Cour constitutionnelle : baptême de feu et épreuve de crédibilité

Lundi 7 septembre 2015 - 11:34

Le député Christophe Lutundula s’interroge à voix audible sur l’initiative tendant à déporter les questions relevant du gouvernement et du Parlement à la toute fraîche Cour constitutionnelle. Procédant par élimination, l’élu de Sankuru, membre de la Majorité présidentielle, tient à sauvegarder la crédibilité de cette nouvelle instance judiciaire sur qui repose, rappelle-t-il, beaucoup d’espoir pour la survie de la jeune démocratie congolaise. A cet effet, il propose une nouvelle feuille de route, susceptible de conduire à des scrutins apaisés et crédibles. « Il n’y a ni honte ni faiblesse à revenir sur ses pas pour mieux faire et prendre le bon chemin », lance-t-il à la classe politique qui se prépare pour le dialogue politique. Ci- dessous, la réflexion de cet éminent juriste, témoin et acteur de différents changements juridiques opérés en RDC.

La semaine dernière, la presse b ale a fait état d’une requête adressée par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) à la Cour constitutionnelle et des auditions successives par celle-ci du vice-président de la CENI, du vice- Premier ministre, ministre de l’Intérieur ainsi que du Premier ministre de la République à ce sujet.

Faute d’avoir accédé aux termes exacts de ladite requête, du reste, non portée à la connaissance du public, je ne saurai affirmer avec exactitude si elle a pour objet le contrôle de constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi, l’interprétation de la Constitution, le contentieux électoral ou référendaire ou les autres matières relevant de la compétence de cette Cour telle que définie aux article 160, 161, 162 et 163 de la Constitution. Je ne sais pas, non plus, s’il s’agit d’un appel à l’arbitrage de la Cour en tant que pouvoir régulateur de l’Etat et de la vie nationale en l’absence ou en cas de lacune de la loi.

A défaut d’informations plus précises sur l’objet de la requête de la CENI, je me contente, à mon corps défendant, des rendus et commentaires des médias ainsi que des appréhensions exprimées sur la procédure en cours tant par la classe politique que par ceux de mes compatriotes qui s’intéressent à la chose politique. Je sollicite, par conséquent, l’indulgence de ceux qui me liront. L’important pour moi est de participer au débat républicain et démocratique que suscite cette saisine de la Cour constitutionnelle et dont 1’ issue aura certainement un impact aussi bien sur le processus électoral, la vie politique en République Démocratique du Congo que sur la crédibilité de la jeune Cour constitutionnelle.

A ce sujet, en lisant la presse et en écoutant les uns et les autres, j’ai pu noter qu’à tort ou à raisin, certains soupçonnent la CENT de jouer, par cette « vraie-fausse » requête, le jeu du pouvoir et de participer à l’exécution d’un plan devant conduire en douceur au fameux glissement sur lequel on spécule tant. D’autres prêtent au pouvoir l’intention d’instrumentaliser la jeune Cour constitutionnelle pour déclarer la CENI incapable d’organiser l’élection des gouverneurs de nouvelles provinces, tout en disqualifiant les assemblées provinciales qui seraient illégitimes à cet effet, le but ultime étant d’obtenir que la Cour cautionne la nomination des dirigeants de ces provinces par le Président de la République en donnant à une telle démarche un fondement juridique, sinon une onction légale. Les plus optimistes créditent l’initiative de la CENI de bonnes intentions et pensent sent qu’elle devra apporter plus de lumière et de visibilité un processus électoral de plus en plus obscurci par des calculs politiciens.

