L’ambassadeur congolais Baudouin Hamuli Kabarhuza, directeur des Affaires politiques et du Mécanisme d’alerte rapide de l’Afrique centrale (MARAC) au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) dont le siège est à Libreville (Gabon), exhorte la RD Congo à « tout faire pour reconquérir son honneur terni ».
Le MARAC est chargé d’informer et d’alerter les instances décisionnelles sur les risques de crise et leur permettre de disposer d’un outil d’aide à la décision, aux fins de la prévention, de la gestion et de la résolution des crises.
Il met en œuvre le système d’alerte précoce de la sous-région par la collecte et l’analyse des données relatives aux causes et aux risques de conflit à court ou long terme. Le MARAC fait partie intégrante du Système continental d’alerte précoce avec lequel il interagit.
Trois facteurs « fondamentaux »
Si « la seule option logique et stratégiquement correcte pour la RDC est de maintenir son appartenance à la CEEAC », il a fait remarquer - lors d’un point de presse mercredi 28 octobre 2015 à Kinshasa - qu’en même temps, la RDC ne pourrait justifier cette appartenance de manière objective qu’à trois questions fondamentales :
Qu’est-ce qui avait motivé le gouvernement zaïrois sous le président Mobutu Sese Seko à rejoindre le club d’Etats fondateurs de la CEEAC en 1983 ? Qu’est-ce qui expliquerait la tendance actuellement observée d’empiètement des intérêts de la RDC au sein de la CEEAC, en général, et de son Secrétariat Général, en particulier ? Que doit faire la RDC à court et moyen termes pour reconquérir son honneur « terni » au sein de la CEEAC ?
De l’avis de Baudouin Hamuli, « trois facteurs +fondamentaux+ paraissent avoir combiné pour motiver l’adhésion de la RDC à la CEEAC ».
« La première raison, et la plus objective, a-t-il indiqué, serait que la RDC répondait à un appel lancé par l’OUA qui, à travers son Plan d’Action de Lagos adopté en 1980, estimait que l’établissement et l’intégration des blocs sous-régionaux constituaient les préalables incontournables à l’émergence d’un marché commun africain à l’horizon 2000 ».
La deuxième raison serait « relative à un calcul purement géostratégique de la part des Etats fondateurs clés de la CEEAC (RDC et Gabon) qui, en décidant de mettre en place une organisation sous-régionale aussi étendue, se munissaient d’un outil important ».
Cet « outil important » était susceptible d’« accroitre leur rôle dans un monde traversé par les jeux d’influences entre les blocs occidental et communiste dominants de l’époque ». Cette deuxième raison expliquerait en partie la décision de l’Angola d’assumer un statut d’observateur au cours des premières années de fonctionnement de la CEEAC.
« La troisième raison, et non la moindre, serait une stratégie calculée de la part du gouvernement congolais sous le président Mobutu de vouloir étendre l’influence du pays à toute la sous-région de l’Afrique centrale, après des années passées à construire et à dominer la CEPGL », croit savoir l’ambassadeur Hamuli.
Que doit faire la RDC ?
L’Afrique centrale représente non seulement la zone « naturelle » de la RDC, mais également le terrain de prédilection dans lequel son aspiration à la domination, voire à l’hégémonie, sera difficilement contestée ou encore remise en question.
A cet effet, quelles stratégies à court et moyen termes devrait adopter la RDC en vue de recouvrer la place due à son rang au sein de la CEEAC ?
A cette question, le directeur des Affaires politiques et du Mécanisme d’alerte rapide de l’Afrique centrale au sein de la CEEAC a proposé six stratégies :
1-Le gouvernement de la RDC devrait s’atteler à apurer tous les arriérés de contribution du pays – estimés à 12 millions USD - et inscrire ce dernier dans la catégorie des Etats membres contribuant le plus (13%) au budget de la CEEAC.
2-Le gouvernement devrait assurer un contact permanent entre le Ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale (et les autres ministères concernés), d’une part, et les envoyés gouvernementaux (personnels à mandat) et les autres nationaux congolais travaillant au sein du Secrétariat Général de la CEEAC et ses institutions spécialisées, d’autre part.
3-Le gouvernement devrait prendre une part active à toutes les rencontres de la CEEAC, à tous les niveaux.
4-Le gouvernement devrait être, en tout temps, à mesure de revendiquer et d’occuper au moins un poste de commandement au sein de la CEEAC (secrétaire-général, secrétaires-généraux adjoints, chef d’Etat-major régional et directeurs des institutions spécialisées).
