La problématique de la connexion à haut débit en République Démocratique du Congo n’a pas encore trouvé de réponse définitive. C’est ainsi que pour mieux cerner l’évolution de l’implantation de la fibre optique sur l’ensemble du territoire national et ses enjeux, Le Phare a réalisé une interview avec l’Ingénieur en électronique, Jean Pierre Mubanga, ci-devant Consultant en la matière.
Au cours de cet entretien, l’expert a expliqué les avantages de l’implantation de la fibre optique, l’importance de l’usage combiné des faisceaux satellitaires, les retombées positives du projet «Cab 5», qui veut dire «Central African Back Bone, 5ème phase», pour le pays à divers niveaux, notamment sur les plans économique, scientifique, politique, communicationnel, etc.
Le Phare : C’est depuis plusieurs mois que le gouvernement a inauguré la fibre optique venant de Muanda jusqu’à Kinshasa. Mais l’on parle également d’une deuxième fibre optique qui quitterait les provinces pour alimenter les autres pays. De quoi s’agit-il exactement ?
Jean-Pierre Mubanga : il faut d’abord savoir que la fibre optique est un guide d’ondes (canal) généralement faite en silice (verre) qui permet de transférer des informations ou données émises à partir de diodes lasers ou de DEL. Ce guide d’ondes n’est pas d’un seul tenant, c.à.d. que le câble n’est pas continu, de bout en bout. De par la nécessité de régénérer le signal du fait de l’atténuation, il présente des segments (environ tous les 200 Km, est à noter toutefois que les meilleures fibres monomodes peuvent faire plusieurs milliers de km d’un seul tenant).
La deuxième fibre optique dont on parle ne vient que suppléer la première au cas où cette dernière poserait quelques problèmes.
En clair, la RDC n’a présentement qu’une seule fibre optique qui part de Muanda jusqu’à Kinshasa. En fait, parler de la fibre optique est une facilité de langage car dans la gaine protectrice, on trouve 12 paires de fibres monomodes, soit 24 fibres de verre servant à l’émission-réception. Mais pour faire simple et comme c’est l’usage (abusif), on parle de la fibre optique (comme si elle était unique). Cette fibre donc traverse différentes zones (sous les ponts, les routes, etc.), et c’est à ce niveau que l’on rencontre souvent de problèmes.
Dans certains milieux ruraux, des paysans ne connaissant pas l’importance de la fibre optique, il leur arrive de la couper, surtout lorsqu’elle n’a pas été bien enterrée, croyant ainsi trouver un fil en cuivre ou un câble pour attacher leurs bétails.
D’où la nécessité d’avoir des postes échelonnés au long du parcours d’implantation de la fibre pour assurer la régénération du signal et la surveillance de la continuité physique de la fibre optique (FO).
Ainsi, on peut intervenir rapidement en cas de problème. Hormis cet aspect, la coupure intervient aussi lorsque certains organismes comme la voirie ou l’Office des Routes n’ont pas été informés de l’implantation de la FO et la déterre accidentellement lors des divers travaux de construction ou d’entretien. D’où l’importance d’avoir une coordination entre les différents services et organismes, notamment REGIDESO, SNEL, etc… afin de disposer de bonnes informations quant à la cartographie des implantations avant toute exécution de leurs travaux sur terrain.
Par mesure de sécurité, il est recommandé d’assurer la redondance de la fibre optique, en ajoutant une deuxième de manière à éviter la paralysie (défaut de service) au cas où l’une des fibres serait endommagée. Bien entendu, l’implantation des fibres ne suit pas le même chemin mais les deux fibres auront les mêmes terminaisons.
Dans le cas précis de notre pays, la fibre optique part de Moanda vers Kinshasa et vice-versa. Si l’on veut instaurer la deuxième fibre, on passera par exemple par la voie du chemin de fer au lieu de prendre la voie routière. On peut aussi, avec sa permission, se servir des lignes de haute tension de la SNEL pour faire passer le câble optique (car, la fibre optique est insensible aux perturbations électromagnétiques dont ceux des lignes HT ou des éruptions du soleil… et c’est l’un de ses avantages par rapport aux satellites).
La «redondance » a pour but d’éviter qu’il y ait interruption de service, surtout pour les clients, notamment des grandes sociétés comme des opérateurs téléphoniques ou des banques. Il est important de leur assurer cette redondance, de telle sorte qu’au moment d’un incident ou d’une panne, on puisse basculer d’une fibre vers l’autre. Une autre possibilité pour assurer la redondance est d’utiliser les faisceaux satellitaires, à la réserve mentionnée ci-avant. Notons que le Congo détiendrait le record d’antennes satellites installées sur son territoire par rapport aux autres contrées.
