Multiplicité de groupes armés, inefficacité de l’armée congolaise, impuissance des Nations unies et silence de Kinshasa… Les tueries à répétition de Beni rappellent aux Congolais que le pays ne s’est pas encore débarrassé de ses vieux démons.
L’émotion et la colère sont toujours vives à Beni, une ville du Nord-Est de la République démocratique du Congo (RDC). Entre le 2 octobre et le 2 novembre 2014, une vague de massacres à répétition a coûté la vie à 120 civils, tués par des assaillants, essentiellement à la machette. Ces attaques ont été attribuées par l’armée congolaise aux rebelles ougandais des ADF-Nalu. Le dernier carnage en date remonte à la nuit du 1 au 2 novembre dernier, pendant laquelle 11 personnes ont été tués et 2 militaires abattus dans un quartier de Beni. Ironie du sort, le président Joseph Kabila, en visite dans la région, venait tout juste de quitter la ville. Comme un pied de nez des groupes armés à l’inaction des forces de sécurité. La colère de la population est très vite montée. Contre les casques bleus de la Monusco tout d’abord, censée les protéger, puis contre le gouvernement de Kinshasa, qui semble les abandonner. Il aura fallu attendre deux semaines de massacre et de troubles pour le président congolais se rende à Beni. Résultat : les attaques continuent, le mécontentement de la population s’est transformée en émeute et la ville est désormais placée sous couvre-feu. Pire, les assaillants auraient laissé un message annonçant leur intention de venir « égorger les gens de Butembo », un ville voisine.
Une cinquantaine de groupes armés toujours actifs
Après les tueries est très vite venu le temps des questions : les ADF-Nalu sont-ils réellement les auteurs des attaques ? Quel rôle a joué l’armée congolaise ? Pourquoi la Monusco n’est pas intervenue ? Pourquoi Kinshasa a mis deux semaines à réagir ? Autant de questions qui résument bien l’extrême fragilité de la situation sécuritaire en République démocratique du Congo, alors que les rebelles du M23 ont déposé les armes depuis la fin 2013. La chute du M23, présentée par Kinshasa comme une « victoire » de l’armée congolaise (avec tout de même l’aide de la Brigade de l’ONU) a fait croire que les FARDC étaient en passe de re-sécuriser la région. D’ailleurs, en janvier dernier, l’armée congolaise, soutenue par la Monusco, avait mené une série d’attaque contre les ADF-Nalu dans la zone. Des communiqués gouvernementaux affirmaient que le mouvement avait été fortement affaibli par ces raids. Visiblement il n’en est rien. Il faut noter que ce mouvement, en lutte contre le régime du président ougandais Museveni, est installé en RDC depuis… 1995 ! En 19 ans de présence sur le sol congolais, les ADF-Nalu ont donc noué des alliances (souvent de circonstances) avec les nombreux autres groupes armés présents dans la région, et notamment Maï-Maï. Ce qui fait dire à beaucoup, que la responsabilité des seuls ADF (estimés entre 800 et 1.000 combattants), n’est pas établie dans les massacres de Beni. Le chercheur Christoph Vogel recense la cartographie des groupes armés dans l’Est de la RDC. Malgré la défaite du M23, il en reste encore une petite cinquantaine, du Nord-Kivu au Katanga. Pire, entre le mois de juin et octobre 2014, le nombre de groupes armés n’a pas diminué et leur territoire d’influence s’est élargi, comme on peut le voir sur ces cartes :
Une armée qui peine toujours à s’imposer
Que font les FARDC ? Visiblement à Beni, le faible effectif présent dans la région n’a pas réussi à éviter le pire. Il faut dire que depuis 1997, l’armée congolaise est totalement à reconstruire (voir notre article). Sous-équipées, mal payées et mal commandées, les FARDC, malgré quelques rares progrès dans certains bataillons, fait toujours figure d’armée fantôme. Les intégrations à répétition de rebelles au sein de ses effectifs ont fragilisé l’armée, jusqu’à la rendre inefficace. Après une courte période d’euphorie à la suite de la défaite sur le M23, les FARDC ont replongé dans une crise profonde après l’assassinat du colonel Mamadou Ndala en janvier 2014. Très vite les soupçons se sont orientés vers la piste d’un règlement de compte interne à l’armée. Montré du doigt dans cette affaire : le sulfureux général Mundos et une armée rongée par les rivalités et la corruption (voir notre article). Dans les attaques de Beni, le nom de Mundos est opportunément réapparu. C’est un ancien ministre (et ancien rebelle) Mbusa Nyamwisi qui charge le général : « On massacre sans que l’armée ne soit en mesure de capturer un seul des assaillants. Au-delà de l’incompétence, c’est plutôt de la complicité » a affirmé Nyamwisi à la radio, réclamant une enquête. En attendant, les Congolais savent qu’ils ne faut pas encore compter sur l’armée régulière pour leur assurer la sécurité.