5-Le gouvernement devrait être développer un partenariat stratégique avec la France (et de l’Union Européenne) en Afrique centrale car cette puissance qui continue à exercer une influence significative sur les politiques régionales de toutes ses anciennes colonies et qui sont membres de la CEEAC, et même de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, (CEMAC).
6-Le gouvernement devrait s’assurer que la stratégie de la RDC vis-à-vis de la CEEAC s’inscrit dans une grande stratégie nationale en matière d’affirmation du pays dans les organisations inter-gouvernementales à tous les niveaux. Cette grande stratégie devrait elle-même tirer son origine dans la vision du Chef de l'Etat, le Président Joseph Kabila Kabange, de faire de la RDC un pays fort au cœur de l'Afrique.
La RDC, un Etat à vocation multirégionale
Dans l’une de ses œuvres, le philosophe-psychiatre martiniquais Frantz Fanon avait observé que l’Afrique avait une forme de revolver dont la gâchette se trouvait en RDC.
« Cette affirmation peut s’interpréter comme une reconnaissance du rôle incontournable, mais surtout catalyseur, de la RDC dans tout projet ou toute initiative de développement du continent africain », a commenté Baudouin Hamuli.
En effet, a-t-il relevé, « par sa superficie et sa position géographique particulières, la RDC n’est pas simplement un pays au cœur du continent africain ; elle est, selon l’ancien Président sud-africain Thabo MbekiI, le moteur de propulsion sans lequel l’idée même de la renaissance africaine ne resterait qu’une illusion ».
C’est en prenant la vraie mesure de la vocation continentale du pays telle que déclinée ci-dessus que les différents gouvernements s’étant succédé à la tête de la RDC ont garanti que le pays est un membre actif au sein des organisations inter-gouvernementales africaines aussi diverses que la CEPGL, la CEEAC, la Communauté d’Afrique de l’Est et Australe (COMESA), la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) et tout récemment la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs (CIRGL).
A en croire l’ambassadeur Hamuli, « loin d’être un reflet de dispersion injustifiée des ressources tant décriée par l’UA dans le cas de certains de ses Etats membres, l’appartenance de la RDC aux groupements régionaux précités devrait plutôt être perçu comme un défi que le pays se lance de manière permanente à lui-même en ce qui concerne sa capacité à réellement assumer son rôle de puissance continentale ».
CEEAC, région de domination de prédilection de la RDC
En même temps que la position géographique de la RDC l’oblige à se déployer dans les différents groupements sous-régionaux sus mentionnés, Baudouin Hamuli note que « la CEEAC constitue sans nul doute la région de prédilection de la RDC » pour un nombre de raisons qu’il cite.
Premièrement, malgré ses ramifications aux autres sous-régions du continent, la RDC est essentiellement un Etat d’Afrique centrale, ou mieux l’Etat central par excellence. En conséquence, le pays ne devrait pas percevoir son appartenance à toute organisation inter-gouvernementale regroupant les Etats de l’Afrique centrale comme une option, mais plutôt comme une exigence consubstantielle à son identité.
Deuxièmement, contrairement au COMESA et à la SADC où sa prétention de leadership rencontrera inévitablement celle des Etats comme l’Egypte, l’Ethiopie, le Kenya ou encore l’Afrique du Sud, la prééminence de la RDC ne saurait facilement être disputée au sein de la CEEAC.
En effet, non seulement il n’existe pas d’Etat aux prétentions d'être moteur régional réel au sein de la sous-région d’Afrique centrale (en dehors de l’Angola qui souffre d’un handicap linguistique majeur vis-à-vis du français dominant), la population actuelle de la RDC (estimée à plus de 70 millions d’habitants) représente près de la moitié de la population totale de la CEEAC.
Troisièmement, et directement lié au second point ci-dessus, au-delà de son objectif original proclamé d’intégration économique, la CEEAC est avant tout une organisation de compétition pour l’influence politique et stratégique entre ses membres, comme il en est le cas avec les autres Communautés Economiques Régionales africaines.
En effet, en l’absence de capacité industrielle et de production économique réelle, les Etats d’Afrique centrale entretiennent peu d’échanges économiques entre eux, comparé par exemple au volume de leurs échanges commerciaux avec leurs anciennes puissances coloniales et autres partenaires internationaux par exemple.
