(Par Fyfy Solange TANGAMU, sous la direction de Yves KALIKAT)
La Foire internationale de Kinshasa (Fikin) est une grande attraction foraine. Chaque année, elle tient ses assises lors des vacances scolaires, ouvrant ses portes au mois de juillet pour les refermer fin août. L’édition 2015 n’a pas fait exception. Elle s’est avérée toutefois particulière par le nombre important d’enfants en rupture familiale, communément appelés ’’shégués’’, qui y ont carrément élu domicile, désertant ainsi les rues et carrefours de la capitale.
A l’entrée principale de la Fikin, un batteur de tam-tam à la taille colossale, nous accueille. Comme il le fait d’ailleurs chaque année, lors des éditions foraines. Juchée sur un piédestal, cette sculpture imposante, peinte en blanc, est devenue le symbole même de la foire de Kinshasa.
En ce jeudi 27 août, en fin d’après-midi, nous n’avons pas de peine à franchir la grille d’accès, l’affluence du public n’étant pas du tout au rendez-vous en cette journée ouvrable. Le billet se négocie à 1.000 Fc, un tarif jugé accessible au Kinois moyen.
Sans peine, moi et ma copine Bijou, nous nous procurons nos billets auprès d’une dame assise en plein air devant des cases métalliques qui servent généralement de guichets, lors des moments de forte affluence. Une fois les billets en main, nous sommes soumis de les présenter aux agents de sécurité, postés tout le long de différentes entrées.
CARREFOUR DES MARCHANDS
Devant nous, tout aux alentours des pavillons mobilisés pour des expositions destinées au grand public, se profilent de longues colonnes de stands, disséminés à travers la vaste étendue de la foire. Certains servent de buvettes où les visiteurs viennent se désaltérer et se régaler. D’autres font plutôt office d’étalages à la vente de différents articles. On y trouve des marchandises diversifiées : des produits cosmétiques, alimentaires, des téléphones portables, des appareils électroménagers, du textile, des fournitures scolaires, des jouets…
D’autres vendeurs préfèrent pratiquement étaler leurs marchandises par terre pour attirer le plus de clients. Ils se montrent d’ailleurs plus entreprenants, en allant eux-mêmes présenter leurs produits aux visiteurs qui viennent souvent en famille, tâchant de vanter à tue-tête le mérite de leurs articles. Surtout les jouets qu’ils brandissent devant des enfants surexcités...
AMBIANCE FORAINE
Tout au long de notre parcours, des baffles superposés nous balancent des musiques tonitruantes. Des hauts parleurs diffusent concurremment des annonces publicitaires, créant une véritable cacophonie. Pas étonnant de voir les vacanciers non avertis se boucher les oreilles, une fois exposés au tintamarre des baffles ambiants.
Devant les buvettes situées autour du parc d’attraction, des marchands forains ont disposé des dizaines de chaises et des tables en plastiques de différentes couleurs (bleue, jaune, rouge, noire, blanche, marronne…) pour accueillir la clientèle.
De là, on peut facilement voir les manèges décoller et tourner dans le firmament, sous les regards hilares, amusés… de quelques parents, surveillant leurs enfants avec beaucoup d’attention.
Non loin de là, des podiums portant la marque de différents sponsors sont installés pour des jeux, des concours de danse, des spectacles, des représentations artistiques… Ici en effet, la production des concerts musicaux est devenue l’activité la plus attractive et la plus lucrative de la foire, après les pillages de la quasi-totalité des manèges en 1991 et 1993.
QUAND LES ’’SHEGUES’’ S’INVITENT
En circulant dans ce site forain, il est bien difficile de ne pas remarquer la présence des enfants en rupture familiale. Plus connus sous le sobriquet de ’’shégués’’, ces jeunes mineurs circulent souvent en groupes de deux, de trois ou plus. Cheveux crépus, dents jaunies, pieds nus, jambes couvertes de poussières, ils portent des culottes et des tee-shirts en lambeaux. Pour la plupart de garçons, ils font des navettes incessantes dans l’enceinte de la Fikin.