Le Phare : Concernant les satellites, la rédaction du journal « Le Phare » a eu à s’entretenir avec un expert en la matière, qui a estimé que le coût de l’implantation effective de la fibre optique en RDC est évalué à plus de 160 milliards de dollars. Et avec le faible budget qu’a la RDC, il serait difficile de réaliser un tel projet. D’où son option de recourir aux satellites. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Pierre Mubanga : A mon avis, chaque technique présente des avantages et des inconvénients. En dehors du problème des perturbations électromagnétiques déjà évoqué, un des désavantages des satellites est le temps de réponse du signal satellitaire. C’est ce que l’on appelle « le temps de latence », qui revient à 400 millisecondes en moyenne pour les satellites géostationnaires (c.à.d. situé à environ 36000Km au-dessus de nos têtes et tournant de manière quasi synchronisé avec la Terre). Dans le domaine des télécommunications, ce temps de latence est énorme surtout en matière de transmission des données (d’informations). A titre de comparaison, le temps de latence sur la fibre optique est inférieure à 100millisécondes voire meilleure que 40milliseconde pour les très bonnes fibres en usage dans le monde. C’est dire que l’on est quatre à dix fois mieux qu’avec les satellites.
En termes des capacités, il n’y a pratiquement pas de comparaison entre les satellites et la fibre optique car cette dernière bénéficie d’une large bande passante.
Le panorama des satellites n’est pourtant pas tout sombre. On peut recourir aux satellites lorsqu’on se trouve dans des zones difficiles d’accès, telles que les zones de forêt tropicale dense et inhospitalière, marécageuses, où l’installation de la fibre optique poserait problème.
Par contre, la fibre optique est avantageuse dans la savane ou dans les zones herbeuses et peu accidentées. Ainsi, en RDC, de Muanda-Matadi à Kinshasa, cela pose peu de problèmes pour déployer la FO, puisqu’il y a des routes et des collines. De Kinshasa à Kasumbalesa, là non plus, il pose peu de soucis. La preuve en est qu’il existe déjà les câbles de la SNEL qui partent du barrage d’Inga dans la province de Bas-Congo vers le Katanga.
En revanche, lorsqu’on s’imagine tirer la FO de Mbandaka pour aller vers les zones forestières tropicales cela devient difficile epuisqu’il existe encore des zones inexplorées (où depuis que le monde existe, l’homme n’a probablement jamais mis pied). Dans ce cas, le satellite est la solution idéale !
En conclusion, nous pouvons dire que la véritable solution pour la RDC c’est un mixage des deux options : la fibre optique dans les zones d’accès facile et les satellites dans les zones difficiles d’accès.
Il est donc primordial de recourir à la cartographie et d’arrêter un plan optimal d’implantation de la fibre optique et des zones dévolues aux liaisons par satellites.
C’est vrai que la fibre optique a un coût très élevé, mais si la politique d’implantation est faite de manière professionnelle et rationnelle, il n’y a pas de soucis puisqu’elle est incontournable.
En plus, le problème ne réside pas seulement au niveau du coût mais aussi de la politique d’exploitation, une fois implantée, pour qu’elle soit rentable.
Le Phare : Est-ce que l’implantation de la fibre optique a été faite selon les règles de l’art ?
Jean-Pierre Mubanga : Les contraintes que l’on rencontre actuellement me pousseraient à dire qu’elles ne sont pas rédhibitoires et il y a possibilité d’y remédier. Du reste, elle fonctionne et est exploitée actuellement. Certes, il y a eu des fautes, des lacunes, etc., mais l’on ne peut pas jeter le bébé avec l’eau de bain. La fibre optique entre Kinshasa et Muanda est séjà posée. Donc, il faut s’assurer qu’elle fonctionne avec une qualité de service correcte et qu’elle soit fiable. Il faut que les gens est travaillent au niveau de la SCPT, puisque c’est elle qui en assure l’exploitation, rendent un service de qualité pour que les clients soient satisfaits. Dans un passé récent, cela n’a malheureusement pas été le cas.
Le Phare : La SCPT est-elle impliquée totalement dans le domaine de la fibre optique ?