Politique, député national, législateur et détenteur de quelques notions de droit, je me suis, pour ma part, posé les questions ci-après sur la finalité de cette initiative:

1. S’agit-il de faire respecter par tous le rôle ainsi que les compétences constitutionnelles et légales de la Ceni en matière d’organisation des élections en RDC ? Je ne le crois pas, car ces rôle et compétences ne sont contestés par personne. Que du contraire, tout le monde s’est toujours fait l’avocat des prérogatives de la CENI dont l’indépendance réelle est exigée comme garantie de la bonne fin des élections;

2. S’agit-il pour la CENI d’obtenir le quitus de la Cour constitutionnelle pour modifier le calendrier électoral global et l’adapter aux nouvelles réalités politiques ? Certes, depuis la publication de ce calendrier, beaucoup d’eau a coulé sous le pont du long et périlleux chemin des élections. Toutefois, la CENI étant, aux termes de la Constitution et de la loi organique portant son organisation et son fonctionnement, maître de l’organisation des élections, en ce compris l’élaboration du calendrier des opérations, elle n’a pas besoin de la caution ou de l’autorisation de la Cour constitutionnelle pour modifier le calendrier publié antérieurement, sauf en cas d’implications constitutionnelles avérées comme cela a été le cas concernant l’organisation du 2ième tour en 2006. N’a-t-elle pas, dans le passé, modifié d’elle-même les dates de l’élection des gouverneurs dans certaines provinces où des problèmes se sont posés ? Seul le cadre institutionnel des élections échappe à la compétence de la CENI. Ce cadre relève, en effet, soit du constituant, soit du Parlement, soit encore du Gouvernement. Le constituant et le Parlement déterminent les institutions sujettes à élections et les règles du jeu électoral, tandis que le Gouvernement rassemble les matériaux de la construction électorale qu’il met à la disposition du maître d’ouvrage, la CENI, et de ses travailleurs. A mon humble avis, il suffit, par exemple, que le Gouvernement qui a saisi la CENI pour lui demander d’organiser l’élection des gouverneurs de nouvelles provinces, lui adresse une correspondance contraire lui indiquant que le cadre institutionnel de ces provinces n’est plus aussi bien apprêté qu’il le croyait, pour qu’elle ajuste son calendrier en conséquence. En l’espèce, je ne vois pas clairement ce que la Cour constitutionnelle vient faire dans la modification de la programmation de l’élection des gouverneurs, du reste provisoires, de nouvelles provinces dès lors qu’au surplus, elle n’énerve en rien les dispositions constitutionnelles. J’écarte donc cette hypothèse.

3. S’agit-il de faire pression sur le Gouvernement pour qu’il décaisse les fonds nécessaires à la tenue des élections programmées? On serait tenté d’y souscrire. Cependant, il convient de faire remarquer qu’une telle question n’a rien de droit ni de constitutionnel, du moins dans le cas présent. La solution relève plutôt de la bonne foi, de la volonté politique et des priorités gouvernementales. Dès lors, c’est au Parlement, autorité budgétaire et de contrôle du Gouvernement (articles 100 alinéa 2 et 126 de la Constitution), que la CENI aurait dû s’adresser. Seul le Parlement dispose des moyens juridiques et politiques constitutionnels pour faire pression sur le Gouvernement quant à ce. C’est ici le lieu de déplorer le fait que les rapports de gestion des exercices 2013 et 2014 déposés par la CENI à l’Assemblée nationale n’ont jamais été examinés. Leur examen aurait pu mieux éclairer la représentation nationale et lui donner les arguments d’une discussion franche avec la Gouvernement de la République de manière à réorienter ses priorités et à ajuster le budget des élections à l’état réel de la trésorerie nationale. Même en ce qui concerne la clôture des sessions extraordinaires de nouvelles assemblées provinciales qui aurait, d’après la CENI, constitué un obstacle à l’organisation de l’élection des gouverneurs des provinces concernées, c’est d’abord au Parlement qu’il appartient d’interpeller le Gouvernement central et, le cas échéant, de mettre en causé sa responsabilité politique en vertu des articles 91 alinéa 5 et 146 de la Constitution. A ce sujet, il importe de rappeler que les sessions extraordinaires initiales de nos as- semblées délibérantes ne se terminent qu’à l’épuisement de leurs ordres du jour respectifs. Ce principe est consacré par les articles 114 alinéa 4 de la Constitution en ce qui concerne l’Assemblée nationale et le Sénat, 15 alinéa 3 de la loi n°08/012 du 13juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces et 09 alinéa 4 de la loi de programmation n°15/004 du 28 février 2015 déterminant les modalités d’installation de nouvelles provinces, pour les assemblées provinciales. Ainsi, clôturer une session extraordinaire initiale d’une assemblée provinciale sans vider son ordre du jour constitue une violation flagrante des dispositions légales évoquées ci-dessus. 11 me parait manquer de la considération aux Congolais et les prendre pour des analphabètes politiques que d’invoquer une telle illégalité pour justifier la non tenue des élections des gouverneurs de nouvelles provinces. Ici aussi, j’ai de la peine à trouver un rôle quelconque à la Cour constitutionnelle pour mettre fin à ce blocage du processus électoral, plus artificiel et politique qu’objectif.

