C’est en véritable connaisseur ayant l’expérience de la fonction que Bavon N’SA Mputu Elima, actuellement membre de la Commission Environnement de l’Assemblée nationale, parle des enjeux, pour la partie rd-congolaise, de la 21ème Conférence des Parties sur les Changements Climatiques qui se tiendra à Paris, désignée sous le sigle ‘‘COP 21’’. Les experts congolais devront avancer des arguments pour permettre au pays d’accéder à la Finance carbone. La RDC, en effet, offre des perspectives de développement des filières industrielles impulsées par l’énergie solaire, éolienne et hydraulique, sobres en carbone. Ce n’est pas tout. La RDC n’a qu’à mettre en avant sa position géographique et son potentiel hydraulique. La délégation congolaise, si elle est très bien constituée, devra d’abord présenter les avantages comparatifs réels dont dispose le pays, en termes d’écosystèmes forestiers, savanicoles, montagneux, lacustres, fluviaux qui font de la RDC un pays dit de méga-biodiversité. L’admission de la RDC sur le lot de neuf pays, bénéficiaires des premières interventions du Fonds Vert Climat mondial, avec une capitalisation à ce jour, de près de 10 milliards de dollars, offre l’opportunité de financer les stratégies, les politiques et les projets d’investissements. Pour mieux expliciter sa pensée, Bavon N’SA Mputu a accordé une interview au Potentiel que La Prospérité se donne la mission de répercuter.
INTERVIEW AU POTENTIEL DE L’HONORABLE BAVON N’SA MPUTU ELIMA
LP: Honorable Député, comme membre de la Commission Environnement de l’Assemblée Nationale et Ministre honoraire de l’Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme, et à la veille de cette 21ème Conférence des Parties sur les Changements Climatiques, quels en sont, selon vous, les enjeux?
BAVON N’SA MPUTU ELIMA (BNE) : Tous les décideurs politiques, économiques, financiers et les différents experts sont unanimes pour circonscrire cette 21ème Conférence des Parties à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, autour de quatre enjeux majeurs:
- Primo: cette conférence de Paris en ce début du mois de décembre 2015 porte sur la prorogation du Protocole de Kyoto, lequel protocole a été adopté dans la ville éponyme du Japon en 1997, entré en vigueur en 2005 et prorogé transitoirement jusqu’à fin décembre 2020, lors de la 18ème Conférence des Parties tenue à Doha (Qatar) en décembre 2012.
Il s’agira donc de trouver un cadre multilatéral devant régir les négociations climatiques après cette échéance de 2020.
- Secundo: Pour mettre en place ce cadre multilatéral voulu contraignant par les différents Etats-parties à la Convention, cette conférence devra présenter les engagements cohérents et précis, en termes quantitatifs, de réduction des émissions des gaz à effet de serre, afin de contenir à l’échéance 2100, la température de l’atmosphère terrestre, en deçà de 2° centigrade.
- Tertio: cette conférence a l’ambition d’opérationnaliser le Fonds Vert Climat mondial, ou plutôt mettre en oeuvre effectivement ce bras financier, sous forme d’un guichet bancaire pour soutenir financièrement les différents Etats, dans leurs politiques et réformes économiques internes compatibles avec cet objectif global d’endiguement de la hausse de la température terrestre.
- Quarto: dénombrée comme la 21ème, cette conférence est la vingt et unième du genre, se tenant chaque année et identifiée également comme la 11ème Conférence des parties au Protocole de Kyoto. Il s’agit ici de véritablement crédibiliser ces négociations 21 ans après, pour la Convention Cadre et 11 ans pour son Protocole d’exécution, pour que les décideurs à tous les niveaux: gouvernements, investisseurs publics et privés, organisations de la Société Civile, puissent une fois de plus croire en l’avenir des négociations climatiques et prendre véritablement le train de la mise en oeuvre des politiques et des reformes sectorielles, en les adaptant aux contingences de réduction de la température de l’atmosphère terrestre.
LP : Pensez-vous que la République Démocratique du Congo s’est préparée suffisamment par l’élaboration des politiques et stratégies dans le cadre de cet effort mondial mené au sein du système des Nations Unies, pour lutter contre les changements climatiques?
BNE : Il convient d’abord de présenter les avantages comparatifs réels dont dispose la RDC, en termes d’écosystèmes forestiers, savanicoles, montagneux, lacustres, fluviaux qui en font un pays dit de méga-biodiversité.
La RDC est située physiquement à cheval de la ligne de l’équateur, ce méridien qui divise le globe terrestre en deux parties égales. Bien exposée au soleil, elle dispose de ce fait, des conditions climatiques qui font qu’elle détienne près de 65 % des forêts du Bassin du Congo, représentant le deuxième massif forestier du monde après celui de l’Amazonie.
