Pour contraindre les bailleurs récalcitrants à se procurer le contrat de bail qui doit désormais régir les rapports très souvent compliqués entre bailleurs et locataires, l’Hôtel de ville compte s’appuyer sur les magistrats et les forces de l’ordre.
Dix mois après la mise en circulation d’un nouveau contrat de bail, les autorités urbaines veulent lancer une offensive contre les propriétaires qui traînent les pieds. Instauré en mai 2013, ce document d’une page et qui coûte 7 500 francs, est en vente dans toutes les communes. La ministre provinciale des Affaires foncières, de l’Urbanisme et de l’Habitat, Nephtalie Idia Mukumukira a, dans une correspondance du 22 septembre, signifié aux bourgmestres « qu’il est temps de procéder à un contrôle pour en percevoir la portée ». Objectif : contraindre les bailleurs récalcitrants à acheter le document, seul texte légal qui manquait jusque-là et qui, désormais, va contribuer à mettre fin aux conflits entre les propriétaires et locataires dans la capitale.
Le ministre des Affaires foncières veut utiliser son pouvoir coercitif en recourant à deux services de l’Etat : la police nationale et la justice. Selon elle, les sanctions seront infligées aux récalcitrants avec le concours des procureurs généraux près les cours d’appel de la Gombe et de Matete et du commissariat provincial de la police. Les agents du service de l’Habitat accompagnés d’Officiers de police judicaire (OPJ) et d’autres policiers feront du porte-à-porte pour faciliter la réussite de l’opération.
Statu quo sur le terrain
En dehors de quelques communes, notamment Ngiri-Ngiri et Bumbu, où on a noté un engouement des bailleurs, le statu quo reste de mise partout ailleurs. Même dans les deux communes, les agents du service de l’Habitat se plaignent d’un changement brusque de comportement des bailleurs. « Ils ne viennent plus comme c’était le cas il y a presque deux mois », déplore un agent de Ngiri-Ngiri. Un de ses collègues de Bandalungwa affirme pour sa part que « la grande majorité de bailleurs de sa commune reste encore réticente pour acheter le nouveau contrat de bail dont ils ignorent, peut-être, les avantages ». Dans les services de l’Habitat de certaines communes, il semble évident que les bailleurs refusent toujours de s’engager dans cette opération qu’ils jugent, pour la plupart, en leur défaveur. « Nous n’avons jamais connu cela dans ce pays. C’est la toute première fois. Pourquoi acheter ce contrat alors qu’en plus de la somme à débourser, la commune compte encore nous prendre, à la fin de chaque mois, un montant sur le loyer que doivent payer les locataires ? » s’interroge une bailleresse. Visiblement, beaucoup de bailleurs ignorent encore que l’argent à débourser pour l’achat du contrat de bail est à la charge des propriétaires et des locataires.
Les vieilles habitudes ont la peau dure
D’après l’arrêté du gouverneur de Kinshasa, André Kimbuta Yango, « tout contrat de bail doit être visé, selon le cas, par le chef du service communal ou le chef de division ayant l’habitat dans ses attributions. Toutefois, avant de viser le contrat de bail, le service communal ou la division urbaine de l’habitat doit visiter les lieux mis en location et attester, sur procès-verbal, que ces lieux répondent aux normes de l’hygiène et de l’habitat ». Cependant, cette disposition est complètement ignorée par le bailleur et le locataire qui continuent avec les vieilles habitudes consistant à conclure, pour certains, un accord verbal, et pour d’autres, à signer une décharge rédigée sur un bout de papier volant et portant la signature du témoin, c’est-à-dire le commissionnaire. Un locataire exaspéré par les conditions imposées par son bailleur explique : « Lorsque vous voulez vous rendre au service de l’Habitat, le bailleur vous dit d’attendre le jour où Dieu vous aidera à avoir votre propre maison et des locataires, que voulez-vous que je fasse ? Pour le moment, j’accepte sa logique. Nous verrons le reste après. » L’’hygiène et la viabilité des habitations à louer intéressent très peu de locataires. « L’essentiel pour moi était de trouver une maison. Je me suis arrangé pour y faire de petits travaux. Les dépenses engagées étaient mensuellement retranchées sur le loyer, d’après un arrangement verbal avec le propriétaire », confie un autre