Décryptage de l’actualité brûlante avec Germain Kambinga

Mardi 4 novembre 2014 - 08:30

De notoriété publique Germain Kambinga, député national MLC, est une tête bien faite et sa parole est une sorte de boussole politique et économique qui donne un éclairage particulier sur les problèmes socié­taux de l’heure en RDC. La rédaction de C-News l’a rencontré dans un restaurant chic de la place. Disponible, ce brillant économiste est revenu sur la libération de fidèle Babala, la mo­tion Kitebi, les possibles répercussions de la crise Burkinabé en RDC. L’élu de Lukunga s’est étendu aussi sur le massacre de Beni, la santé de l’Opposition et a donné son avis sur le bilan du gouvernement Matata. Ci-dessous l’intégralité de l’interview.

Germain Kambinga, la chute de Blaise Cam­paoré aura-t-elle des con­séquences sur la RDC?

 

Écoutez, je n’aime pas ex­trapoler les inductions. Mais lorsque nous sommes « Ma­jorité » nous devons tirer les leçons de ce qui se passe ailleurs. Nous devons réori­enter notre relation avec le pays en tant que classe politique. Il faut être attentif aux aspirations du peuple. Le peuple doit voir dans ses dirigeants les défenseurs de ses intérêts. Si nous persis­tons avec cette espèce de divorce, classe politique et population, la stabilité des institutions peut être mena­cée. Il ne faut pas qu’il y ait distorsion entre le peule et le pouvoir pour ne pas ar­river à de telles extrémités. Car ce qui est arrivé ailleurs peut arriver ici. La RDC a déjà suffisamment connu les affres de la guerre pour s’offrir une nouvelle crise. Il faut faire en sorte que les évènements malheureux d’ailleurs ne se reproduisent pas ici.

 

N’y-a-t-il pas une distor­sion réelle entre la popu­lation et les institutions?

Il ne faut plus qu’il ait d’ambigüité pour la Ma­jorité quant à l’organisation des élections en 2016. Cela contribuera à lever les équi­voques avec la population. Le respect des principes constitutionnels doit aussi guider la Majorité. Il faut que le peuple sache que ses dividendes démocratiques ne soient pas sacrifiés sur l’autel des calculs politiciens. Il faut donc préserver les acquis démocratiques et les promouvoir. C’est à ce prix que la stabilité du pays sera maintenue. Les intérêts de la Majorité doivent être sub­ordonnés à l’intérêt général, c’est aussi un élément im­portant à la cohésion na­tionale. Il faut un consen­sus politique durable sur la démocratie et le respect des droits humains pour que notre génération entre au panthéon de l’Histoire du Congo. Sur les princi­pes, agissons avec moins de nombrilisme, Majorité com­me Opposition. Ce qui est arrivé au Burkina-Faso ne doit pas se produire ici car les conséquences seraient incalculables. Il faut trouver une alchimie politique pour dégager un horizon politique durablement apaisé.

Comment trouvez-vous les relations Majorité-Opposi­tion

Face à l’arrogance de la Ma­jorité, il ne faut pas répon­dre par l’outrance. Nous ris­quons de tomber ainsi dans l’obscénité démocratique. Mettons-nous au diapason de vraies problématiques de la RDC pouvoir comme op­position dans le respect du jeu démocratique.

 

Pour cela il faut une Op­position crédible. Dans quel état est-elle ?

L’Opposition est très affaib­lie à cause de l’absence sur la scène politique de deux géants : Etienne Tshisekedi pour des raisons de santé et de Jean-Pierre Bemba pour des raisons politiques à la Haye. Seules ces deux per­sonnalités peuvent mobil­iser des centaines voire des millions de personnes dans la rue. En leur absence, l’Opposition est vraiment orpheline. Cependant il ne faut pas croiser les bras. Il faut travailler pour com­bler ses immenses vides. Pour cela, il faut des partis politiques en total osmose avec le peuple congolais. Les opposants doivent cess­er d’énumérer leurs litanies victimaires. L’opposition doit entrer dans une logique de coopération ou d’intégration. Elle doit s’unir et affiner ses critères de convergence. Et chaque parti politique doit repenser sa stratégie, son programme, ses modalités de fonctionnement, sortir du nombrilisme, sortir de la guerre successorale non dite, pour construire un al­ternative. C’est à ces condi­tions qu’elle pourra faire des marches pouvant atteindre 1 million d’âmes. Et pour ça il faut qu’elle se consolide.

Il faut privilégier la cohésion pour bâtir une opposition crédible capable de mobil­iser des millions pour défen­dre ses intérêts.

 

Qu’avez-vous ressenti à la sortie de Fidèle Babala de la Haye ?