Tous les experts sont unanimes pour reconnaitre la place de choix qu’occupe la RDC dans cet effort mondial de lutte contre les changements climatiques et je relève ici cette citation de Jean Louis Borloo, ancien ministre français de l’Ecologie et initiateur de la Fondation “Energie pour l’Afrique”, affirmant qu’en matière de climat, l’Afrique est la chance de l’humanité. Je serai plus ambitieux en affirmant qu’il s’agit plutôt de la RDC.
LP: Quels sont concrètement, à votre avis, les stratégies et politiques mises en œuvre en RDC?
BNE: Par une approche séquentielle, je voudrais d’abord circonscrire le cadre dans lequel s’élabore les stratégies et les politiques du gouvernement. En faisant l’exégèse de la vision et des idées forces du Chef de l’Etat, lesquelles ont inspiré le plan d’actions sur base duquel le gouvernement a été investi en mai 2012, il se dégage que l’émergence économique de notre pays à l’horizon 2030, repose sur bon nombre de piliers ayant intégré les considérations climatiques, à savoir l’affirmation de la puissance énergétique et environnementale de notre pays.
Ces piliers sont compatibles avec les grands axes du Document de Stratégie pour la Croissance et la Réduction de la pauvreté, 2ème génération, lequel a reçu l’adhésion du gouvernement, des partenaires de développement et de la Société Civile. Raison pour laquelle, ledit document organise en matière environnementale et climatique, un cadre formel de concertation, d’évaluation et de mise en oeuvre des politiques, avec les partenaires bilatéraux et multilatéraux, dénommé Groupe thématique 15: Environnement, Forêt, Eau, Biodiversité et Tourisme.
Au niveau du Ministère sectoriel du Gouvernement en charge des questions environnementales et du développement durable, diverses réformes sont mises en œuvre en vue de soutenir l’effort national de lutte contre les changements climatiques. Il convient de relever l’adoption et la mise en œuvre du Code Forestier par la loi n° 011/2002 du 29 août 2002. Ce code a intégré déjà les principes universellement consacrés par les conventions internationales portant sur l’inventaire, l’aménagement, la gestion rationnelle et durable des forêts ainsi que l’implication à mains égards des populations attenantes au bénéfice de leur exploitation. Outre l’exploitation économique, ce code organise la gestion des forets à des fins de conservation.
De même, la loi 11/09 du 11 juillet 2011 portant principes fondamentaux relatifs à la protection de l’environnement, intègre les principes universels de précaution, de réparation, de concertation, de pollueur-payeur et de développement durable. Cette loi institue les mécanismes procéduraux de protection de l’environnement, pris en charge par l’Agence Congolaise de l’Environnement, ACE en sigle, au travers des audits environnementaux, des enquêtes publiques et de l’élaboration des études d’impact environnemental et social, pour tout projet d’investissement impactant l’environnement physique des concitoyens.
Il va de soi que les politiques sectorielles du gouvernement en matière d’infrastructures, des télécommunications, d’agriculture, des mines, intègrent à ce jour, ces principes universels de protection de l’environnement, afin de lutter contre les changements climatiques.
En sus, l’adoption et la mise en œuvre de la loi n°14/003 du 11 février 2014 sur la Conservation de la Nature, en intégrant les protocoles de Nagoya et de Carthagène, en application de la Convention Cadre des Nations Unies sur la Diversité Biologique, viennent en appui à la Conservation de la biodiversité, et assure la promotion des revenus alternatifs aux populations par leur accès de manière juste et équitable aux avantages économiques et financiers découlant de l’utilisation à l’échelle industrielle, de leurs connaissances traditionnelles.
La Pros : La RDC peut-elle accéder à la Finance Carbone?
BNE: Il convient d’abord de relever que le Protocole de Kyoto, dont la prorogation constitue le socle de cette conférence de Paris, est le texte fondateur du marché carbone dans la mesure où il organise la lutte contre les changements climatiques, autour de la limitation quantitative des émissions des gaz à effet de serre. Différents mécanismes sont prévus pour accéder à la Finance Carbone notamment, par le biais des Mécanismes dits de Développement Propre, MDP en sigle. Succinctement, ces mécanismes créent des permis d’émission sur base des projets sobres en carbone, selon qu’il s’agit des projets à l’intérieur des pays classés à l’annexe I (Pays industrialisés, gros émetteurs des gaz à effet de serre) du protocole de Kyoto, ou des projets situés dans des pays non annexe I (Pays en voie de développement, à bilan carbone net) financés par les pays industrialisés.