4. S’agit-il de demander à la Cour constitutionnelle, comme certains le prétendent, «d’interpréter» la loi de programmation n°15/004 du 28 février 2015 déterminant les modalités d’installation de nouvelles provinces, « de la déclarer caduque » et de donner, par la suite, une base juridique, sinon légale à la nomination des gouverneurs et vice-gouverneurs ou des fonctionnaires la tête des provinces issues du démembrement ? Une telle demande ne peut être recevable, car contraire au prescrit de la Constitution et des lois pertinentes sur l’organisation politico-administrative de la RDC. D’abord, le rôle de la Cour constitutionnelle n’est pas d’interpréter les lois ni de les déclarer caduques. Les compétences de la Cour sont d’attribution constitutionnelle. Elle ne peut se donner elle-même d’autres prérogatives que celles prévues aux articles 160, 161, 162 et 163 de la Constitution. Ensuite, sur quelle base légale le Président de la République nommerait-il les dirigeants d’une province, même avec la bénédiction de la plus haute juridiction de la République ? En effet, l’option de régionalisme politique garanti par la Constitution qui a été levée par le Constituant du 18 février 2006, confie la direction des provinces aux mandataires politiques élus tant aux assemblées provinciales qu’au gouvernorat (articles 197 alinéa 4 et 198 alinéa 2 de la Constitution). En application de cette option fondamentale, aussi bien la loi portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces (article 23 alinéa 2) que celle de programmation de l’installation de nouvelles provinces (article 9 alinéa 1.5), disposent expresis verbis que les gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces sont élus par leurs assemblées provinciales respectives. Par ailleurs, en la forme, même si par absurde, une nomination présidentielle était envisageable, par quel acte se ferait-elle ? L’article 79 alinéa 3 de la Constitution dispose clairement que le Président de la République « statue par voie d’ordonnance ». En outre, l’article 81 de la Constitution détermine limitativement les nominations publiques qui sont de la compétence du Président de la République. Cet article ne cite pas les gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces. Le Président de la République ne peut, en conséquence, nommer par ordonnance les autorités provinciales susvisées sans violer cette disposition constitutionnelle. J’entends les tenants de la thèse de nomination soutenir qu’à des circonstances exceptionnelles, des solutions exceptionnelles. Je leur oppose deux objections. D’abord, la notion de «circonstances exceptionnelles » suppose l’imprévisibilité des faits survenus, d’une part, et l’état de nécessité absolue, c.-à-d une situation-limite dans laquelle aucune autre solution n’est envisageable dans le cadre de la loi en vigueur pour assurer le fonctionnement régulier de l’Etat, d’autre part. Or, en pareilles circonstances, la Constitution de la République a bien prévu des portes de sortie en ses articles 85, 144 et 145. Quelle qu’en soit la gravité, la situation qui prévaut actuellement dans les provinces n’a rien d’exceptionnel selon l’entendement du Constituant pour justifier des solutions extraconstitutionnel les ou contra legem. Ensuite, est-il cohérent en droit et en raison d’avoir dans un tra legem. Ensuite, est-il cohérent en droit et en raison d’avoir dans un même Etat des gouverneurs des provinces élus, d’un côté, et ceux nommés, de l’autre? Je n’ose pas, par ailleurs, pensé comme certains que la clôture irrégulière 4es sessions extraordinaires de nouvelles assemblées provinciales a sonné le glas de leur existence. Une telle décision ouvrirait incontestablement la boîte de Pandore et aurait des implications multiples jusqu’ au Parlement national, le Sénat étant dans la même situation en termes de légitimité que ces assemblées dont il est issu. J’avais tiré suffisamment à temps la sonnette d’alarme sur le blocage chaotique qui se profilait à l’horizon au cas où on tenait à installer à tout prix et dans la précipitation, c’est-à- dire sans préparation technique, matérielle ni financière adéquate, les 21 nouvelles provinces dans un délai irréaliste de 3 mois. On n’avait pas besoin d’une spécialité quelconque ou des jumelles sophistiquées pour le percevoir aux firmaments d’un pays aux ressources financières très limitées comme le nôtre. A ce jour, le blocage est total. Les provinces souffrent de crise d’autorité et de l’insuffisance de ressources financières. La RDC qui cherche à rétablir l’autorité de l’Etat dans sa vaste étendue territoriale n’avait pas du tout besoin de pareilles perturbations, surtout à l’approche des élections générales. Quoiqu’il en soit, substituer les gouverneurs et vice-gouverneurs élus par ceux nommés par le Chef de l’Etat ou des fonctionnaires serait une violation grave de la Constitution. Je crains fort qu’une telle démarche ne soit le premier acte d’un processus de disqualification en douceur de la Constitution et d’une crise politique et institutionnelle difficilement maîtrisable par la suite. Je refuse de croire que la requête de la CENI puisse aboutir un ce scenario aussi catastrophique.

