Kinshasa : Commerçante, seulement si le mari le consent

Jeudi 23 juillet 2015 - 06:26

Selon une disposition du Code de la famille de la République démocratique du Congo (RDC), les femmes doivent avoir l’autorisation de leurs maris pour exercer le commerce. Toutefois, une bonne interprétation de la loi peut permettre aux femmes d’obtenir un registre de commerce. Mais, rares sont celles qui saisissent cette brèche de peur de mettre en péril leur mariage…

«Depuis huit mois j’attends l’autorisation écrite d’Arthur pour obtenir le registre de commerce extérieur. Catholique pratiquante, je dois me montrer une femme soumise pour obtenir son accord, autrement il refusera… », confie, résignée, Fanny, vendeuse de friperies à Livulu.

« Mon mari est affecté à l’intérieur du pays et ne s’occupe presque plus de nous. J’ai sur les bras trois enfants à nourrir, vêtir, scolariser et soigner quand ils tombent malades… », précise-telle. A Yolo, où elle vit depuis trois mois avec ses enfants, c’est elle-même qui paye le loyer.

La quarantaine sonnée, cheveux court, yeux bruns foncé, lèvres ultras pulpeuses, corps de déesse, cette femme a tout pour séduire. Mais Fanny tient à sa dignité de femme civilement mariée et non séparée de corps d’avec son mari. Elle dit attendre sereinement le consentement de son mari pour obtenir le fameux sésame.

« Dans ma situation, la plupart des femmes n’ont, hélas, pas d’autre atout que de vendre leurs charmes. Je ne peux pas le faire. Je sais qu’Arthur finira par marquer son accord », assure-t-elle.

Le droit Ohada

Selon le Pr. Elie Ndomba, de la faculté de droit de l’université de Kinshasa, et expert en droit familial, la RDC étant déjà sous le droit Ohada, l’article 6 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général stipule que « nul ne peut accomplir les actes de commerce à titre de profession habituelle s’il n’est juridiquement capable d’exercer le commerce. »

Il faut donc être juridiquement capable. Et lorsque l’on combine ce droit commercial Ohada avec le doit de la famille, explique l’enseignant, l’art 448 du Code de la famille dit « la femme mariée doit obtenir l’autorisation de son mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une prestation qu’elle doit effectuer en personne. »

Mais de plus en plus de femmes demandent la révision de cette loi qu’elles jugent rétrograde. « Cette loi gêne la liberté de la femme d’exercer un métier de son choix et partant bloque son épanouissement personnel. C’est tout de même injuste ! », fait remarquer Irène, avocate et militante des droits de la femme.

Les femmes célibataires et veuves sont libres d’envisager ce qu’elles veulent. Selon le Pr. Elie Ndomba, le problème se pose pour la femme mariée. « Le mariage c’est une institution et un contrat à la fois. Et dans ce contrat il y a des clauses qui touchent à la gestion des biens », fait-il remarquer.

« Lorsque la femme ou l’homme se trouvent dans le régime de la communauté universelle, les biens qu’ils ont sont des biens communs », rappelle l’expert. « Comment l’un des conjoints peut engager ces biens dans le commerce sans le consentement de l’autre?», s’interroge-t-il.

Une brèche

Toutefois, une bonne interprétation de l’article 448 peut dispenser les femmes de l’autorisation relative au registre de commerce.

Selon le professeur Ndomba, « le commerce, on ne le fait pas que personnellement. La femme peut avoir le registre et a le magasin, mais ne pose pas personnellement les actes de commerce, elle a un gérant qui va acheter les affaires et les amener. Quelle est la prestation que la femme fait en personne ? Parce que c’est dit que la femme mariée doit obtenir l’autorisation de son mari pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une prestation qu’elle doit effectuer en personne ».

C’est cela le problème, souligne le professeur Ndomba. « Si on interprète mal cet article, on va interdire à toutes les femmes d’obtenir le registre de commerce», observe-t-il

Cependant, la plupart des femmes évitent de s’engouffrer dans cette brèche. Dans une société où le mariage est toujours un signe de prestige et d’honneur pour la femme, requérir les services d’un avocat pour expliquer clairement la situation au mari pourrait être interprété comme une « rébellion » qui peut gravement compromettre la stabilité du ménage, et même mener au divorce.

Une jeune femme mariée, rencontrée au hasard d’un détour au marché Liberté à Masina confie, docile, que « quoiqu’il fasse, c’est mon mari, je ne vais pas ester en justice pour forcer une autorisation. Dans mon éducation, mes parents ne m’ont pas appris cela. D’ailleurs, nous avons déjà deux enfants, je vais aller où… ».

Un conseiller juridique, c’est comme un médecin

Pour Maka Lombombe, défenseur judiciaire, certains hommes redoutent en fait que leurs femmes, une fois autonomes financièrement, deviennent ingérables. « Il y a beaucoup d’abus dans les foyers, mais les femmes mariées ne saisissent pas les tribunaux par peur de perdre leur mariage », observe Diulu Sylvie, présidente de l’Association des femmes avocates de la RDC.

Le professeur Ndomba conseille aux femmes d’avoir des conseillers juridiques qui peuvent les renseigner et expliquer clairement la situation à leurs époux. « Le problème de notre pays, les gens ne veulent pas aller vers les experts. Le conseiller juridique, c’est comme un médecin. Chez nous on n’a pas de médecin de famille. Quand on n’est pas juriste, on devrait avoir son conseiller juridique », affirme-t-il.

Dans le commerce il y a beaucoup d’aléas. Le Pr. Ndomba explique que les actes d’une femme ou d’un homme marié commerçant peuvent, en effet, avoir un impact sur le patrimoine familial. Car, pour recouvrer sa dette, une personne peut demander à être payée sur tous les biens mobiliers saisissables, dont l’un ou l’autre conjoint est propriétaire. Alors que l’autre n’est pas au courant.

« Pour la stabilité du ménage, il est quand même indispensable que toutes ces vérifications soient faites », conseille l’enseignant.

 

Bannière 1xBet Catfish