Une même préoccupation semble partagée par les pro comme les anti-Dialogue initié par le Chef de l’Etat : le refus du glissement du calendrier électoral. Pendant que s’effritent les chances de voir Joseph Kabila réunir autour de lui les membres de sa famille politique ainsi que ceux de différentes sensibilités de l’Opposition, des officines diplomatiques occidentales et américaines scrutent l’horizon à la loupe. Elles cherchent à savoir ce qui pourrait arriver en RDC si les Congolais refusaient de se remettre autour d’une même table en vue de passer en revue tous les problèmes qui fâchent. Il s’agit, pêle-mêle, du contentieux électoral de 2011, de la neutralité du Bureau de la Ceni, du calendrier électoral jugé non consensuel, du renvoi des élections locales au-delà de 2016, du non glissement du calendrier électoral pour la présidentielle et les législatives nationale de 2016, de l’audit externe du fichier électoral, de l’enrôlement de nouveaux majeurs, de la libération des prisonniers politiques, de la réouverture des médias de l’Opposition fermés, etc.
A en croire la mouture d’une réflexion en circulation dans certaines chancelleries, le glissement serait incontournable. Et l’ultime cartouche détenue par le pouvoir en place pour y parvenir, en douceur, serait le découpage territorial. Des observateurs occidentaux pensent que là où les tentatives de révision de la Constitution, d’organisation du référendum constitutionnel ou de subordination des élections aux opérations préalables d’identification et de recensement de la population ont fait flop…l’installation de nouvelles provinces pourrait passer sans soulever des vagues du genre de celles de janvier 2015.
Découpage non budgétisé
Sur papier, le passage de la République Démocratique du Congo de 11 à 26 nouvelles provinces ne fait plus l’ombre d’un doute. Sur le terrain cependant, il s’avère qu’aucune nouvelle provincette ne pourrait entrer en activité, pour la simple et bonne raison que le découpage territorial n’est pas budgétisé pour l’exercice 2015. Et même si cette précaution avait été prise, il aurait été impossible pour le gouvernement central de financer à la fois la mise en place de nouvelles provinces et l’organisation des élections locales, municipales, urbaines et législatives provinciales. On rappelle que la Ceni a besoin de plus d’un milliard de dollars pour boucler le cycle électoral.
L’année 2016, avec la tenue des élections législatives nationales et présidentielle, présente la même difficulté pour dégager des ressources que requiert le fonctionnement de 26 nouvelles entités territoriales. A la lumière de la gué-guerre à laquelle l’on assiste, depuis 2006, entre le gouvernement central et les exécutifs provinciaux au sujet de la rétrocession de 40% des recettes aux provinces, force est de constater que la RDC n’a pas les moyens d’exécuter, ni en 2015, ni en 2016 et peut-être pas en 2017 et 2018, la volonté du législateur en matière de découpage territorial.
La mobilisation des fonds pour l’aménagement de nouvelles routes, usines de production d’eau potable, centrales hydroélectriques, écoles, universités, formations médicales, pistes d’aviation, fermes agro-industrielles, installations sportives et culturelles, la prise en charge des fonctionnaires, la dotation des nouvelles administrations en matériels et fournitures de bureaux, n’est pas possible en l’état actuel de la production interne.
Tensions interethniques
La naissance de nouvelles provinces s’accompagne, aux quatre coins du pays, des tensions latentes entre ethnies et tribus qui se disputent déjà le leadership ou qui n’acceptent pas d’être versées dans un espace géographique donné plutôt que dans un autre. De petits roitelets, incapables d’émerger au sein d’institutions politiques à Kinshasa ou dans leurs provinces d’avant le découpage, n’attendent que cela pour se mettre négativement en valeur. L’on va forcément assister, à la tête de provincettes non viables, à la montée de revendications territoriales, fiscales, douanières, domaniales, culturelles et autres, susceptibles d’engendrer des conflits avec des provincettes voisines, voire le pouvoir central.
A défaut des conflits armés entre ethnies ou tribus autour d’une montagne, d’une mine, d’un lac, d’une rivière, d’une forêt, d’un champ, d’une école, d’une église, d’un stade…on risque de voir des provincettes s’ériger en Etats autonomes et entrer ouvertement en rébellion contre Kinshasa, comme ce fut le cas au lendemain de l’indépendance, entre 1960 et 1965.
Découpage et forces négatives
Le découpage territorial intervient à un moment où plusieurs contrées du pays en Province Orientale, au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et au Katanga sont en proie à l’insécurité induite par la présence des forces négatives, internes comme externes. Alors que la paix durable n’y est pas encore rétablie, il est à craindre que la spirale de l’insécurité ne soit relancée un peu partout, au point de contaminer l’Equateur, les deux Kasai et le Bandundu, et rendre le pays ingouvernable. Si les seigneurs de guerre nationaux et étrangers qui empêchent nos compatriotes du Nord, de l’Est et du Sud de dormir tranquille se créent des alliés à l’Equateur, dans les deux Kasaï et au Bandundu, l’équation de l’unification administrative et territoriale ainsi que celle de la cohésion nationale va sérieusement se compliquer. En lieu et place de quelques foyers d’insécurité, celle-ci va toucher une large surface. Une douce balkanisation semble se cacher derrière le découpage territorial.
Combien de temps pour un Congo « normal » ?
Selon certains analystes politiques, il faudrait compter cinq ans ou plus pour permettre à la RDC d’avaler la pilule du découpage territorial. Bref, pour amener le grand Congo à redevenir un pays « normal », il faudrait sacrifier plusieurs années. Comme conséquence collatérale des ratés de la machine de la création de nouvelles entités territoriales décentralisées, il y aura forcément un glissement du calendrier électoral. Comme dit plus haut, il est pratiquement exclu que le trésor public congolais porte concomitamment le processus électoral et le découpage territorial. Un choix devrait être opéré : soit la mise en place de nouvelles provinces, soit la tenue des élections. Mais, au regard de l’environnement politique de ces derniers mois, le processus électoral a très peu de chance d’échapper au glissement.
Kimp