Au Burundi, le coup de force militaire n'a pas empêché le coup de force institutionnel. Le président Nkurunziza a retrouvé son fauteuil présidentiel. Et maintient sa candidature à un troisième mandat, qui attise toutes les craintes. Parti à Dar es-Salaam, en Tanzanie, pour un sommet consacré à la crise dans son pays, le chef de l'Etat burundais a failli ne jamais retrouver son palais de Bujumbura. Le 13 mai, dans une déclaration sur la radio privée Isanganiro, le général Godefroid Niyombare annonçait la destitution du président Nkurunziza, un Hutu, qui venait de poser sa candidature pour un troisième mandat de cinq ans, alors que la Constitution ne lui en autorise que deux. C'était sans compter l'improvisation des putschistes. Non seulement ils n'ont pas réussi à rallier l'ensemble des forces de sécurité ni à prendre possession de la RTNB (radio télévision nationale), mais la fermeture de l'aéroport n'a pas empêché Nkurunziza de revenir en hélicoptère dans son fief de Ngozi d'où un convoi l'a acheminé vers la capitale. Le flottement aura duré moins de 48 heures.
Ancien compagnon d'armes du président du temps de la rébellion, Godefroid Niyombare (aujourd'hui en fuite) avait été destitué en février dernier, après lui avoir déconseillé de briguer un troisième mandat lors des élections prévues le 26 juin prochain. Le président n'a rien voulu entendre. Il s'arc-boute sur une interprétation très personnelle de la Constitution, prétendant que son premier mandat de 2005 à 2010 "ne compte pas" car obtenu au suffrage indirect et non par les urnes. Dans un arrêt rendu le 4 mai, la Cour constitutionnelle a validé cette candidature, ce qui a mis de l'huile sur le feu. Les menaces ont forcé les réfractaires : au départ, quatre juges sur sept étaient opposés à une prolongation du mandat, contraire selon eux à l'esprit et à la lettre de l'accord d'Arusha, ce socle de la paix au Burundi signé en 2000 sous l'égide de Nelson Mandela. Le vice-président de la Cour a préféré fuir au Rwanda.
"Aucun argument" ne justifie un troisième mandat, conclut le professeur Stef Vandeginste (Université d'Anvers) dans une étude de vingt pages où il examine le raisonnement de la Cour sous toutes ses coutures. Les juges ont en effet joué sur l'apparente ambiguïté entre les articles 96 ("Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois") et 302 ("A titre exceptionnel, le premier Président de la République de la période post-transition est élu par l'Assemblée nationale et le Sénat élus réunis en Congrès, à la majorité des deux tiers des membres") de la Constitution de 2005. Mais, dans le même temps, la Cour souligne que celui qui violerait les grands principes de l'accord d'Arusha se placerait en marge de la Constitution. Or, l'accord d'Arusha stipule clairement que "nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels".
Pour l'heure, les manifestations récurrentes contre la candidature de Nkurunziza n'ont entraîné qu'un nombre limité de victimes. Mais les arrestations et disparitions se poursuivent. La destruction physique des radios indépendantes et le ciblage de leurs journalistes sapent une des conditions essentielles pour la tenue d'élections libres. "La peur a gagné tous les esprits, surtout qu'il n'est plus possible de fuir le pays à cause de la pénurie de transports en commun", raconte Jérôme Bigirimana, un journaliste burundais établi en Belgique, en contact avec sa famille sur place. Une peur d'autant plus présente que l'histoire récente du pays est jalonnée de massacres ethniques à répétition, qui ont fait plus de 200 000 morts entre 1993 et 2006. Le premier discours d'"après-coup" du très religieux président est loin d'avoir apaisé les esprits. Il a ainsi mis dans le même sac les manifestants et les putschistes : "Un discours de fermeture", juge le journaliste, qui épingle au passage le bilan "désastreux" de l'homme fort du Burundi : "En dix ans de pouvoir, il n'est pas parvenu à sortir le Burundi des ornières de la pauvreté et de la corruption." Le pays est aussi le premier bénéficiaire de la coopération belge au développement, après la République démocratique du Congo.
Le spectre de l'ethnisme
Si rien ne change, l'opposition risque de se durcir, à laquelle répondra une répression accrue. Avec en prime le retour des démons ethniques, si faciles à convoquer dans la région des Grands Lacs. Certes, le putschiste Niyombare est Hutu comme celui qu'il voulait renverser, le conflit est d'abord politique et les 100 000 Burundais qui ont quitté leur pays appartiennent aux deux ethnies. Aujourd'hui, un équilibre entre Hutu et Tutsi se retrouve autant à l'Assemblée nationale (60-40) et au Sénat (paritaire) que dans l'armée, naguère tutsi, et qui a dû intégrer des soldats issus des anciens mouvements rebelles hutu. "Il n'empêche que les Tutsi ont été les premiers à franchir la frontière du Rwanda et ils semblent avoir été plus particulièrement visés par les Imbonerakure (NDLR : milices hutu proches de la mouvance présidentielle) qu'ils associent aux Interahamwe (NDLR : qui ont perpétré le génocide au Rwanda), estime Thierry Vircoulon, de l'International Crisis Group. La hantise du génocide reste très ancrée pour la communauté tutsi."
L'autre danger est la propagation régionale. Le Rwanda pourrait être tenté d'intervenir au Burundi, comme il l'a fait au Congo, si les Tutsi venaient à y être menacés. "Kigali a publiquement exprimé son inquiétude à l'idée d'une coalition entre les FDLR (NDLR : milices hutu rwandaises actives au Congo) et les Imbonerakure sur son flanc sud, pointe Thierry Vircoulon. La relation entre les deux présidents s'est distendue jusqu'à devenir inexistante. Le Rwanda a pris une position très claire contre le troisième mandat". Paradoxal : le président rwandais Paul Kagame serait lui-même tenté de dépasser la limite des deux mandats en 2017. "Mais si cela arrive au Rwanda, ce sera à la demande du peuple, rétorque un fidèle du régime rwandais, et cela ne souffrira d'aucune contestation." Et pour cause : toute voix dissidente est étouffée à Kigali. Dans le classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, le Burundi, malgré la répression des dernières années, continue d'obtenir un meilleur score que le Rwanda.
Nul doute que le cas burundais sera scruté attentivement en Afrique. Confirmera-t-il l'exemple du Burkina Faso, où Blaise Compaoré n'a pas réussi l'an passé son pari de forcer un nouveau mandat et a dû fuir le pays comme un voleur ? Depuis 1990, onze dirigeants d'Afrique subsaharienne ont cherché à contourner la limitation du nombre de mandats, mais seuls sept ont réussi. Jouer avec la Constitution n'est donc pas sans risques. On est encore loin de l'exemple du Nigeria, où, la semaine dernière, les anciens chefs d'Etat du pays sont allés saluer le président élu Muhammadu Buhari avant de se rendre chez son prédécesseur Goodluck Jonathan et le remercier pour "son esprit démocratique et patriotique". Au Burundi, c'est la démarche inverse : les quatre anciens présidents encore en vie, deux Hutu et deux Tutsi, ont écrit aux leaders de la région pour qu'ils forcent Nkurunziza à céder le pouvoir.