Le projet de budget de l’Etat pour l’année 2016 a finalement passé le cap de l’Assemblée nationale. Sans y aller dans la dentelle, le Premier ministre, Matata Ponyo Mapon, a répliqué, hier mercredi, aux nombreuses critiques formulées par les députés nationaux. Avec des réponses sûres et convaincantes, le chef du gouvernement a dégainé, ramenant tous ses détracteurs dans les rangs.
Le Potentiel
Le Premier ministre n’avait que 48 heures pour convaincre les députés nationaux de la pertinence du projet de loi de finances pour l’exercice 2016. En quelques minutes, Matata Ponyo Mapon a dissipé tous les nuages qui entouraient le projet qu’il a soumis deux jours auparavant à l’examen de la représantation nationale. Finalement, le projet de budget 2016 a été déclaré recevable et transmis directement, pour examen approfondi, à la Commission Ecofin de la Chambre basse du Parlement.
Chef du gouvernement, Matata se révèle comme un artisan qui plante les bases de l’émergence de la RDC. Humble, il note que « ce qui a pu être fait hier devra être préservé et constituer la pierre angulaire de tous les efforts pour la longue marche résolue vers le développement de notre pays ». Aussi, telle une course de relais, rappelle-t-il, « ce témoin devra être transmis de génération en génération pour que chaque tronçon parcouru soit une avancée de plus vers le destin de la République démocratique du Congo ». C’est par une réflexion qu’il a bouclé sa défense devant l’Assemblée nationale. « Nous n’avons plus droit à la destruction de notre tissu économique comme cela a été le cas lors des pillages de triste mémoire que nous avons connus au début des années 1990 ».
Mais, ces dernières quarante-huit heures ont été riches en rebondissements. Elles ont ramené à la surface les fissures qui continuent à ronger l’édifice de la Majorité présidentielle (MP). Tout se passe comme si la fronde de G7 – du nom de sept partis rebelles de la MP – n’a été que la face révélée de l’iceberg. Car, en réalité, une crise latente, de forte ampleur, couve au sein de la majorité au pouvoir. Voilà qui pourrait justifier les attaques les plus virulentes par lesquelles s’étaient distingués des députés se réclamant de la MP.
Des paradoxes évacués
Dans sa réplique Matata n’a pas épargné l’un d’entre eux, à savoir l’honorable Mbatshi Mbatshia. Aux paradoxes qui existeraient dans l'évolution de la situation économique récente et actuelle de la RDC, extirpées par l’élu de Lukula, le chef du gouvernement a dit que s’agissait d’« apporter des précisions utiles à ce sujet pour éviter une certaine confusion dans la compréhension, l'interprétation et l'appréhension des phénomènes économiques ». C’est en puisant dans ses pré-requis d’économiste que Matata a trouvé « la clé de lecture à cette fin ».
Primo, de la relation entre la production ou le PIB réel et les recettes fiscales et non fiscales, il a relevé, d’entrée de jeu, que « la croissance s'entend comme l'augmentation de la production ou du PIB réel », rappelant que « toute augmentation de la production n'entraine pas nécessairement l'augmentation des recettes fiscales et non fiscales pour trois raisons : la première est le fait que la production peut augmenter, mais si un secteur d'activité, qui contribue à cette évolution, bénéficie d'un régime dérogatoire, des avantages dans le cadre d'un code donné pendant la période d'investissements, les recettes fiscales ne vont pas suivre. Tel est le cas des avantages accordés dans le cadre du Code minier depuis 2002.
Et de renchérir : « La reprise de la croissance économique en RDC a été notamment le fait de l'augmentation de l'activité dans ce secteur mais les recettes fiscales n'ont pas suivi du fait des régimes dérogatoires dont bénéficiait le secteur en phase d'exploration. Donc, il n'y a pas de lien automatique entre l'augmentation du PIB réel, en ce compris la reprise de la croissance et l'augmentation des recettes ».
La deuxième raison, a-t-il indiqué, concerne la relation entre le PIB non monétaire ou non marchand et le niveau des recettes. Aussi a-t-il noté que « Le PIB non monétaire peut augmenter mais cela ne signifie pas que les recettes vont suivre. La capacité contributive de ce secteur à la mobilisation des recettes est très faible. Soit le secteur informel échappe à la fiscalité, soit s'il est fiscalisé, sa contribution en termes de recettes est très faible. Ainsi, l'augmentation de la production dans le secteur non monétaire ne s'accompagne toujours pas de l'augmentation à due concurrence des recettes.
Quant à la troisième raison, elle a trait à la relation entre la valeur ajoutée du secteur agricole et le niveau des recettes. Selon Matata, « le secteur agricole, soit-il marchand, même si sa contribution au PIB est importante, a une capacité contributive relativement faible, comparé au secteur minier. Les chiffres d'affaires, constituant la base d'imposition ou de taxation, sont de loin inférieurs à ceux des entreprises du secteur minier. Ainsi, toute augmentation de la production agricole ne s'accompagne pas d'une augmentation à due concurrence des recettes ».
