CENCO : La tentation de l’effraction
Dans de nombreux pays, les conférences épiscopales interviennent dans le débat public pour éclairer la conscience collective, dénoncer les dérives, rappeler les exigences éthiques de la gouvernance. Elles y jouent un rôle de vigie morale, souvent salué comme un contrepoids nécessaire. L’Amérique latine en offre les exemples les plus flamboyants. Les épiscopats du Brésil, du Mexique…se distinguent par la vigueur de leurs positions contre la corruption, les violations des droits humains et les scandales politiques qui minent leurs nations.
En RDC, la CENCO a longtemps occupé ce registre. L’histoire retient les altercations mémorables entre le cardinal Malula et le président Mobutu, au point que le prélat dut s’exiler un temps à Rome pour avoir dénoncé, avec la franchise les dérives du régime du MPR.
Mais il faut rappeler que le cardinal Malula, s’il prenait la parole, ne réclamait point de s’asseoir à la table des acteurs politiques.
Il parlait comme pasteur, non comme prétendant au pouvoir.
À partir des années 1990, un tournant s’opère. Cherchant une personnalité neutre pour présider la Conférence nationale souveraine, la classe politique fit appel à Mgr Laurent Monsengwo Pasinya. L’homme accomplit sa mission avec brio. Puis vint le HCR/PT, instance hybride où se mêlaient prestige, influence et ressources. Ce double mandat porteur d’un immense capital symbolique, modifia subtilement la nature du rapport entre l’Église et la politique. L’épiscopat découvrit qu’il pouvait jouer un rôle de premier plan dans l’architecture institutionnelle.
À partir de là, une pente glissante se dessina.
De plus en plus, la CENCO semble vouloir franchir la frontière qui sépare l’espace moral de l’espace politique. Non contente d’exercer une pression sur les gouvernants ,elle aspire désormais à participer aux discussions au même titre que les détenteurs d’un mandat démocratique.
On peut alors légitimement se poser la question. Avec quelle légitimité ?
Récemment, le cardinal Ambongo a déclaré que tout arrangement politique élaboré en dehors du "pacte républicain" serait nul. Autrement dit, aucune solution nationale ne serait valable si elle n’émane pas de deux Églises qui n’ont pourtant reçu aucun mandat du souverain primaire. Une telle prétention évoque moins la prophétie biblique que l’aristocratie ecclésiale du Moyen Âge. Comme le rappelait Montesquieu : " Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice. "
S’agit-il encore d’un guide spirituel… ou d’un acteur politique de plein exercice ?
La RDC n’a pourtant jamais renoncé à son caractère laïque. Dans un État moderne, les affaires de la Cité relèvent des institutions issues du suffrage, non de structures religieuses qui ne représentent qu’une partie de la communauté nationale.
L’Église est libre d’éclairer, d’avertir, d’exhorter. Mais gouverner ou co-gouverner n’est point son rôle.
Ce glissement préoccupant alimente aujourd’hui une lecture nouvelle. La CENCO, jadis force morale, apparaît désormais comme un véritable parti politique d’opposition déguisé, multipliant les attaques frontales contre le régime actuel et semblant abandonner toute objectivité. Certains observateurs notent que la gratuité de l’enseignement, réforme majeure du Chef de l’État, aurait privé certaines structures catholiques d’un important levier financier, ce qui n’a jamais été assumé publiquement mais transpire à travers certaines prises de position.
Fort heureusement, l’unanimité n’existe pas dans l’Église. Des voix courageuses, comme celle d’un célèbre prélat du Kasaï oriental, rappellent que la mission pastorale ne doit pas être dévoyée au profit d’ambitions politiques voilées.
Aujourd’hui, alors que l’autorité légitime leur a clairement fermé la porte des négociations politiques, la CENCO cherche, malgré tout à pénétrer l’arène par effraction.
Réussira-t-elle ?
Wait and see.
Tribune de Steve Mbikayi, député national et président du Parti Travailliste (PT)