C’était pour moi, qui ent­retient des relations frater­nelles particulières avec le député fidèle Babala et sa famille, un véritablement soulagement. Une bouffée de bonheur. Sa libération 11 mois après a démontré la vacuité de la démarche de la CPI. Son arrestation cavalière avait un caractère inique et donc sa libération est une joie immense pour moi et pour sa famille. Je ne doute pas que la libéra­tion de Fidèle Babala rejail­lisse sur le dossier du séna­teur Jean-Pierre Bemba. La libération de Babala est un motif d’espérance pour les militants du MLC meurtri ces 6 dernières années par l’adversité politique. Son dynamisme et sa clairvoy­ance politique sont des atouts dont le MLC ne peut se passer.

 

Et l’attitude de la min­istre de la Justice dans ce dossier, vous a-t-elle semblé correcte ?

J’observe un droit de réserve car le dossier n’est pas en­core clos. L’avenir établira les responsabilités des uns et des autres.

On reproche au MLC d’avoir participer aux Concertations nation­ales juste pour obtenir la libération de J-P Bemba?

Nous sommes allés aux concertations nationales de manière désintéressée car nous prônons le dialogue permanent en démocratie. La question de la libéra­tion du sénateur J-P Bemba était une question subsidi­aire comme celles des au­tres prisonniers politiques du MLC. Notre participa­tion n’était pas condition­née à quoi que ce soit. Car nous avons fait la promesse de faire une Opposition ré­publicaine. En y allant nous n’étions pas naïfs. Notre participation été dictée par l’intérêt général. Nous voulions participer aux dé­bats pour consolider la dé­mocratie. Certaines de nos recommandations ont été adoptées d’autres non. Par­mi les recommandations ac­ceptées, il y a la libération de certains prisonniers du MLC et la situation d’Etienne Tsh­isekedi notamment. Quant au respect des résolutions de ce forum, elle appartient à la Majorité. Elle sera jugée par l’Histoire sur la mise en oeuvre ou non de ces recom­mandations. Nous voulions en participant aux Concerta­tions faire bouger les lignes mais nous n’avions pris aucun engagement. Nous voulions seulement apport­er notre contribution intel­lectuelle à l’édification d’un Etat de droit. L’application des résolutions des Concer­tations appartient à ceux qui ont le devoir de faire et de ne pas faire. L’Histoire est le juge ultime.

 

Non révision de l’art 220, résolution phare des Con­certations semble n’est plus liée la Majorité ? Ne vous sentez vous pas floué ?

Notre position est connue. Il ne faut pas suréagir sur cette question. Il faut tirer des sonnettes d’alarmes. Pas plus pas moins. Et le président du sénat, Léon Kengo, l’a très bien fait lors de la rentrée parlementaire. Sur cette question il n’y a donc pas d’ambigüité. Il ne faut pas agir de manière excessive ou anticipative. Nous attendons la position exacte, en définitive, de ce qui ont le mandat de gér­er la République jusqu’en 2016. Néanmoins on peut dire d’ores et déjà que toutes les réformes ne sont pas forcément bonnes. Le bénéfice démocratique nous permet de corriger cela avec l’institutionnalisation des conflits et ses modes de résolutions parce sys­tème politique. Il ne devrait pas y avoir des crises in­solubles en démocratie car si le débat parlementaire ne tranche pas, c’est le peuple par le vote qui tranchera en dernier ressort.

 

Les mécanismes de con­trôle semblent ne pas fonctionner ? Aucune victime jusqu’ici pendant cette législature. Pour­quoi ?

C’est parce qu’il y a une Majorité qui détient les clés du processus de la sanction politique. Nous nous som­mes l’Opposition et partant minoritaire. La responsabili­té de la sanction repose sur la Majorité. Celle-ci ne doit pas confondre solidarité et complicité. Nous sommes en vie pendant le mandat et le jour de l’élection c’est la mort. Parce qu’en défini­tive, l’arbitre suprême c’est le peuple. Et la Majorité doit avoir une vision escha­tologique car en politique le jugement dernier c’est le jour de l’élection. C’est cette vision qui doit nous guider dans la prise de décisions.

La motion Kitebi a-t-elle donc de chances d’aboutir ?

