Quels dividendes engrange l’Etat congolais dans son acharnement à dissoudre certaines entreprises publiques à tout prix pendant que le taux de chômage dans le pays dépasse les 80% ? Quelle image projette la RDC lorsque ses gouvernants s’entêtent dans le refus d’appliquer les lois sociales en matière de suppression d’emplois, particulièrement l’indemnisation correcte des membres du personnel des entreprises dissoutes ?
Les autorités se donnent-elles la peine d’évaluer les conséquences désastreuses de leurs déclarations intempestives vis-à-vis d’éventuels investisseurs, de fidèles partenaires ou d’autres opérateurs économiques disposés à tirer du naufrage les unités de production condamnées à mort, parfois de manière injuste ?
Dispositions pertinentes de l’article 36 de
la Constitution
Dans son article 36, la Constitution de la RDC est suffisamment explicite en matière de travail. Nous citons : « Le travail est un droit et un devoir sacré pour chaque Congolais. L’Etat garantit le droit au travail, la protection contre le chômage et une rémunération équitable et satisfaisante assurant au travailleur ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine, complétée par tous les autres moyens de protection sociale, notamment la pension de retraite et la rente viagère. Nul ne peut être lésé dans son travail en raison de ses origines, de son sexe, de ses opinions, de ses croyances ou de ses conditions socio-économiques…». Fin de citation.
La situation de la société de transport en commun Citytrain constitue l’une des illustrations, du viol de la Constitution de la RDC en matière de travail. Cette société qui a rendu d’éminents services à la nation pendant plusieurs années, n’est plus que l’ombre d’elle-même.
« Citytraindelenda est ». L’Etat congolais, son unique propriétaire, a décidé de l’envoyer à la guillotine sans s’entourer des précautions d’usage. Officiellement, les dirigeants de Citytrain n’ont jamais été notifiés d’un quelconque désengagement des pouvoirs publics. C’est à travers les shows médiatiques de certains membres du gouvernement que les mandataires, cadres, agents de Citytrain et l’opinion publique ont tous appris l’option levée de la création d’une nouvelle société de transport en commun sur les cendres de Citytrain.
Laissez Citytrain mourir de sa belle mort !
Voulant s’enquérir de la situation, les sociétaires de Citytrain ont frappé à toutes les portes des institutions de la République. Pas de suite concrète. De petites phrases vicieuses et incendiaires prononcées sans état d’âme par certains officiels telles « Laissez Citytrain mourir de sa belle mort ! ».
Effectivement sur le terrain, Citytrain a effectué une descente inéluctable aux enfers. Son charroi automobile s’est réduit à dix bus de 28 places et deux bus de 56 places avec un personnel également ramené à 350 unités. L’Etat propriétaire, après l’avoir sucée jusqu’à la moelle, l’a totalement abandonnée. Pas de subsides. Réquisition intempestive du dépôt de Matete sans contrepartie. Non-paiement par l’Etat congolais de sa dette certifiée de plus de 4.300.000,- USD.
Il sied d’ajouter les effets collatéraux de cette chute vertigineuse. Des salaires impayés de plusieurs mois, des décès en cascade dans les rangs des travailleurs paupérisés et membres de famille, des ménages disloqués, des enfants déscolarisés et jetés dans les rues… Un tableau apocalyptique. Mais comment en sont-ils arrivés à cette précipitation dans les abîmes ?
En remontant l’histoire, des faits troublants indiquent la persistance du signe indien sur cette société de transport de surface. Lors des pillages de triste mémoire qu’a connus la ville de Kinshasa en 1991 et 1993, Citytrain a été l’une des plus grandes victimes de cette destruction méchante du tissu économique congolais. Les pillards ont sérieusement désossé son charroi très fourni, particulièrement la quarantaine de véhicules avec remorques articulées qui servaient au transport des masses. Tous les stocks des pièces de rechange, pneumatiques et autres lubrifiants sont partis en fumée et les infrastructures gravement endommagées.
Une bouffée d’oxygène avec la dotation de 100 bus
La société n’existait plus que de nom. Suite aux efforts inlassables de certains cadres et agents, Citytrain est parvenue à sortir péniblement la tête hors de l’eau jusqu’à l’avènement de l’alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo.
Quelques quatre bus acquis par le gouvernement ont permis à Citytrain de se signaler sur la voie publique concurremment avec la société sœur GESAC. La première citée s’est de nouveau retrouvée en arrêt d’activités. C’est alors qu’en 2008, elle a reçu une grosse bouffée d’oxygène avec une dotation significative de 100 bus du constructeur indien Ashok dont 15 bus de grande capacité et 85 autres de moyennes dimensions.
Sans subsides, ni fonds de démarrage, ni fonds de roulement, les mandataires, cadres et agents de Citytrain ont dû puiser énormément dans leurs bagages pour assurer la remise à flots de leur société. La carence des pièces de rechange que le fournisseur aurait dû « disponibiliser » pour fiabiliser l’exploitation dès le départ, l’absence à Kinshasa d’une maison de représentation du fournisseur pour l’achat des pièces de rechange et autres consommables… ont contraint la gestion à recourir aux intermédiaires. Point n’est besoin de relever les coûts onéreux de ces pratiques, les longues durées d’attente pour la livraison des pièces de rechange dont certaines n’étaient pas conformes, etc.