Jean-Pierre Mubanga : Si, elle est impliquée totalement. La SCPT est en réalité l’exploitant officiel de la fibre optique. Mais le problème est que celle-ci n’a pas les capacités techniques voulues pour pouvoir exploiter seule la fibre optique. C’est ainsi qu’elle collabore avec des sous-traitants, en l’occurrence des sociétés chinoises, afin d’assurer le QOS ou la qualité de service que demandent par exemple les opérateurs des télécommunications.
Le Phare : Est-ce que la RDC a procédé à une étude de faisabilité sur le terrain, sur tous les plans, avant de se lancer dans la réalisation du projet ?
Jean-Pierre Mubanga : Bien sûr ! La difficulté est que l’urbanisation au Congo est chaotique. On construit où l’on veut, sans respecter le plan d’urbanisme. D’où l’importance de la sensibilisation de la population sur la question et une communication entre différents services de l’Etat, que ce soit au niveau du génie civil, des travaux publics et de l’aménagement du territoire avant qu’il y ait un premier coup de pioche, pour ne pas endommager la fibre optique.
A-t-on un plan d’aménagement du territoire, un plan d’urbanisme ? Les respecte-t-on ? Et plus crucial, sévit-on contre les contrevenant ?
Ces aspects sont pris en compte et respectés dans des contrées où l’on utilise la fibre optique depuis le début…
Le Phare : Dans combien de temps les travaux de la deuxième fibre prendront-ils fin ?
Jean-Pierre Mubanga : La ligne Kinshasa Kasumbalesa est quasiment terminée. Je pense qu’elle pourrait être inaugurée dans les prochains mois. D’ailleurs, il y a un autre projet qui a été lancé la semaine dernière, appelé « Cab 5 », dont le financement par la Banque Mondiale est à hauteur de 92 millions de dollars.
Le Phare : En quoi consiste réellement le projet « CAB 5 » et quel est le bénéfice pour le Congo ?
Jean-Pierre Mubanga : C’est un autre projet qui sera profitable énormément au pays. En effet, la plupart des pays africains sont connectés via une fibre optique qui fait pratiquement le tour de l’Afrique. C’est ce qu’on appelle l’UMOJANET. Et le Congo par le point d’atterrage de Muanda, s’est raccordé à ce câble par voie maritime.
Mais il y a un autre réseau qui passe par le terrestre, c’est-à-dire qu’au lieu de contourner l’Afrique, l’on traverse cette dernière en passant notamment par le Congo : c’est le projet UHURUNET.
D’où la nécessité d’aller de Muanda à Kinshasa, de Kinshasa au Katanga et du Katanga vers la Zambie ou la Tanzanie pour se raccorder au réseau qui relie déjà vers le Kenya et autres pays de l’est africain. Ce même câble va remonter vers Goma, Beni et pourra être raccordé selon le cas au Burundi, au Rwanda et/ou à l’Ouganda et ainsi se raccorder aux autres pays de l’Est et du nord-est de l’Afrique. Ce projet est déjà mis en route.
La deuxième ligne que nous construisons (le Back BONE ou la dorsale), qui s’inscrit aussi dans ce projet, permet également de relier les pays africains parce que le CaB 5 permet de relier le Rwanda à la Tanzanie ou la Zambie via l’Est de la RDC, suite à sa position stratégique.
C’est qui fait qu’on ne peut pas concevoir de réseaux terrestres qui couvrent l’Afrique sans passer par le Congo. Et d’ailleurs, la place centrale qu’occupe notre pays est un avantage capital dans ce sens que tous les trafics qui vont passer par ce câble et qui traverseront le
Pays, seront une source des revenus. Dans la corne de l’Afrique, Djibouti par exemple, n’a pas des richesses mais elle vit principalement des taxes collectées sur l’utilisation de la fibre qui traverse son territoire. Et ça leur rapporte beaucoup d’argent.
Ainsi, pour rentabiliser l’utilisation de la fibre optique, il faut assurer la transparence dans les appels d’offres et opter :
– soit pour un marché contrôlé et régulé par l’Etat avec quelques champions économiques privilégiés (sociétés d’Etat dans lesquelles l’Etat est majoritaire) ;
– soit pour un marché très concurrentiel avec plusieurs acteurs privés, à condition que ce marché soit régulé par l’Etat en toute transparence.
Le plus important est que l’on arrête le juridisme forcené qui entrave le pays et que l’on laisse les véritables compétences techniques s’exprimer sur leur terrain. Ensuite, il faut former des techniciens dont nous avons besoin pour bâtir un pays plus beau qu’avant.
Propos recueillis par Perside DIAWAKU et Dorcas Nsomue