En attendant le dialogue, dont la matérialisation devient de plus en plus une gageure, les hommes d’églises, notamment ceux des églises de réveil et de l’Eglise du Christ au Congo (ECC), sont venus prêter main forte au pouvoir dans une croisade qui va aboutir le 5 mars 2016 au stade des Martyrs à un coup de force contre la Constitution. Prudente, l’Eglise catholique s’est mise à l’écart en refusant de se laisser instrumentaliser, à l’instar des autres, par la MP.
On aura tout vu en cette année électorale.Tous les chrétiens de Kinshasa sont invités à célébrer, ce samedi 5 mars 2016 au stade des Martyrs, un culte pour la paix en République démocratique du Congo. Selon des sources proches des organisateurs ce culte sera célébré le même jour sur l’ensemble du territoire national. Un record pour un Etat qui se veut laïc ! A première vue, les motivations de ce culte dépassent le seul cadre religieux. Le simple fait pour la ville de Kinshasa d’avoir autorisé une telle manifestation publique, en l’entourant d’une très forte médiatisation, intrigue.
Toujours est-il que ce samedi 5 mars au Stade des Martyrs, des fidèles de toutes les confessions religieuses sont appelés à un culte œcuménique pour plaider la cause de la République démocratique du Congo. Le pays serait-il en danger ? On n’en sait rien. Est-ce alors par la prière que la RDC pense résoudre ses problèmes ? Seuls les initiateurs de ces cultes en savent quelque chose.
La main noire
Et c’est à ce niveau que se pose le vrai problème. Car, en y regardant de plus près, c’est la Majorité au pouvoir qui a conçu et pris les contacts nécessaires pour cette messe noire au stade des Martyrs. Ce ne sont pas les preuves qui manquent.
On se rappelle qu’avec le durcissement du ton au sein de l’Opposition, le pouvoir en place avait interdit toute manifestation publique. Au motif de préserver l’ordre public. L’Eglise catholique était contrainte d’annuler toutes les manifestations publiques prévues le 16 février 2016. Bien plus, le même pouvoir s’est opposé à l’appel de Moïse Katumbi à une prière quotidienne pour paix en RDC. Politique de deux poids deux mesures. Et qui ne paye pas quant à l’appel au rapprochement et à la cohésion nationale.
Vu sous cet angle, le culte relève de l’exception. Qu’est-ce qui a donc changé pour que l’Hôtel de ville de Kinshasa autorise enfin un culte public en brisant les règles de sécurité et de la préservation de l’ordre public ? Il y a donc anguille sous roche. Le culte œcuménique a un agenda caché. Est-ce que les Eglises impliquées y vont comme des moutons de panurge ou comme des instruments entre les mains du pouvoir en place ? C’est là toute la question.
Ce qui est vrai c’est que, instrumentalisées, les églises de réveil, sans doute entrainées dans ce jeu par l’Eglise du Christ au Congo(ECC) de Mgr Marini Bodho, ont mordu à l’hameçon de la Majorité qui n’a jamais renoncé à son projet de glissement du processus électoral jusqu’au-delà de 2016. Dialogue politique, prière œcuménique et patati et patata procèdent des manœuvres dilatoires. L’opinion n’est pas dupe, l’Opposition non plus.
Le G7 s’insurge
Dans une déclaration faite, hier jeudi à Kinshasa, le G7 s’est longuement attardé sur ce culte aux motivations hautement politiques. Ce dernier note que « L’opinion nationale et internationale, se souviendra qu’il y a quelque temps, lorsque la CENCO a envisagé d’organiser des manifestations pacifiques des chrétiens pour honorer les martyrs de la démocratie et appeler au respect de la Constitution, le pouvoir en place s’y est farouchement opposé, allant jusqu’à solliciter l’intervention du Saint Siège pour étouffer l’initiative ». Le G7 s’étonne «de la bienveillance que le pouvoir accorde à l’activité initiée par certains pasteurs dont Mgr Marini et par une frange de la société civile, bienveillance qui se manifeste par une médiatisation à outrance bénéficiant d’espaces publics et de médias auxquels n’ont pas droit les organisations politiques et sociales qui combattent la violation de la Constitution ».
Le G7 appelle, par conséquent, aux « compatriotes qui, de bonne foi, vont répondre à cette invitation, à faire preuve de vigilance pour ne pas céder à la manipulation des marchands d’illusions et à garder à l’esprit que le vivre ensemble des congolais repose fondamentalement sur le respect de la Constitution et des lois de la République ».
Pour autant que « prier pour son pays témoigne du respect, de l’attachement et du dévouement envers celui-ci, sa Constitution et ses lois, socles des valeurs républicaines et démocratiques sur lesquelles reposent la paix civile, la cohésion nationale et la stabilité institutionnelle », le G7 craint que le culte du stade des Martyrs ne soit qu’un lieu pour pousser à la violation de la Constitution, tout en foulant aux pieds les prescrits de cette loi fondamentale en matières électorale.
Le pouvoir est aux abois. Hanté par le glissement, passage obligé pour rempiler, il remue ciel et terre pour atteindre cet objectif. Son dialogue devenant de plus en plus une gageure, il imagine des trouvailles aussi troublantes qu’inédites. Malheureusement, jusque-là celles-ci se sont révélées peu commodes et non concluantes. Si bien qu’au finish, elles n’apportent pas les résultats escomptés.
C’est donc sans surprise que l’Eglise catholique s’est retirée de l’organisation du culte du 5 mars 2016. Les catholiques, qui tiennent depuis toujours au respect de la Constitution et à l’organisation des élections dans les délais, ne pouvaient donc s’associer à cette compromission au grand jour. Seule l’ECC et quelques zélés des églises de réveil – les mêmes qui ont coopté Corneille Nangaa à la tête de la Céni – en y entrainant quelques acteurs de la Société civile proche de la Majorité présidentielle vont donc communier au stade des Martyrs.
L’argent contre l’évangile
Le culte du 5 mars 2016 est une honte pour l’église, une mese noire qui rentre en contradiction avec la justice et de l’équité, dont Jésus-Christ s’est fait le grand messager. Mais, pour l’amour de l’argent et emportés par toutes les convoitises de la chair, des « hommes de Dieu » - faudrait-il encore qu’ils le soient réellement - sont prêts à trahir Dieu et tous ceux qui ont cru en eux.
Le culte du 5 mars n’est bâti sur aucune révélation. Il s’inscrit dans un schéma politique, négocié à coup des billets de banques dont le versement total sera conditionné par la réussite de la mobilisation. Une chose est vraie. Le dialogue ne s’obtiendra ni par la multiplication des marches, ni par la prière, encore moins par les menaces de tous genres. Le vrai dialogue, c’est celui qui ne devrait en aucun moment s’écarter des prescrits de la Constitution et aboutirait, en toute sportivité, à une alternance politique selon les règles du jeu démocratique.
Bref, le rendez-vous du 5 mars est une croisade contre la Constitution. Pour s’être inscrits dans le schéma machiavélique de la MP, des hommes d’églises porteront une grande responsabilité par rapport à Dieu et à l’histoire.