François, Denis, Thomas et les autres

Mardi 2 décembre 2014 - 07:23

Étrange paradoxe qui en dit long sur ce que Frantz Fanon appelait la colonisation des esprits : les Africains écoutent François Hollande alors que les Français ne l'entendent plus. De moins en moins audible auprès de ses propres électeurs, le président fait le buzz sur la Toile africaine en répétant depuis la chute de Blaise Compaoré qu'"on ne change pas l'ordre constitutionnel par intérêt personnel". Une phrase passée inaperçue en France, où 87 % des sondés disent avoir zappé le canal Élysée, mais qui n'est pas exempte de bon sens et dont l'identité du destinataire a aussitôt été soufflée dans les oreilles des commentateurs par l'entourage présidentiel : le Congolais Denis Sassou Nguesso.

Pourquoi lui, alors qu'il n'est pas le seul confronté à ce type de situation ? Parce que Brazzaville est l'une des quelques capitales africaines où Paris a encore un peu d'influence. Chacun sait que les leçons d'un président français n'ont aucune portée à Kigali et qu'à Kinshasa ce n'est pas lui mais les Américains et l'ONU qui ont la main. Autre motif de cette personnalisation : Hollande n'apprécie guère, c'est notoire, les amitiés politiques françaises de Sassou, lesquelles se situent plutôt à droite de l'échiquier - n'a-t-il pas reçu chez lui, il y a quelques mois, un certain Nicolas Sarkozy ?

François Hollande a sans doute de la bonne volonté. Mais a-t-il vraiment saisi les enseignements de Ouaga ?

Jusqu'ici, pas de problème, si ce n'est l'éternel deux poids, deux mesures d'une politique extérieure française beaucoup moins encline à délivrer des cours de démocratie dès que l'on s'éloigne de son pré carré d'Afrique subsaharienne. Lorsque Hollande reçoit l'Égyptien Sissi, quand il se déplace à Alger, à Riyad, à Pékin ou à Jérusalem, il "fait passer des messages" - en off, bien sûr, donc invérifiables - sur les droits de l'homme, histoire de ne pas froisser ses hôtes. En Afrique noire, il n'a point de ces pudeurs, et peu importe l'ingérence. Mais là où le raisonnement devient carrément spécieux, c'est quand François Hollande exonère de sa liste des "mauvais élèves" les sept ou huit chefs d'État qui ont déjà fait modifier leur Constitution pour pouvoir se représenter à l'infini.

Pour eux, il n'est question que d'élections "libres, incontestées, pluralistes", en aucun cas de lignes rouges. En d'autres termes, Sassou Nguesso, Kabila et les autres auraient dû... s'y prendre plus tôt ! Et si l'on comprend bien, il y aurait une sorte de délai de décence (un an ? deux ans ? dix ans ?) à respecter entre un changement constitutionnel et une élection présidentielle. C'est au mieux confus, au pire absurde... François Hollande a sans doute de la bonne volonté et, pour être venu au secours du Mali et de la Centrafrique, son mot à dire. Mais a-t-il vraiment saisi les enseignements de Ouaga ?

L'insurrection populaire qui vient de s'y produire et dont il nous dit qu'elle doit servir de leçon pour les chefs d'État africains est aussi une leçon pour lui. Et notamment le fait que la figure mythique dans laquelle se reconnaît la jeunesse du Burkina et de la plupart des pays d'Afrique francophone a le visage d'un Thomas Sankara. Or Sankara n'était pas un démocrate au sens où on l'entend : il n'avait cure des élections, du multipartisme, de l'alternance et de la liberté d'expression. Ses comités de défense de la révolution et ses tribunaux populaires auraient fait bondir d'indignation les ONG si elles avaient existé à l'époque. Mais il était intègre, sincère, fier, patriote, panafricain, et rien ne le révulsait plus que les leçons de François Mitterrand, ou de tous ceux pour qui l'Afrique est le bac à sable de la bonne conscience occidentale

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