Nous les avons approchés pour connaître la raison de leur présence massive en ce lieu. Plusieurs d’entre eux reconnaissent qu’ils proviennent de diverses communes de la capitale : Lemba, Bandal, Kalamu, Kasa-vubu…
"J’aime venir à la foire parce qu’il y a des jeux, de la musique… ces activités ponctuelles qui me permettent de m’amuser plus que d’habitude. En plus, il y a aussi beaucoup de choses à voir ici", avoue, tout candide, Plamedie B., un garçon de 9 ans, venu avec ses amis qui rôdent au rond-point Moulaert, dans la commune de Bandal.
EN QUETE DES VIVRES ET DES SUBSIDES
"De l’ouverture à la clôture de la Fikin, nous élisons domicile ici, relaye Aimé P. Cela nous permet de faire de petits travaux que nous demandent les détenteurs des stands, moyennant un pourboire. Souvent, ils nous sollicitent pour les aider à puiser de l’eau, à nettoyer les chaises, à balayer la cour, à transporter les marchandises… Après la clôture de la Fikin, je retournerai au centre de réinsertion de Popokabaka, à Kasavubu, comme à l’accoutumée".
A quelques mètres de là, nous voyons Pako et Dieumerci, deux gamins visiblement affamés, venus du rond-point Super Lemba. "Nous attendons les restes de nourritures que vont laisser les clients de ce stand", nous confient-ils, les regards bien rivés sur une table où les consommateurs se régalent.
UNE MENACE POUR LES VISITEURS
Accusés parfois de vols, ces enfants sont toujours prompts à prendre leurs jambes au cou lorsqu’ils sont interpelés. Généralement, ils sont confondus à leurs aînés adolescents qui commettent tant des forfaits pendant la tenue de la foire. Beaucoup plus âgés, ces derniers ont l’air menaçant, leurs visages enflés et criblés de cicatrices étant déformés à force des coups reçus dans le milieu carcéral. Plus nombreux à la Fikin, ils sèment régulièrement la pagaille au moindre mécontentement, lors des concerts de musiciens en vogue.
"Les moins âgés ne sont pas des voleurs. C’est pourquoi je recours souvent à leur service pour m’aider à puiser de l’eau et pour bien d’autres travaux ménagers, en échange d’argent. Ce sont plutôt les plus âgés qui commettent des extorsions, des vols…", affirme Mamie D., vendeuse dans un stand, surprise en train de poser le gril de poissons sur le barbecue.
"Le week-end dernier, argumente une autre vendeuse, voisine à Mamie, ces ’’shégués’’ violents s’en sont pris à l’artiste musicien Ferré Gola à qui ils exigeaient de fredonner les chansons de Werrason, son ancien patron qu’il a quitté. Ayant refusé de s’exécuter après des maintes pressions, ils se sont mis à jeter des projectiles sur le podium, entrainant du coup la débandade. J’ai perdu des chaises, des vidanges de boissons, des assiettes… Nous déplorons cette situation, d’autant plus que nous ne sommes pas dédommagés".
RENFORCER LA SECURITE
La présence, à la Fikin, de ces enfants en rupture familiale est loin de faire l’unanimité. Quelques tenanciers de stands et d’autres marchands forains déplorent la recrudescence de ces jeunes qui vagabondent sur le site, semant la panique sur leur passage. Vendeuse ambulante des pains, Sakina D. fustige les cas de vols et des menaces que ces ’’délinquants’’ perpètrent à la foire. Raison pour laquelle, soutient-elle, on enregistre de moins en moins d’affluence des visiteurs à la Fikin.
Comme eux, plusieurs parents préfèrent carrément ne pas voir ces enfants en rupture familiale rôder dans les sillages. "Nous ne sommes pas en sécurité ici, se plaint un quadragénaire, tenant en main ses deux petits enfants. Il nous faut beaucoup de vigilance pour protéger nos proches, car, à la moindre distraction, on peut nous voler ou nous attaquer. Les autorités de la foire devraient renforcer la sécurité en mobilisant suffisamment des policiers qui empêcheraient ces enfants abandonnés d’accéder à ce site".