Coupes dans les budgets, croissance économique ralentie, risques de tensions sociales : la baisse des prix du pétrole -passé de 115 dollars en juin 2014 à 36 dollars aujourd'hui- a déjà commencé à se faire sentir pour les pays producteurs de pétrole en Afrique. Pour eux, 2016 ne s'annonce pas sous les meilleures auspices. Le coup est encore plus rude pour ceux qui tirent de cette production la plupart de leurs recettes budgétaires, comme l'Algérie ou le Nigeria. Pour en parler, Anthony Lattier reçoit Francis Perrin, président du centre de publication Stratégies et Politiques Énergétiques.
RFI : Francis Perrin, 2016 risque-t-elle d’être une année noire pour les pays africains producteurs de pétrole ?
Francis Perrin : Très certainement. Bien sûr, on ne connaît pas exactement le niveau des prix du pétrole en 2016. Nous n’avons pas de boule de cristal. Mais il est quand même assez probable que ce prix devrait demeurer très bas pendant au moins une bonne partie de l’année parce qu’il y a toujours trop de pétrole sur le marché mondial, ça ne va pas se résorber dès le début 2016.
L’OPEP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, continue à surproduire. Et par ailleurs nous aurons en 2016 la levée, en tout cas la levée partielle des sanctions contre l’Iran. Et l’Iran a clairement indiqué depuis plusieurs mois que dès le lendemain de la levée des sanctions ce pays augmenterait sa production et ses exportations de pétrole, ce qui contribuera évidemment encore à accroître la surproduction pétrolière mondiale. Donc très probablement 2016 sera une année difficile pour les pays producteurs de pétrole à travers le monde, y compris bien sûr sur le continent africain.
Il y a quatre grands pays producteurs de pétrole en Afrique : l’Algérie, l’Angola, le Nigeria et la Libye – un cas un peu à part en ce moment – quels sont, parmi ces pays, ceux qui sont le plus affectés par la baisse des prix du pétrole ?
Certainement la Libye et le Nigeria. Tous sont bien sûr fortement affectés. L’Algérie : rappelons que le pétrole et le gaz c’est 96 % des exportations du pays. Donc vous êtes forcément lourdement frappé. Mais l’Algérie a des réserve de change encore très importantes au niveau de sa Banque centrale.
Ce n’est pas le cas de la Libye qui fait face à des situations politique et sécuritaire internes très difficiles, l’Etat islamique qui prend pied à Syrte dans certaines parties du pays, de nombreuses milices dans l’ensemble du pays… Et des besoins de reconstruction qui sont assez considérables.
Et puis le Nigeria est frappé de plein fouet par la chute des prix du pétrole et son impact sur les prix du gaz. Il faut rappeler que même si vous êtes un producteur pétrolier et gazier, il y a un lien étroit entre les prix du pétrole et les prix du gaz. Quand les prix du pétrole chutent, les prix du gaz chutent également avec un certain délai. Et ce n’est pas donc le gaz qui va sauver un pays très dépendant par rapport au pétrole.
On voit que le Nigeria a décidé il y a quelques jours de doubler les dépenses d’investissement cette année, pour l’année 2016, afin de réduire sa dépendance au pétrole. Cette baisse prolongée des prix force donc les Etats à changer de stratégie ?
Oui. Ça, ça peut être, je dirais, un bon côté des choses. Il faut le dire avec prudence parce que c’est un tel choc ! Ces Etats sont frappés tellement brutalement que l’impact sur leur population sera – est déjà – et sera évidemment extrêmement difficile.
Mais cela peut conduire les pays qui seront ainsi, je dirais au pied du mur à prendre, à adopter certaines mesures de réforme. Réforme du secteur pétrolier. On le voit au Nigeria avec ce qui se passe concernant la société nationale, la NNPC, Nigerian National Petroleum Company, où il y a beaucoup de choses à faire en termes de réforme interne.
On le voit au niveau des subventions massives sur les prix de l’énergie. On voit ce qui se passe au Gabon par exemple, où ces subventions sur les prix des produits raffinés ont été supprimées, ce qui n’est pas évident à faire pour des populations qui y sont habituées depuis longtemps. Et de ce point de vue-là la chute des prix du pétrole est une chance.
Il est plus difficile de réformer un système de subvention sur les prix des produits pétroliers quand le pétrole baisse que quand il augmente, évidemment. Parce que là aucun gouvernement quasiment n’aura le courage politique de le faire. Certains pays montrent qu’ils sont sur le point ou en train de saisir cette occasion historique. Mais il faut souhaiter que cela soit beaucoup plus large à l’échelle du continent, notamment évidemment les pays producteurs et exportateurs de pétrole, donc environ une quinzaine sur les 54 pays que compte l’Afrique.
Et puis dans certains pays on craint aussi des tensions sociales. C’est le cas en Algérie où l’on est en train de sabrer dans les dépenses publiques, au Tchad également parce que les caisses de l’Etat sont vides. Il y a aussi dans les conséquences de la baisse des prix une crainte par ricochet en fait, de nouvelles tensions sociales ?
Sans aucun doute. Là ce sont en plus des pays qui ont une marge de manœuvre budgétaire extrêmement réduite. Certains d’entre eux – on l’a vu pour le Nigeria, l’Angola, le Gabon également, la République du Congo, pensent qu’ils peuvent trouver dans une politique d’emprunt une solution à court terme. C’est une solution, mais ce n’est qu’une solution de court terme. Si on ne procède pas à certains ajustements budgétaires en termes de politique énergétique, en termes de politique économique, il est clair que la dégradation de la situation des prix du pétrole va limiter la capacité d’emprunt de ces pays. Donc on gagne un petit peu de temps, mais un petit peu seulement.