Dans son effort de reconstruction, la RDC offre, de par sa position géographique et son potentiel hydrologique, des perspectives de développement des filières industrielles impulsées par l’énergie solaire, éolienne et hydroélectrique, sobres en carbone.
Pays essentiellement forestier, la RDC développe à l’instar du Brésil, de l’Indonésie et d’autres pays forestiers du bassin du Congo, sa grande stratégie d’adaptation dans le secteur des forêts, en l’occurrence sa stratégie Cadre REDD+ présentée devant la Communauté Internationale, lors de la COP 18 de DOHA(Qatar). Lancé en 2009 avec quelques projets pilotes, ce processus de réduction des émissions de gaz à effet de serre à la suite de la déforestation et de la dégradation des forêts, a fait un bon en avant avec l’admission en 2014 dans le pipeline du Fonds Carbone de la Banque Mondiale d’un projet REDD effectif, juridictionnel sur une vaste étendue de près de 12 millions d’hectare dans l’actuelle Province du Maï-Ndombe. J’insiste pour dire que ce processus est extrêmement laborieux, il rétribue l’effort de réduction et de séquestration des gaz à effet de serre, et est assis sur des résultats probants, rapportés, vérifiés et notifiés suivant des standards internationaux.
En appui à ce processus, la RDC a été admise au Fonds d’Investissement Climat, par l’allocation d’un financement de l’ordre de 60 millions de dollars américains, au titre du Programme d’Investissement pour les Forêts (PIF), pour la régénération et la protection des forets et de la biodiversité, dans les bassins de Kinshasa, Kananga, Mbuji-Mayi et Kisangani. Et comme vous le savez, la mise en oeuvre du processus REDD, consiste à la fois, à agir sur les secteurs répertoriés comme moteurs de la déforestation (agriculture, Infrastructures, Energie, Mines), et à trouver des alternatives économiques et des revenus nouveaux aux populations, afin d’atténuer la pression sur les forêts.
Je relève également que le développement du Fonds fiduciaire pour les aires protégées dit Fonds Okapi, s’inscrit dans cette dynamique de protection des écosystèmes, en assurant l’insertion dans le processus de reconstruction nationale, des parcs et aires protégées , représentant à ce jour 12 % de la surface du pays, à travers la promotion d’un tourisme durable, ciblé par la Banque Mondiale, comme un des secteurs d’adaptation pour lutter contre les changements climatiques.
Je voudrais également dire que la mise en oeuvre de la matrice de gouvernance négociée avec la Banque Mondiale au mois de mai 2014, par l’insertion des normes REDD+ dans les secteurs des Mines et des Hydrocarbures, porteurs de croissance économique, traduit, point besoin de le répéter, l’engagement du gouvernement à construire une véritable économie verte et à tirer profit de tous les mécanismes prévus par le protocole de Kyoto, pour accéder au Marché Carbone.
LP : Quelles sont les perspectives pour la RDC dans le cadre des négociations climatiques?
BNE : D’entrée, je note que notre pays est membre de l’Organisation des Nations Unies, laquelle organise et structure toutes les négociations et conventions sur la durabilité environnementale. En vertu des principes consacrés par lesdites conventions, notamment, le droit de chaque pays au développement et à la propriété de ses ressources naturelles ainsi que celui de la responsabilité commune mais différenciée, la RDC est un partenaire déterminant pour la suite des négociations climatiques.
Comme vous le savez, ces négociations sont à la confluence des intérêts géostratégiques, mettant aux prises des pays aux potentialités et degrés de développement différents. Pour les pays industrialisés, gros émetteurs des gaz à effets de serre, les combustibles fossiles (pétrole, charbon…), constituent encore les principales sources d’énergie. La plus grande puissance industrielle, à savoir, les Etats Unis d’Amérique, lesquels, après avoir atteint leur peak oil vers 1975,1976 sont redevenus les premiers producteurs du pétrole avec l’exploitation du gaz de schyste du grand nord américain et rappelez-vous, qu’ils n’ont jamais ratifié le protocole de Kyoto. Et le Canada s’en est retiré depuis, et l’actuel Premier, Justin Trudeau, a martelé pendant sa campagne électorale, qu’il faudra bien protéger, à la fois, l’environnement et l’économie.
Dans “Guerre et Nature”, éditions PRISMA, J.M. Valentin démontre comment l’Amérique se prépare à la Guerre du Climat, en affirmant que les nouveaux enjeux environnementaux mobilisent tous les efforts des forces militaires américaines, toute l’attention de leur sécurité nationale et que les préoccupations propres au développement durable deviennent une priorité et sont vigoureusement intégrées à leur vaste système de sécurité.