Ce dossier est un dossier assez particulier. Je suis de l’Opposition mais je n’ai pas signé la motion contre le ministre des finances. J’ai préféré évoquer la clause de conscience. Je suis président d’un groupe thématique au sein de la Commission Ecofin de l’Assemblée nationale et partant j’ai un accès priv­ilégié à l’information. Cette motion pose un problème de deux ordres : l’une formelle l’autre de fond. Il fallait at­tendre l’examen de la loi de réédition des comptes. La motion Kitebi ressemble à une motion de défiance contre le gouvernement sur base de la loi des finances 2015 alors encore en ex­amen au Parlement. C’est un peu de manière imagée l’incongruité de cette motion. La démarche de mes amis de l’Opposition est respect­able mais j’estime qu’ils ont mis la charrue avant le boeuf. On aurait fait oeuvre utile à attendre les conclusions de l’Ecofin sur la réédition des comptes. Cette commis­sion traite notamment des dépassements et des in­cohérences contenus dans le budget. Il fallait qu’on débatte d’abord sur les con­clusions avant d’actionner la motion contre Kitebi. C’est ce pourquoi on s’est battu en adoptant la LOFIP (loi de finances publiques) qui est une loi qui promeut le contrôle et la transparence des finances publiques. Sur le fond, les accusations me posent problème. On parle de détournements. Sans trahir les conclusions de la Commission, je peux d’ores et déjà dire qu’il n’y a pas détournement dans le chef du ministre Patrice Kite­bi. Il y a eu certainement des problèmes de service, d’imputation, d’erreur dans le code budgétaire, etc. Mais dire comme ça se ra­conte dans la ville que le ministre a pris de l’argent c’est injuste ce n’est pas sain. Il faut savoir qu’il est père de famille. Il ne faut donc pas jeter l’opprobre sur les autres parce qu’ils sont de la Majorité. Nous ne sommes pas des ennemis. Il faut que nous quittions l’animosité politique car il est facile de salir. Telle que présentée, la motion kitebi entretient la confusion dans l’opinion. Pour revenir au fond, une institution a été créée, Comité de Suivi des Accords d’Addis-Abeba, après l’adoption du budget 2013. Il fallait trouver des fonds pour financer cette institution. Je ne sais pas pourquoi le code budgé­taire du porte-parolat de l’Opposition qui est inactif s’est retrouvé là dedans. On nous a parlé d’une er­reur d’imputation avec document à l’appui. Est-ce que à ce niveau le débat doit être une motion de défiance ou la recherche de l’origine de cette erreur d’imputation ou de ce trans­fert indû. Il faut établir les responsabilités de manière équitable en attendant les conclusions techniques de l’Ecofin. Cette question peut d’ailleurs concourir à la désignation du porte-parole de l’Opposition car dans tous les budgets une rubrique lui est consacrée.

 

Quel bilan faites-vous du gouvernement de Matata après deux ans et demi de gestion ?

A la lecture d’un certain nombre des sources impar­tiales notamment la Banque mondiale, le FMI, l’indice Doing Business, ont peut dire qu’il y a normalisation en cours de l’économie. Mais il faut une dynamique qui permettra de sortir du conjoncturel pour aller vers le structurel. La croissance c’est mieux de l’avoir que de ne pas l’avoir. Notre croissance est rentière, ba­sée sur le cours du cuivre principalement, et partant limitée pour donner des so­lutions sociales durables. J’oppose à la croissance rentière la croissance pro­ductive. Cette dernière passe par la redynamisation des entreprises publiques qui constituent aujourd’hui un frein au développe­ment économique de la RDC. Les entreprises peu­vent devenir des jalons de la croissance. Il faut donc des bons managers à leur tête. Il faut aussi accélérer les réformes structurelles, notamment la libéralisation du secteur des assurances dont le boom sera compa­rable, si pas plus, que celui de la libéralisation du sec­teur des télécommunica­tions. A l’instar du secteur des télécoms, il y a aura plus d’entreprises, plus d’emplois, plus d’impôts et surtout un meilleur service. Un autre vivier de crois­sance se cache dans les PMI et PME que l’Etat doit soutenir à tout prix. Sans cela même avec une tonne de cuivre à 15000 $ l’Etat n’aura jamais les moyens de sa politique sociale. Il faut donc mettre en place un plan de redressement du secteur productif qui doit impliquer l’Etat du sommet à la base en usant notam­ment des incitations.

 

Bukanga-Lonzo, une bonne chose ?

Je salue le projet agroali­mentaire de Bukanga Lonzo. C’est un excellent projet pourvu qu’il aille à son terme. Avoir autant de parcs agroalimentaires dans le pays serait extraor­dinaire car il nous per­mettra d’assurer la sécurité alimentaire, épargnera nos devises et créera des em­plois. Des tels projets sont de nature à bouleverser les équilibres politiques et ré­gionaux.

 

Un mot pour les victimes congolaises de Beni ?

Je suis un homme de droite. Je ne fais pas de philosophie avec cette question. La so­lution passe par le renforce­ment de nos services de sé­curité. Il faut que l’Etat soit à ce point une menace pour que quiconque s’attaque à ses intérêts s’attende immanquablement à des représailles mêmes dispro­portionnelles. Lorsque les intérêts de la République sont menacés il ne faut pas y aller avec le dos de la cuillère. Il faut que notre Armée continue à se con­solider car devant ses défis je suis modeste car nos mil­itaires mettent leurs vies en jeu. Il faut que nous en tant que parlementaires nous mettions davantage des moyens à la disposition de l’Armée. Et cela passe par la résolution du dilemme économique qui nous per­mettra d’avoir des marges dans tous les domaines.

matthieu kepa

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