Les Congolais ont utilisé à l’optimum cet outil de production avec une durée d’exploitation initiale limitée à trois ans. Pratiquant des tarifs sociaux imposés par le gouvernement et dont la rentabilité n’est nullement avérée, les travailleurs de Citytrain ont dû faire montre de beaucoup d’ingéniosité pour trouver les ressources nécessaires au maintien en opération de ces engins roulants. Ils ont poussé les limites de la tolérance de ces bus au-delà de six années d’exploitation moyennant plusieurs rénovations de taille.
Du transport en commun au funérarium
Le second dépôt de Matete a été transformé en funérarium avec des recettes mensuelles oscillant autour de 8.000 USD. C’est avec ces maigres entrées associées à celles engendrées par l’exploitation des bus scolaires que la direction de Citytrain parvenait tant soit peu à désintéresser les différents fournisseurs tout en allouant une petite quotité aux travailleurs (environ 350).
Du transport en commun, ils sont passés au réseau des abonnés scolaires avec la poignée des bus encore disponibles qui étaient visibles devant le collège Boboto. Ce charroi est maintenant complètement amorti.
Il est de notoriété publique que l’homme gagne son pain à la sueur de son front et que tout travail mérite salaire. Conscients de cette exigence, les travailleurs de Citytrain se sont pris en charge. Privés de toute assistance de l’Etat propriétaire qui devrait couvrir le déficit engendré par les coûts sociaux et faisant néanmoins bon cœur contre mauvaise fortune, ils ont essayé de tirer le maximum des dix bus de 28 places et deux bus de 56 places encore opérationnels.
Dans les efforts de rentabilisation de l’exploitation, Citytrain a quitté le créneau du transport urbain pour se consacrer au secteur interrégional avec la ligne Kinshasa-Lufu (Bas-Congo) chaque vendredi et Lufu-Kinshasa chaque dimanche aux coûts réels pratiqués sur le marché. Cette opération produit des bénéfices certains. Toutefois, comparées aux charges de structure et autres coûts directs liés au fonctionnement, les recettes perçues paraissent dérisoires.
Expertise humaine et infrastructures techniques appropriées
Il est admis que tant qu’il n’y aura pas d’apport extérieur en capitaux frais, Citytrain court le grand risque de disparaître. Cette société dispose encore de quelques atouts indéniables en termes d’expertise humaine et d’infrastructures techniques appropriées capables de faciliter la relance à tout moment.
Est-il responsable de la part du gouvernement d’envoyer à la trappe une entreprise publique pour la simple raison qu’il vient d’en constituer une nouvelle ? A l’époque, dans cette même ville de Kinshasa, plusieurs sociétés de transport en commun ont eu à cohabiter, offrant un plus grand éventail de possibilités de déplacements à la population sans que cela ne puisse préjudicier les intérêts tant de l’Etat propriétaire que d’autres opérateurs du domaine.
De plus, en dépit de tous les discours pompeux, il est démontré que les gouvernants éprouvent toutes les peines du monde à encadrer le secteur informel et n’offrent pas de perspectives crédibles pour la résorption du chômage dans de très larges proportions.
Tout en encourageant le partenariat public-privé, force est de reconnaître qu’aucun exploitant privé bénéficiaire des bus neufs proposés par le gouvernement pour améliorer la qualité du transport en commun dans la capitale n’approche les chevilles de Citytrain en termes d’atouts. Il aurait été logique pour le Gouvernement d’équiper également Citytrain d’un outil consistant de production, quitte à renforcer les mesures drastiques de management pour une gestion responsable et avisée.
Eviter les tristes sorts de l’ONL, BDP, UZB, BCA…
De telles dispositions pratiques aideraient à préserver les rares emplois encore existants en même temps que serait donnée la possibilité à la jeunesse d’assurer progressivement la relève. Dans le cas contraire, au lieu de tourner autour du pot en plongeant toute cette communauté des travailleurs dans la grande incertitude du lendemain, source potentielle de stress générateur des maladies de tous genres dont les accidents vasculaires cérébraux, il est de bon ton que le gouvernement clarifie sa position et s’assume pleinement en veillant à la stricte application de la loi en matière de suppression d’emploi.
La RDC est un Etat de droit. Ayant ratifié les instruments de l’OHADA, voilà une opportunité pour ses gouvernants de donner l’exemple du respect des textes et d’éviter d’avilir davantage l’image du pays en se gardant de rééditer les tristes et honteux exploits des suppressions d’emplois intempestives des anciens agents de l’Office national du logement, de la Banque du Peuple, de l’ex-UZB, de la Banque de Crédit Agricole, etc. Dossier à suivre.
Jean NTELA NKANGA