5. S’agit-il, enfin, d’impliquer la Cour constitutionnelle dans le report des élections et dans le glissement des mandats politiques en cours ? C’est dangereux. La démarche aurait eu toute sa pertinence si elle avait été entreprise en 2012 lorsque les mandais des députés provinciaux, des gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces ainsi que des sénateurs arrivaient à échéance. J’avais suggéré à l’époque que la Cour suprême de justice, faisant office de Cour constitutionnelle, tilt saisie pour rendre un arrêt de principe qui aurait permis de mieux circonscrire le sens des articles 70 alinéa 2, 103 alinéa 3, 105 alinéa 2 et 197 alinéa 6 de la Constitution qui consacrent le principe de la continuité de l’Etat en ce qui concerne la fin des mandats du Président de la République, des députés nationaux, des sénateurs et des députés provinciaux. Cet arrêt aurait fixé les contours et les limites de ce principe concernant les mandats politiques. Quoiqu’il en soit, je n’ai jamais cru que la mise en œuvre de ce principe du droit administratif concernant les services publics pouvait autoriser de substituer un mandat électif par celui de fait ou conventionnel. C’est une honte pour nous, dirigeants congolais, de n’avoir pas été capables d’organiser les élections des députés provinciaux, des gouverneurs des provinces et des sénateurs à temps, allant jusqu’à la prorogation de leurs mandats de 3 ans, au-delà du terme constitutionnel. Nous ne pouvons pas nous servir d’un mauvais exemple ni de nos propres turpitudes et incapacités pour justifier un report des élections ou un nouveau glissement des mandats des élus de 2007 ou de 2011. L’organisation des élections provinciales et sénatoriales est non seulement une exigence constitutionnelle, mais aussi une question d’honneur national et d’image pour notre pays. Quant aux législatives et à la présidentielle, aucun problème de report ne peut se poser, à moins d’être de mauvaise foi et d’avoir un agenda caché. La RDC a encore du temps pour les tenir dans les délai constitutionnels.