Les crises alimentaires mondiales des années 2007, 2008, 2009, ont été causées par des poussées de sécheresse et des inondations de différents greniers du Monde, de l’Argentine à la Chine, suite au phénomène EL NINO, causé par les de règlements climatiques. L’Afrique du Sud connait ces jours, ces pics de sécheresse, et vient de décréter, un état d’urgence, pour ses grandes provinces agricoles.
Rappelez-vous ces propos de Mme Ségolène Royal, Ministre française de l’Ecologie, lesquels affirment que les révolutions égyptiennes et syriennes ont été fermentées par la rare faction et l’envolée des prix des produits de grande consommation, résultant des dérèglements climatiques.
Pour la RDC, l’engagement pris par le Chef de l’Etat, du haut de la tribune de la 68ème Assemblée Générale des Nations Unies, d’orienter notre pays vers les modes de production et de consommation propres, renforce cette volonté du gouvernement de mettre en oeuvre, à grande échelle, dans le plan de reconstruction nationale, différentes stratégies et politiques compatibles avec les objectifs de développement durable.
Avec l’adoption par l’Assemblée Générale des Nations Unies au mois de septembre 2015, lors de sa 70ème session, du Plan Stratégique de développement Durable pour les 15 prochaines années, notre pays s’y investit par l’élaboration de son Programme National Stratégique pour le Développement (PNSD), 2017-2021 devant succéder au DSCRP II.
Pour cette 21ème Conférence de Paris, notre pays s’y présentera avec sa Contribution Prévue Déterminée Nationale, CDPN en sigle, qui repose essentiellement sur des stratégies d’adaptation et de réduction des émissions des gaz à effet de serre de 17% à l’horizon 2030, socle de son plan de développement durable et dont la mise en oeuvre est évaluée à près de 20 milliards de dollars.
C’est ici l’occasion de relever les partenariats stratégiques développés par la RDC, à l’échelle régionale et sous-régionale; au sein de la Commission Ministérielle de l’Environnement de l’Union Africaine (CMAE), de la Commission des Forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC), de l’Autorité de Régulation des Bassins du lac Kivu et de la rivière Ruzizi (ABAKIR) et l’Initiative Transfrontalière du Grand Virunga (ITGV), de la Grande Commission mixte RDC-RSA pour l’harmonisation des politiques compatibles avec la protection de l’environnement et de la biodiversité
En sus des partenaires bilatéraux traditionnels, comme les USA, l’Allemagne, la France, le Grande Bretagne, le Japon, etc, au travers respectivement des structures comme le SFUS, la GIZ, l’AFD, le DFID, la JICA, la RDC a signé en septembre 2013 avec le Brésil, pays qui regorge l’essentiel du plus grand massif forestier du monde, un partenariat stratégique dans le secteur de l’environnement et des forêts. Il s’agit concrètement d’accompagner la RDC dans la mise en oeuvre des instruments de gestion du processus REDD+, à savoir le système de Mesurage, de Rapportage et de Vérification, MRV en sigle (voir infra) par le développement d’un système de représentation des terres par satellite et d’ouvrir le guichet du Fonds Amazonie capitalisé, à ce jour, à concurrence d’1 milliard de dollars américains, essentiellement par l’Allemagne, la Norvège et la société nationale de pétrole du Brésil PETROBRAS, pour soutenir tous les investissements en rapport avec la protection de l’environnement et des forets.
La capitalisation à ce jour, de près de 10 milliards de dollars, du Fonds Vert Climat mondial et l’admission de la RDC sur le lot de neuf pays, bénéficiaires de ses premières interventions, offrent l’opportunité de véritablement financer les stratégies, les politiques, les projets d’investissement compatibles avec sa CPDN.
Et les perspectives de la construction du Grand Inga, pour la production d’une énergie hydroélectrique propre en carbone, sur un site d’un potentiel de 40000MW, constituent pour la RDC et le monde, une étape décisive dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques.
Dans une approche macro-économique, si les objectifs généraux de la politique économique du gouvernement consistent à créer les conditions d’une croissance économique, d’un plein emploi des facteurs de production et d’une amélioration des revenus des populations, la réalisation des objectifs du développement durable par la construction d’une économie verte alliant croissance économique, absorption rationnelle des ressources, protection de l’environnement et amélioration des conditions de vie des populations, revient à faire le plaidoyer de l’insertion de la politique environnementale dans le mix des instruments de politique économique du gouvernement.
La quête des alternatives économiques, de la diversification des sources d’énergie, du transfert des technologies et des moyens financiers pour soutenir le paquet des mesures d’adaptation et d’atténuation des gaz à effet de serre, est porteuse de la diversification des structures de l’économie, de la diffusion de la croissance économique, et de nouveaux critères de compétitivité et de concurrence incluant l’empreinte écologique dans les échanges commerciaux- voir le cas de Volkswagen aux Etats-Unis.