Les pratiques dites de visa doivent être proscrites dans les Cours et Tribunaux de la République démocratique du Congo, car elles contribuent à la corruption. Les juges ne doivent pas soumettre leur projet de jugement à leur chef de juridiction pour obtention du visa avant le prononcé.
C'est le point de vue développé par maître Carlos Ngwapitshi, au cours d'une conférence-débat animée le samedi 25 mai dernier à l'École de criminologie de l'université de Kinshasa (UNIKIN). Ce chercheur a démontré, textes légaux à l'appui, que ces pratiques sont illégales.
"Sur le terrain, il se pose un problème. Au lieu que ce visa puisse produire des résultats positifs, à ce jour, nous constatons qu'il est une véritable soupape d'imposition de la volonté des chefs de juridiction. La position du chef, fût-elle contraire à la loi ou à la position des membres de composition, se présente en réalité comme un véritable veto. Le visa aujourd'hui a contribué à l'accentuation des pratiques marginales décriées dans le pouvoir judiciaire, à savoir la corruption, le clientélisme, la concussion, et de manière générale l'injustice", a-t-il déclaré.
Violation du secret de délibéré et de l'indépendance du juge
Pour Me Carlos Ngwapitshi, en plus de contribuer à la corruption et d'autres abus, la pratique de visa, viole l'indépendance des juges garantie par la Constitution, le secret de délivré prévu par la Loi organique sur l'organisation et le fonctionnement des juridictions de l'ordre judiciaire, voire le code d'éthique des magistrats.
"Les chefs de juridiction véreux imposent à leurs magistrats de présenter des sommes d'argent avant d'obtenir ce fameux visa. Somme que la composition devra, à son tour, exiger aux justiciables avec des mots codés tels que, chers collègues, le dossier est nu. Il n'est pas habillé. Cette pratique viole en réalité l'indépendance du juge, laquelle indépendance est proclamée et garantie par l'article 149 de la Constitution. Le visa viole aussi le secret de délibéré prévu à l'article 41 de la loi organique du 11 avril 2013 portant organisation et fonctionnement des juridictions de l'ordre judiciaire", a-t-il martelé.
De ses études sur le terrain, Me Carlos Ngwapitshi dit avoir appris que certains chefs de juridictions se permettent même de changer le fond d'une décision judiciaire, sans avoir consulté les juges qui ont siégé sur l'affaire. À côté de cela, explique-t-il, il y a ceux qui les bloquent, autant de temps que ça prendre faute de payement des frais de visa.
L'Etat de droit en danger
Selon ce chercheur, en mettant les avantages et les inconvénients de la pratique de visa sur la balance, il s'avère qu'elle est plus nocive à l'administration de la justice qu'elle ne contribue à l'émergence d'un véritable État de droit en RDC, basé sur le respect de la loi qui doit être au-dessus de tous.
Ainsi, à titre de recommandations, il encourage les juges à refuser les ordres manifestement illégaux de leurs chefs. Il plaide aussi pour que les chefs de juridiction puissent engager leur responsabilité en cas de remise en question des décisions judiciaires qui ont subi leurs modifications.
Abordant la question dans une approche aussi holistique que diachronique, Me Ngwapitshi a par ailleurs rappelé que la pratique de visa a vu le jour dans les Cours et Tribunaux de la RDC, principalement ceux de Kinshasa, il y a plus deux décennies. À ce jour, souligne-t-il, le visa se présente sous forme d'un paraphe que le chef de juridiction appose sur la farde ou le projet de jugement.
Le CSM doit annuler sa circulaire formalisant la pratique de visa
"La pratique de visa a élu domicile devant les cours et tribunaux congolais vers les années 2000-2002 et spécialement à Kinshasa. Elle consiste pour un juge ou une composition qui a assisté au débat à soumettre son projet de jugement, d'ordonnance ou d'arrêt au président du Tribunal ou de la Cour pour que ce dernier puisse autoriser son prononcé. À ce jour, le visa se présente sous forme d'un paraphe que le chef de juridiction doit apposer sur la farde ou le projet de jugement", a-t-il expliqué.
Quoiqu'irrégulière, la pratique de visa a été formalisée par le Conseil supérieur de la magistrature à travers une circulaire, rapporte le chercheur. À en croire, les objectifs avoués à son institutionnalisation étaient entre autres d'assurer la formation continue des jeunes magistrats, d'éviter les abus des juges et d'uniformiser la jurisprudence au sein d'une même juridiction.
" Les chefs de juridiction, n'étant pas en mesure d'encadrer ou de faire le suivi professionnel ou individualisé de chacun des juges, procédaient par le visa pour apprécier le degré de connaissance de ses collègues et éventuellement procéder à leur redressement. Le recours à cette pratique a été dicté par le fait que certains juges ou composition unique ou collégiale, par manque d'expérience ou par ignorance de droit, ou encore pour des motivations obscures et malsaines, prononçaient des décisions sujettes à beaucoup de critiques. Ainsi, l'image de toute la juridiction était ternie", a souligné Me Carlos Ngwapitshi.
Et de poursuivre : Étant donné que ces décisions qui étaient prises ne passaient pas par un filtrage des chefs de juridiction et décriées par tous, la hiérarchie du pouvoir judiciaire, donc le Conseil supérieur de la magistrature, était obligé de prendre des circulaires par lesquelles le visa a été formalisé en vue d'assurer le contrôle de toutes les décisions qui sortent d'une juridiction. Cette mesure de sécurité a été mise en place pour limiter ou mettre fin à certaines pratiques malsaines qui avaient élu domicile dans le chef des juges".
ODN