« Dans ce contexte, l’enjeu majeur pour un pays aux potentialités énormes comme la RDC dans la CEEAC ne devrait pas se limiter à une volonté de dominer le marché d’échanges commerciaux de la sous-région, mais plutôt de se servir de sa position prépondérante au sein de l’organisation sous-régionale pour se projeter sur le terrain d’influence au niveau continental et global », a insisté le diplomate congolais.
La RDC en tant que membre « figurant » au sein de la CEEAC
La redynamisation de la CEEAC en 1998 coïncidait avec l’irruption de la deuxième guerre de la RDC initiée par le groupe rebelle dit Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD).
En tant qu’organisation en pleine transition, la CEEAC ne put jouer aucun rôle significatif dans la guerre congolaise en même temps que cette même situation de guerre n’était pas de nature à permettre au gouvernement congolais sous le Président Laurent-Désiré Kabila d’influer de manière adéquate sur le processus de formulation de l’architecture de paix et de sécurité de la CEEAC alors en cours.
Mais au-delà du processus de formulation de l’architecture de paix et de sécurité de la CEEAC inauguré par l’adoption du Protocole du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX) en 2000, les impacts nocifs de la guerre sur l’économie de la RDC avaient contribué au placement du pays au deuxième rang (10%) en ce qui concerne l’application du mécanisme de Contribution Communautaire d’Intégration (CCI) derrière le Gabon, le Cameroun, le Tchad et la République du Congo (13%).
Dans une sorte de spirale descendante ininterrompue jusqu’à ce jour, la RDC a vu son influence s’effriter continuellement au sein de la CEEAC. Par ailleurs, cette diminution de l’influence de la RDC est allée main dans la main avec une indifférence préoccupante de la CEEAC vis-à-vis des situations de crise en RDC.
A ce jour, la RDC compte deux représentants gouvernementaux au sein du Secrétariat Général de la CEEAC, notamment l’Ambassadeur Baudoin Hamuli Kabarhuza (Directeur des Affaires Politiques et du Mécanisme d’Alerte Rapide de l’Afrique Centrale) et le Général de Brigade Prosper Ngoie Ali’Mwa-Mutimpa (chef d’état-major régional adjoint en charge de la composante Terre).
Par ailleurs, la RDC compte aussi un nombre relativement important de cadres et d’experts recrutés à titre individuel au sein de différentes structures du Secrétariat Général de la CEEAC.
Aperçu général de la CEEAC
La CEEAC fut créée le 18 octobre 1983 à Libreville par dix (10) Etats : le Burundi, le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Rwanda, São Tomé et Principe, le Tchad et le Zaïre (rebaptisé République Démocratique du Congo en mai 1997). L’Angola était alors un membre observateur de l’organisation.
En tant que Communauté économique éégionale, la CEEAC était en réalité le résultat de la fusion de deux organisations intergouvernementales préexistantes fondées sur des tares de la colonisation européenne en Afrique centrale.
Il s’agit de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) constituée d’anciennes colonies belges du Burundi, du Rwanda et du Zaïre ainsi que de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC) regroupant les anciennes colonies françaises d’Afrique centrale, notamment le Cameroun, la RCA, le Congo, le Gabon et le Tchad.
Selon l’ambassadeur Hamuli, « la CEEAC fut constituée en vue de faciliter l’intégration économique entre ses Etats membres, dans la grande perspective de l’établissement d’un marché commun africain à l’horizon 2000 tel que stipulé dans le Plan d’action de Lagos de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) ».
« Apres des années initiales de fonctionnement fébrile dû principalement au manque d’expérience et aux effets de la guerre froide ambiante, la CEEAC est entrée en hibernation dès le début des années 1990 consécutivement aux bouleversements sur la scène politique internationale et aux crises politiques dans plusieurs Etats membres », a-t-il rappelé.
L’organisation fut réactivée à partir de 1998 en même temps qu’elle s’engageait à étendre son champ d’action aux questions de paix et de sécurité, désormais considérées inséparables de questions de développement socio-économique et culturel.
Depuis 1999, la CEEAC est engagée de plein pied à mettre en place et à opérationnaliser son architecture de paix et de sécurité, tout en l’arrimant à celle de l’Union Africaine (UA). L’organisation compte à ce jour 11 Etats membres, c’est-à-dire ses 10 Etats fondateurs et l’Angola.
« Elle est la seule organisation inter-gouvernementale jouissant du statut de Communauté Economique Régionale auprès de l’UA dans toute la sous-région de l’Afrique centrale », a souligné Baudouin Hamuli.