Sans préjudice de ce qui précède, le chef du gouvernement est allé plus loin, en relevant que « durant la période de recul de la croissance entre 1989 et 2001, le niveau des recettes annuelles a été ramené en moyenne à 300 millions USD. Entre 2002 et 2015, le niveau de recettes est passé de 300 millions USD à 9 milliards USD en 2015. D'une moyenne de 7,7% en 2003, la pression fiscale de la RDC est passée à 12,7% en 2015 contre respectivement 23,6% et 17,5% pour l'Afrique subsaharienne. Ainsi, si la pression fiscale de la RDC est encore faible, elle s'est accrue plus vite que celle de l'Afrique subsaharienne, soit 5 points pour la RDC contre -6,1 points pour l'Afrique au Sud du Sahara ».
Matata a fait observer qu’« il y a ainsi lieu de nuancer la position sur le lien entre la croissance et le niveau des recettes. Abstraction faite de la non-existence de relation automatique relevée ci-haut, il y a une corrélation positive qu'il faudrait rendre plus significative ».
Il s’est appesanti, par la suite, sur le paradoxe entre la faible inflation, le faible pouvoir d'achat et le prix de biens à la consommation élevés. Sur ce point précis, le chef du gouvernement a indiqué qu’« il ya lieu de faire une différence entre les prix des biens et services et le niveau général des prix. Dans une économie marchande, il existe des millions de biens et services ayant chacun son prix. Le niveau général des prix, c'est la moyenne de tous les prix des millions de biens et services pondérés par leur importance en termes d'habitude de consommation des agents économiques. L'augmentation du niveau général des prix, c'est l'inflation ». « En réalité,note-t-il, dans le cas de la RDC, l'augmentation du niveau général des prix depuis 2010 est très faible. D'où, l'inflation faible que nous observons. Le pouvoir d'achat des consommateurs est en train d'augmenter ».
S’il ne méconnait pas une certaine divergence dans la formation des prix, Matata a cependant reconnu que « l'effort à fournir consiste à trouver des solutions à toutes ces contraintes ». C’est à quoi s’attelle le gouvernement, a-t-il révélé avant de souligner que « même si la moyenne des prix est restée stable – ce qui est hautement bénéfique pour la population et l’économie dans son ensemble -en d'autres termes l'inflation est faible-, les prix de certains biens et services, pris individuellement, sont encore élevés pour les raisons ci-haut évoquées ». « Il n'y a pas de paradoxe entre la faible inflation et les coûts élevés de certains produits de première nécessité », a-t-il conclu.
Du paradoxe entre l'apparent clivage entre la forte croissance économique et l’incidence élevée de la pauvreté, le Premier ministre a, après avoir rappelé toutes les étapes qui ont conduit à la débâcle de l’économie, relevé que « n’eût été la guerre entre 2000 et 2003 et la transition politique entre 2003 et 2006, le niveau de pauvreté aurait davantage baissé, soulignent tous les analystes de bonne foi ». Quand bien même la forte croissance économique de ces dernières années serait sous-tendue par le secteur minier.
Toutefois, conscient de « cette faiblesse qui n’est pas que congolaise, et qui du reste tire ses origines de nombreuses décennies », Matata croit en la pertinence du plan d’actions du gouvernement opérationnel depuis 2012, « un vaste programme visant l’amélioration des conditions de vie de la population, mais aussi de diversification de l’économie nationale, socle de résilience et d’inclusivité ». Il reste formel : « Ainsi, la forte croissance s'accompagne d'une baisse de la pauvreté. D'où absence de paradoxe ».
La MP se fissure
Matata a certes réussi son grand oral à l’Assemblée nationale, mais son passage à l’hémicycle a révélé les tensions latentes qui continuent à ronger la MP. Aussi curieux que cela puisse paraître, les attaques les plus virulentes contre le projet de budget 2016 sont venues de la Majorité. Le cas Mbatshi n’est qu’une illustration, car bien d’autres, après lui, se sont acharnés sur le chef du gouvernement. Lundi dernier, tout s’est passé comme si la MP était prête à se faire hara kiri. Pour quelle raison ? On n’en sait rien.
A tout prendre, la fronde n’a été que le déclic. L’on reconnaît qu’il existe bel et bien une guerre des clans dans la MP. L’examen du projet de budget 2016 en a révélé l’ampleur. La fronde de G7 ne représente rien par rapport à ce que nous réserve la MP dans les tout prochains jours. En effet, la MP est un volcan endormi, prêt à entrer en éruption à tout moment.
Matata a réussi à s’échapper des griffes de ses détracteurs mais, ce n’est pas pour autant que la bombe est désamorcée. La MP joue sa survie. Sa direction devait vite se ressaisir avant que tout ne se désintègre. Elle a du pain sur la planche.