Concernant les locales, communales et urbaines, ma position et mes convictions n’ont pas changé. Ces scrutins ne sont pas indispensables pour le moment. Je le répète, il faut les reporter pour mieux les organiser. Une fois de plu je soutiens que ce report ne posera aucun problème juridique ni politique. S’obstiner à les tenir alors que les plus importantes posent déjà d’énormes problèmes politiques et financiers, c’est compliquer davantage le processus électoral et exacerber inutilement la tension politiqué au pays. De tout ce qui précède, il n’y a pas des raisons objectives de mêler la Cour constitutionnelle à une question qui relève plutôt de la responsabilité des institutions et des acteurs politiques.

A travers ce jeu des questions-réponses auquel je me suis exercé, j’ai tenté de soulever des questions de fond qui me semblent requérir des réponses, claires et un débat aussi ouvert qu’interactif le dossier étant, du moins à ce stade, plutôt politique que technique.

En définitive, je me demande pourquoi la CENI a-t-elle saisi la Cour constitutionnelle des problèmes qui devaient être résolus au niveau du gouvernement et du Parlement, comme j’ai essaye de le démontrer ci-haut? A mon sens, nous devons épargner aux 9 sages de la République, membres de cette institution gardienne de l’Etat de droit et du nouvel ordre politique démocratique porté par la Constitution du 18 février 2006, la torture d’une voltige intellectuelle où le droit peine à se démarquer de la politiqué. Il convient de faire un bon usage dé la jeune Cour constitutionnelle, au risque de l’exposer inutilement aux intempéries du paysage politique congolais et d’éroder tôt sa crédibilité encore à construire, alors que des dossiers plus importants et délicats ne manqueront certainement pas à l’avenir.

Quoiqu’il en soit, cette requête aux contours assez flous, lui soumise par la CENI à un moment chaud où la cohésion nationale et la paix civile dans notre pays ne tiennent qu’à quelques fils de rasoir, constitue en même temps un test et un défi majeur pour la Cour constitutionnelle. De la position qu’elle prendra dépendront la suite du processus électoral et l’idée que se feront désormais les Congolais de son vrai rôle et de la manière dont elle dira le droit à l’avenir.

Si elle rend un arrêt de complaisance ou partisan, elle creusera davantage le fossé qui sépare le Peuple congolais de notre appareil judiciaire, lequel éprouve de la peine à inspirer confiance à nos concitoyens et aux partenaires extérieurs. Elle empruntera la voie du déshonneur et de la déchéance morale suivie par certaines juridictions homologues du continent africain qui ont mis le feu aux poudres au Burundi, en Côte d’ Ivoire et à Madagascar dans un passé récent, pour rie citer que ces cas Alors, les Congolais diront comme le Général belge Emile Jannsens en 1960 après la Cour constitutionnelle égale avant la Cour constitutionnelle.

Si, par contre, la Cour constitutionnelle dit le droit en toute impartialité et avec toute la rigueur du scientifique, elle prisera le premier pas de la marche de la RDC vers I’ Etat de droit et créera les conditions d’une paix civile véritable. La Cour contribuera ainsi grandement à la consolidation de la démocratie congolaise. Elle donnera, après le bon discours, de son Président à la clôture de la dernière session du Conseil supérieur de la magistrature, les nouvelles misons au Peuple congolais d’espérer la restauration effective de l’autorité de l’Etat et au monde extérieur de commencer à faire davantage confiance à notre appareil judiciaire dont l’image n’est pas encore si reluisante. Pour tout dire, les hauts magistrats de la Cour jouent gros leur crédibilité dans cette affaire.

Je connais personnellement presque toutes les éminentes personnalités qui composent la Cour constitutionnelle. Certaines sont, d’ailleurs, des sommités du monde scientifique. Je suis convaincu qu’elles sont conscientes de leur responsabilité dans la marche du pays, des attentes du Peuple congolais, des enjeux et défis du moment ainsi que de l’importance déterminante de leur mission par ces temps des turbulences politiques, je ne crois pas qu’à ce stade il y ait une raison objective qui puisse justifier des procès d’intention ou des suspicions à leur égard. Faisons leur confiance jusqu’à la preuve du contraire.

Quant au fond du dossier, si je pouvais faire quelques propositions, je répéterais de prime abord que les questions soulevées aussi bien par les médias que par les compatriotes dont moi-même procèdent du politique. Ne dit-on pas que le politique tient tout en état ? C’est donc au sein des institutions politiques, de la classe politique et avec le peuple congolais qu’il faut trouver des solutions appropriées. A ce propos, je me demande à quoi serviraient le dialogue politique projeté par le Chef de l’Etat et les prochains débats parlementaires sur le budget de l’exercice 2016 si certaines questions à examiner sont déjà tranchées par la Cour constitutionnelle?

Au lieu d’assister impuissant au spectacle désolant du jeu de pingpong entre la CENI et le Gouvernement qui se rejettent la responsabilité du report de tel ou tel scrutin ou de la modification du calendrier électoral,-je peux suggérer ce qui suit:

1. renvoyer définitivement à plus tard les élections locales, communales et urbaines pour mieux les préparer et diminuer la charge financière de prochaines élections;

2. tirer les leçons des difficultés rencontrées dans l’organisation de l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs de nouvelles provinces et modifier la loi de programmation dans le sens de sa mise en application graduelle. Il n’y a ni honte ni faiblesse à revenir sur ses pas pour mieux faire et prendre le bon chemin.

3. organiser les élections des autorités de nouvelles provinces dans le mouvement général des prochaines élections ;

4. laisser les gouvernements des provinces démembrées continuer à les gérer et installer graduellement, en même temps, les services provinciaux dans celles issues du démembrement pour préparer l’arrivée des nouveaux dirigeants;

5. renvoyer la question du financement des élections et du décaissement des fonds en faveur de la CENT au Parlement dans le cadre de l’examen du budget dé l’Etat pour l’exercice 2016. Ace sujet, j’invite mes collègues parlementaires, députés et sénateurs, à discuter avec le Gouvernement les priorités de ce budget et un plan de décaissements réaliste des fonds affectés aux élections dont nous devrions suivre rigoureusement l’exécution;

6. compte tenu du retard accumulé et de l’ampleur des contraintes à lever dans la mise en œuvre du calendrier électoral, renvoyer la tenue des élections provinciales et sénatoriales à l’armée prochaine, aux dates qui seront convenues au dialogue politique ;

7. demander à la CENI de présenter au Parlement, au Gouvernement, à la classe politique et à la société civile les alternatives possibles pour actualiser le fichier électoral et enrôler les nouveaux majeurs ;

8. demander à la CENI d’ajuster le calendrier électoral aux nouvelles réalités, mais dans le respect des délais constitutionnels impératifs.

Toutefois, il ne convient pas de se voiler la face. Il me semble, en effet, que le calendrier électoral, le financement des élections, le fichier électoral, le glissement … ne sont que des épiphénomènes. La question de fond ‘qui pollue depuis bientôt trois ans l’atmosphère politique en RDC et perturbe quelque peu le fonctionnement de ses institutions républicaines est celle du troisième mandat du Président de la République. Je suis convaincu que si cette question ne se posait pas, notre pays poursuivrait tranquillement sa marche victorieuse vers le progrès amorcée avec le Président Joseph Kabila et les élections s’organiseraient sans trop d’accros.

Voilà pourquoi, je reste le regard tourné vers le Président de la République, la plus haute autorité politique de l’Etat congolais, et lui lance un appel patriotique, en ma qualité de député national, représentant légitime du Peuple congolais, pour qu’il rompe son silence et clarifie sa position à ce sujet.

Cette clarification est devenue d’autant plus indispensable pour le moment que le silence du Président de la République se conjugue avec une certaine campagne dans les médias nationaux et internationaux pour un troisième mandat. Cette campagne en rajoute à la confusion au sein de la population et érode chaque jour davantage la confiance entre les acteurs politiques. Elle provoque, à tort ou à raison, des suspicions et des doutes quant à la volonté réelle du Chef de l’Etat de convoquer le dialogue politique. Elle ne contribue donc pas à créer un climat favorable à un dialogue que nous voulons tous fructueux et sincère.

Au sujet de ce dialogue que je continue à soutenir, je crois qu’il devient plus qu’urgent qu’il se tienne pour crever les abcès qui torturent le Peuple congolais et ses dirigeants. Là encore, mon regard reste toujours fixé sur le Chef de l’Etat. Comme il le souhaite lui-même, ce dialogue devra nous permettre de renforcer la cohésion nationale menacée et de dégager un consensus national tant sur le processus électoral que sur les conditions de la décrispation politique, mais à condition qu’il se tienne dans la sérénité, en toute responsabilité, sans tabous ni calculs politiciens et dans le respect aussi bien de la Constitution que des institutions de la République.

Je ne saurai terminer ces écrits sans interpeller l’élite intellectuelle congolaise. Je ne suis pas élitiste ni adepte du fétichisme des diplômes. Cependant, je considère que tout celui qui a eu le privilège d’accéder à la lumière de la science à quelque niveau que ce soit, a acquis la capacité de comprendre, de raisonner, d’expliquer, et d’inventer. Les intellectuels doivent être la conscience éclairée de leurs sociétés, Ils ont le devoir sacré de participer au leadership collectif de leurs sociétés et de se placer toujours aux avant- postes du progrès.

Dans l’histoire de l’humanité, les grandes révolutions culturelles, politiques, économiques et sociales ont été avant tout l’œuvre des têtes pensantes. Il est anormal et inadmissible que face à la situation actuelle de notre pays confronté à des défis politiques majeurs dans un climat de tension latente qui menace la paix civile et la concorde nationale, une bonne majorité des intellectuels congolais se taisent, fuyant ainsi leurs responsabilités historiques pour se laisser anesthésier par le fatalisme du destin et la peur. Pis encore, certains sombrent dans la flatterie, la complaisance, l’égoïsme, l’hypocrisie ou se cachent derrière le mur de la lamentation que nous érigeons chaque jour, au lieu de s’engager dans l’action pour faire triompher l’excellence dont ils sont sensés être porteurs, et donner une nouvelle espérance à notre peuple. C’est à croire qu’activement ou passivement, par l’indifférence et la complicité du silence, dirigeants et simples citoyens, nous nous employons tous en RDC à disqualifier la Constitution ainsi que les institutions de la République qui en sont issues, et à détruire nous-mêmes l’œuvre commune réalisée de longue haleine depuis le dialogue intercongolais avec le Président Joseph Kabila.

Ce que nous avons négocié et convenu solennellement hier dans l’enthousiasme et l’allégresse avec l’engagement ferme de ne point reproduire les tristes expériences du passé et de promouvoir à jamais la démocratie, est devenu subitement ‘un’ chiffon à jeter dans la poubelle de l’histoire sans que le plus grand nombre s’en émeuvent, préférant s’en remettre au miracle céleste et attendre le salut de la communauté internationale, au lieu de prendre courageusement en mains le destin de notre pays.

En tous cas, se taire ou afficher l’indifférence dans la situation actuelle de la RDC est une haute trahison pour tout intellectuel digne de ce nom.

Christophe LUTUNDULA PEN’APALA

Député national

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