L’ONU impuissante ?
C’est sans doute l’élément le plus incompréhensible. Comment les casques bleus de la Monusco, présents dans la région, n’ont pas pu éviter les massacres en chaîne à Beni ? Avec 20.000 hommes sur le terrain, la RDC constitue la plus importante mission de maintient de la paix dans le monde. 3.000 casques bleus sont intégrés dans la Brigade d’intervention, au mandat offensif, chargée notamment d’appuyer l’armée dans la neutralisation des groupes armés. Pourtant, le patron de la Monusco, Martin Kobler affirme que depuis les attaques, les casques bleus ont multiplié des opérations conjointes aux côtés des FARDC, « y compris en patrouillant la nuit ». Visiblement sans succès. Il faut dire que l’Est de la RDC est un territoire immense, couvert de forêts, de collines et sans infrastructures routières efficaces. L’important effectif onusien se retrouve donc trop diluer sur le terrain. Pourtant à Beni, les casque bleus étaient bien présents. Pointée du doigt par la population qui ne comprend pas son impuissance, la Monusco devient la cible de violentes manifestations. Pour la société civile de Beni, « la Monusco ne fait rien, elle dit qu’elle protège la population, on ne comprend pas que les gens meurent. Ce n’est pas normal. Qu’ils partent ! ». Sous le feu des critiques, certains bataillons de la Monusco, particulièrement apathiques, « plus intéressés par la solde que par garantir la sécurité des civils » accuse la société civile de Beni. Fin octobre, à Mbau, à 25 kilomètres au Nord de Beni, 2 personnes ont été tuées par balles dans une manifestation anti-Monusco, rapporte l’AFP. Martin Kobler a promis un renforcement de la Monsuco à Beni et une intensification de la traque contre les ADF-Nalu.
Le silence de Kinshasa
Deux semaines dans un silence assourdissant. Il aura fallu attendre un peu plus de 10 jours, 2 carnages et 80 morts, pour voir arriver le président Joseph Kabila à Beni. Dans un premier temps, l’accueil de la population est plutôt froid mercredi 29 octobre. Le jour de son arrivée, le président Kabila n’a pas ouvert la bouche. Déception pour la foule massée autour du Rond-Point du centre-ville. C’est le lendemain, que le président s’est adressé à la population. Joseph Kabila a plaidé pour un renforcement de la Monusco et des FARDC sur place, avec en prime une réorganisation au sein de l’armée congolaise. Depuis août dernier, et le décès du général Jean-Lucien Bahuma, chef des opérations dans la région, le combats contre les ADF-Nalu s’était fortement ralenti. Un élément qui pourrait expliquer la présence des ADF-Nalu aussi proche de Beni. Depuis cette annonce, on n’en sait pas plus sur la possible réorganisation au sein de l’armée. Quid du général Mundos ?
La leçon de Béni
A Beni, tous les ingrédients étaient réunis : des rebelles toujours plus nombreux et très actifs, un Etat absent, une armée faible, des casques bleus peu efficaces… Des ingrédients que l’on connaît bien en République démocratique du Congo puisqu’ils sont facteurs d’insécurité et de conflits depuis plus de 20 ans. Malgré les défaites rebelles, l’histoire se répète à l’Est du pays. Les deux Kivus et le Katanga ont souvent été le théâtre de guerres de basse intensité, des guerres à bas bruit. Des conflits qui opposent quelques dizaines, quelques centaines d’hommes entre eux dans des provinces grandes comme des pays. Pris isolement, le nombre de victimes paraît « faible », une centaine à Beni, mais cumuler sur plusieurs années, ces chiffres donnent le tournis. L’ONU parle de plusieurs millions. La seule leçon des massacres de Beni est que le conflit à l’Est du Congo ne s’est pas terminé avec la chute du M23. Et que les causes sont toujours là… les mêmes depuis 20 ans.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia