Nord-Kivu : 20 ans de trahison

Jeudi 13 novembre 2014 - 13:12

Depuis que les rebelles ougandais de l’ADF-Nalu ou ceux présumés tels alignent des exécutions sommaires des populations civiles à travers le territoire de Beni, l’heure est à la chasse aux traitres. Pour certains, il faudrait regarder du côté de la Monusco. Pour d’autres, le péril viendrait des FARDC. Quant au gouvernement central, il pointe un doigt accusateur en direction d’opposants politiques.

Le nouveau tableau sécuritaire du Nord-Kivu pourrait faire croire que l’Ouganda et le Rwanda porteraient une responsabilité moindre dans ce qui se passe dans cette partie de la République, par rapport aux « traîtres internes ». Ceux-ci passeraient même pour les principaux ennemis de la paix à l’Est du pays.

S’il est vrai que le cauchemar d’assassinats à répétition que vivent nos frères et sœurs de Beni a atteint les limites ou tolérable, il n’est pas moins vrai que la chasse aux traitres devrait se faire sur la base d’informations véritables et vérifiées. Qu’il s’agisse de suspects civils ou militaires, leur implication dans le dossier de l’ADF-Nalu devrait reposer non pas sur de simples supputations, mais sur des preuves irréfutables.

Le discours sur des cas de trahison du pays dans le dossier du Nord-Kivu n’est pas nouveau. Depuis l’époque de Mobutu, dès qu’un « point chaud » est signalé dans cette zone, les listes de traitres sont quelquefois dressées à Kinshasa, à plus de 2.000km des sites touchés par l’insécurité. Le résultat d’une telle méthode de travail est que bien souvent, vrais coupables et innocents sont jetés dans le même panier, sur fond de règlements de comptes. L’autre face du problème est que pendant que l’on traque du menu fretin, de gros poissons en profitent pour se mettre au frais, en attendant que la tempête se calme, par le biais d’une amnistie générale pour les responsables politiques des groupes armés ou d’une opération de «reddition », de « brassage » ou « mixage » pour les seigneurs de guerre et leurs troupes.
Ce qui dérange souvent, lorsqu’il est question de débusquer des traitres à la patrie, c’est la chasse aux sorcières qui sévit à Kinshasa et dans certaines villes de la République, au point que l’on finit par s’interroger sur la finalité d’une telle démarche. Ceux qui se font passer pour des « patriotes » devant l’Eternel cherchent-ils réellement à neutraliser les vrais ennemis de la paix et de la stabilité des institutions ou éliminer, à peu de frais, des adversaires politiques ?

Amoureux des seigneurs de guerre ?

Pas plus tard qu’au mois de décembre 2013, le gouvernement et la rébellion du M23 se sont retrouvés au Kenya pour conclure, à travers des « Déclarations » séparées, leur engagement à favoriser le retour d’une paix durable au Nord-Kivu. Les observateurs auront noté que tout au long des pourparlers dits de Kampala, des plénipotentiaires de Kinshasa et des émissaires du M23 se retrouvaient régulièrement autour de la même table, sous la médiation du ministre ougandais de la Défense, représentant de Yoweri Museveni, médiateur attitré désigné par la CIRGL (Conférence Internationale pour la Région de Grands Lacs).

Tout en devisant et en s’embrassant avec les délégués civils et militaires du M23, pourtant commanditaires et auteurs des massacres des civils au Nord-Kivu, les représentants du gouvernement ne voulaient pas entendre parler de Roger Lumbala, Mbusa Nyamwisi et autres, considérés comme complices des premiers. Alors que l’on accuse aujourd’hui des concitoyens d’être de mèche avec les ADF-Nalu à Beni, Kinshasa se dit prêt à accueillir dans ses murs, d’ici fin décembre 2014, des leaders de l’ex-M23 en vue de l’évaluation des « Déclarations » de Nairobi. C’est à n’y rien comprendre. Qu’y a-t-il à évaluer avec des gens que l’on qualifie de criminels et dont plusieurs sont exclus du bénéfice de l’amnistie dont le moratoire a déjà expiré ? Les congolais d’en-bas voudraient savoir car, au moment où l’on ouvre la page des traîtres, le Nord-Kivu est loin de retrouver le chemin de la paix.

L’alerte de la « Commission Vangu »

Cela fait maintenant 20 ans que l’ex-Zaïre hier et la RDCongo aujourd’hui vivent au rythme des feuilletons de trahison de leur patrie par des décideurs politiques, des officiers supérieurs de l’armée, des représentants du pays aux négociations avec les mouvements rebelles internes ou externes, des opérateurs économiques, etc. C’est dans ce pays que l’on enregistre, depuis l’invasion de l’Est par des réfugiés rwandais civils et des miliciens génocidaires Hutu en 1994, des dysfonctionnements entre les institutions (Gouvernement, Parlement) ou les commandants militaires au sujet des options à lever pour le retour de la paix et les moyens à mobiliser à cette fin.

La relecture de l’épopée des réfugiés rwandais dans les camps de Mugunga, Tingi-Tingi et autres à partir de 1994 nous apprend l’existence d’une grave divergence d’approche entre le « Président-Fondateur », le gouvernement et le HCR-PT (Haut Conseil de la République Parlement de Transition). Le feu vert du maréchal Mobutu à leur installation dans la partie Est du pays relevait d’une décision d’autorité indiscutable sous le régime d’un faux multipartisme dominé par la pensée unique. Pourtant les conclusions de la « Commission Vangu » ; du nom du patriote Vangu Mambweni d’heureuse mémoire avaient prévenu la Nation des risques politiques et financiers, écologiques et financiers contre l’ouverture des frontières nationales à des réfugiés Hutu infiltrés par des miliciens et militaires armés.
L’on n’est pas prêt d’oublier le trafic d’armes dans lequel étaient impliqués des galonnés des ex-FAZ, à la faveur des opérations « Kimia » et « Mbata ». L’on ne peut pas non plus effacer des mémoires les feuilletons des villes qui tombaient sans combat lors de l’épopée de l’AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo), parce que des responsables civils de l’ex-Zaïre et des officiers supérieurs des ex-FAZ, soutenus par l’Occident, avaient résolu de régler des comptes à Mobutu. L’on allait se rendre compte, sur le tard, que la chute du régime Mobutu avait davantage profité aux régimes de Kampala et Kigali, qu’aux filles et fils du nouveau Congo de Mzee Laurent Désiré Kabila.

Le feuilleton des trahisons s’est poursuivi avec les rébellions du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie), du MLC (Mouvement de Libération du Congo), du RCD/N (Rassemblement des Congolais Démocrates et Nationalistes) et du RCD-K-ML (Rassemblement Congolais pour la Démocratie –Kisangani-Mouvement de Libération), lesquelles avaient fait éclater le pays en « Républiquettes », entre 1998-2003. Mais à l’appel de la communauté internationale pour le Dialogue intercongolais, on a assisté à la formation d’un front commun des « belligérants », qui se sont taillé la part du lion dans le « partage équitable et équilibré » des postes. Sous le régime du 1+4, ceux qui avaient fait périr des millions de compatriotes sous les labels du gouvernement de Kinshasa et des mouvements rebelles se sont refait une virginité politique, au point de passer aujourd’hui pour des défenseurs acharnés de la cause de 75 millions de Congolaises et Congolais.
Kimp

 

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