbales auxquelles on assiste et donne libre cours aux spéculations. L’attitude du Chef de l’Etat est-il synonyme d’évaluer jusqu’à quel niveau l’entourage peut aller ?
La seconde inconnue se rapporte au niveau de préparation de l’Opposition pour prendre la relève au cas où le Chef de l’Etat, gagné par le vent d’alternance et respectueux de l’article 220 de la Constitution, prend souverainement la décision de ne pas briguer un autre mandat quoi qu’il arrive.
L’Opposition est-elle prête à assumer cette alternance ? C’est ce point qui préoccupe le présent article.
La classe politique et la société civile congolaises peuvent-elles évoluer ?
Après 25 ans du règne du Parti-Etat, le Président Mobutu avait lancé, le 24 avril 1990, le processus démocratique. Ainsi libérés, les acteurs de tous bords s’étaient alors adonnés à la « distraction » en créant avec une fulgurante rapidité, tel un parti politique, tel une « muziki » ou association. L’essentiel consistait à faire notarier les actes constitutifs. Une année plus tard, lorsque s’annonce la convocation de la Conférence Nationale, le décor était ainsi planté. La participation à cette conférence aura montré comment le Congolais se bat pour l’accessoire en lieu place de l’essentiel. On a vu la naissance des partis et associations à la va-vite, l’essentiel étant d’aller à la Conférence et de bénéficier du perdiem.
Lorsque survient la conférence proprement dite, les participants s’étaient illustrés par une certaine désinvolture quant aux questions fondamentales, telle la forme du futur Etat (unitaire ou fédéraliste). Comme la Salle était acquise au fédéralisme, plusieurs délégués s’étaient prononcés sans réfléchir. Il fallait éviter les quolibets de la Salle et bénéficier ainsi des applaudissements des délégués. La plupart n’avaient bien compris le sens d’un Etat unitaire ou fédéraliste. La dynamique de la Salle jouant et sans trop réfléchir, les déclarations ont été plus orientés dans un seul sens.
Aujourd’hui comme hier, nous assistons presque à un scénario semblable. La révision est entrain de diviser la classe politique alors que des questions relatives au quotidien du Congolais demeurent sans suite. Les partis politiques et les organisations de la société civile paraissent oublier leur rôle d’éclaireurs de la société globale au profit des intérêts partisans. Les partis politiques se limitent à exister et à attendre « conquérir le pouvoir » ! Ils oublient les tâches fondamentales à exécuter, telle l’éducation de la population à la vie politique et à la démocratie ; la mobilisation de la population à la prise en compte des questions d’actualité, etc.
Les partis politiques ont des structures formelles, mais non spécialisées. Les personnes qui occupent des fonctions au sein de directoires des parties ont-elles des tâches précises à exécuter ? Y a-t-il des spécialistes de l’Armée, de la Santé, de la Sécurité, de la Famille, etc ? Les partis devraient former en leur sein des spécialistes chargés de certains domaines. Ce sont ces experts qui pourront, le moment venu, occuper des postes chaque fois qu’il y a formation du Gouvernement. Un parti sérieux ne devrait pas envoyer au gouvernement n’importe qui. Apparemment les rares bureaux d’études existants demeurent formels. Très peu ou presque pas de partis font appel à l’expertise sérieuse ou à l’expertise tout court.
Se préparer à l’alternance signifie une certaine anticipation. Sur ce plan, les partis politiques et la société civile n’ont pas évolué. Ils se cantonnent à des actions de dénonciation et sont caractérisés par une certaine impréparation. Ils ne font guère montre d’une avancée en termes de mise à niveau ou du traitement des dossiers tant nationaux qu’internationaux qui pourraient affecter l’avenir de la Nation. Ces derniers temps, tout est basé sur la flatterie et sur les appels de pied !
L’Opposition est-elle prête pour alternance ?
Après trente-deux ans du règne sans partage auquel le Parti-Etat avait habitué les Congolais, une certaine opinion tient au changement. Celui-ci s’effectuerait avec quelle opposition et quelle formation politique ou quelle coalition ? Depuis plusieurs années, l’observation des faits et gestes de cette opposition décourage parfois.
Elle fait montre de plusieurs déficits.
L’un de défauts majeurs des formations politiques congolaises réside dans leur manque de cohésion. Cette « malade » la poursuit depuis le lancement du processus de démocratisation. Comme une meute de chiens devant un morceau de viande, les acteurs sont prêts à s’empoigner et à se disperser quand il s’agit de postes à se partager. Mobutu a eu raison de cette opposition sur ce plan. Sans suivre les stratégies mobutiennes, Kabila semble vivre le même scénario. Ils ne parviennent pas à s’entendre quand il s’agit de l’intérêt général.
A ce jour, elle ne parvient pas à élire le porte-parole de l’opposition comme le prescrit la Constitution. Pourquoi ?
Sans devoir demander qu’elle affiche une union sacrée, l’opposition paraît se limiter à des déclarations sans un arrière fond solide. Certains observateurs voient dans son attitude un suivisme. L’Opposition semble réagir quand la Majorité a déjà pris le devant, faute d’anticipation. Cela résulte de l’absence d’un bureau d’études au niveau de nos formations en général.
Si demain Kabila était non partant, l’opposition risque d’être prise de court parce que cette option n’a pas été suffisamment mûrie. Evidemment comme la Majorité, chacun se dira en lui-même avoir une certaine audience populaire et se fiera au jugement du peuple. Il s’agit là d’un argument qui ne manque pas des limites.
Le peuple, certes souverain, mais « affamé et ignorant ».
Nous empruntons au confrère burkinabè (Le Pays ») ce jugement lorsqu’il écrit l’une de ses dernières éditions qu’un peuple affamé et ignorant n’est pas souverain. Il poursuit en écrivant que « le concept de souveraineté populaire a été conçu et utilisé pour favoriser l’intérêt général plutôt que les intérêts particuliers, et pour faciliter la marche de la société vers plus de liberté et de démocratie ».
Sans contester le droit dévolu au souverain primaire, il y a du bémol en ce qui concerne la RDC.
L’étendue de la RDC est telle que certaines pratiques « démocratiques » paraissent difficiles à appliquer. Les élections de 2006 et 2011 ont prouvé la difficulté d’un scrutin crédible et transparent. Le peuple souverain ne semble pas suffisamment informé sur les grands enjeux nationaux. Le référendum constitue un de ces enjeux. C’est l’argument-massue qu’utilisent certains pour faire valoir leur démarche. Une fois encore, nous recourons au confrère burkinabè et reconnaître avec lui que « les tenants de ce discours facile savent que le peuple souverain dont ils parlent est une masse d’anonymes en proie à la faim et à l’ignorance qui ignore royalement les enjeux politiques liés à la tenue d’un référendum… ».
L’anecdote par laquelle il termine son papier me semble intéressante car il l’applique à notre pays. Tout en se demandant jusqu’à quel point cela se vérifie, il écrit : « dans une autre république de nos tropiques, la RDC pour ne pas la nommer, des populations en sont arrivés à croire que le référendum dont il est aussi question dans ce pays, est une personnalité qui allait leur rendre visite pour améliorer leurs conditions d’existence ! ».
La sous-information dont souffrent nos populations résulte du fait que les partis politiques et la société civile ne parviennent pas à jouer leur rôle dans ce domaine. Tout se limite à nos élucubrations urbaines en oubliant que les populations rurales existent.
Noël RASHIDI