locataire. En ce qui concerne la caution locative à verser, les dix mois exigés par certains propriétaires sont toujours de rigueur. Alors que le contrat de bail la fixe à trois mois de loyer pour un immeuble à usage résidentiel, six mois pour l’immeuble à usage commercial, et douze mois pour un immeuble à usage industriel ou socioculturel, les bailleurs, surtout ceux qui louent des immeubles à usage résidentiel, continuent d’exiger des cautions allant, parfois, jusqu’à quinze mois. Les plus rusés ont trouvé des astuces pour contourner la réglementation. Ils demandent six ou dix mois, et prétextent que les trois ou sept autres mois sont des loyers payés anticipativement. Logiquement, les locataires devraient être exemptés de tout paiement durant ces mois. Or, au contraire, certains bailleurs leur imposent de payer en alternant un mois, jusqu’à l’épuisement total de ces mois anticipatifs. Très souvent, les locataires et les bailleurs ne visitent le service de l’Habitat qu’en cas de conflit, chacun cherchant à tirer la couverture de son côté. C’est le seul moment où ils prennent conscience de l’importance de la loi en matière de bail et se retrouvent au service de l’Habitat. Or, selon l’article 6 de l’arrêté du gouverneur de Kinshasa sur le contrat de bail, « aucun litige portant sur le bail ne peut être reçu par le service communal ou la division urbaine de l’Habitat si le contrat y relatif n’a pas été visé par l’un ou l’autre de ces services.» C’est pourtant le contraire qui se passe en réalité. Les services communaux et la division urbaine de l’Habitat trouvent, dans ce genre de dossier, le moyen d’empocher quelques billets de banque.
La problématique du remboursement de la caution
A la fin du contrat de bail non visé par l’Etat, les bailleurs qui ont l’habitude de demander plus de dix mois de caution éprouvent de sérieuses difficultés à rembourser la somme perçue. Pour s’en sortir, ils attendent de trouver un nouveau locataire qui acceptera de débourser le même montant, voire ou plus, afin de rembourser le précédent locataire. Dans le cas contraire, le partant sera obligé de consommer toute sa caution avant de s’en aller. Là encore, ignorance ou pas, les bailleurs violent l’article 9 de l’arrêté du gouverneur qui stipule que « la garantie locative ne peut être réajustée en cours de bail. Elle ne pourra produire des intérêts ni être affectée au payement du loyer. Elle sera remboursée, à la fin du bail, à la valeur du dernier taux de loyer payé par le locataire, déduction faite de toutes les sommes dues au bailleur. » L’implication de la justice et de la police dans le suivi et l’évolution de la mise en circulation du contrat de bail contribuera, peut-être, à l’achat de ce document, et par ricochet, à son utilisation. En plus, l’observance de la réglementation pourrait permettre à la ville de renflouer ses caisses. Le contrat de bail dispose, autant que l’arrêté du gouverneur, que « le locataire est tenu de retenir à la source la quotité du loyer due pour le paiement de l’impôt sur le revenu locatif et de s’acquitter au plus tard le dixième jour du mois qui suit, conformément à la législation et à la réglementation en la matière. Le bailleur, quant à lui, est tenu de s’acquitter, à la fin de chaque exercice, du solde restant de l’impôt sur le revenu locatif. » Pour la ministre provinciale des Affaires foncières, de l’Urbanisme et de l’Habitat, l’objectif poursuivi est à la fois technique et fiscal. « Technique parce qu’à l’issue de cette opération, une banque de données fiables sera constituée et permettra à la ville de connaître le nombre de ses assujettis éligibles à l’impôt sur le revenu locatif », assure-t-elle. Avant d’indiquer qu’à l’aide de cette banque de données, « la perception de cet impôt sera faite aisément et pourra donner à la ville les moyens de sa politique ». Ce contrat de bail type, à en croire la ministre, « est la conjugaison des efforts croisés entre la ville et le secteur privé, en l’occurrence, l’Association des agences immobilières de la République démocratique du Congo (Assimmo) » Le mérite de ce document, souligne-t-elle, est qu’il a, en cas de divergence dans leurs obligations réciproques, des aspects juridiques qui renvoient les parties devant les instances judiciaires pour un règlement définitif du litige.