Le pays semble vivre le mobutisme sans Mobutu
Le discours prononcé solennellement le 24 avril 1990 à N’Sele par le maréchal Mobutu, devant tous les apparatchiks du MPR réunis au grand complet, les hommes tirés à quatre épingles, les femmes parées de leurs plus beaux attraits, les yeux embués de larmes et s’exclamant «
Comprenez mon émotion », fut historiquement le couronnement et l’apothéose de la lutte non-violente menée avec courage, détermination et persévérance par les 13 illustres parlementaires, au prix de nombreux sacrifices, efforts et privations, sous la bannière de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social).
Ce jour-là Mobutu annonça officiellement et à la surprise générale, le décès du MPR (Mouvement populaire de la révolution) parti unique et parti Etat, et laissa ainsi la voie ouverte au pluralisme politique et/ syndical.
Deux ans plus tard, soit en 1992, la Conférence nationale souveraine, réunissant plus de 2.800 délégués venus de tous les coins et recoins du pays, donna un coup de grâce au régime dictatorial de Mobutu, par une série d’actes et de résolutions de refondation de l’Etat et de restauration de la démocratie, le clou de ce changement de décor fut l’élection spectaculaire du Premier ministre chef du gouvernement en la personne du leader de l’UDPS Etienne Tshisekedi avec plus de 75% de voix contre le candidat du pouvoir Thomas Kanza.
Celui qui était considéré comme le dictateur le plus redoutable et sanguinaire en Afrique, Mobutu avait été désacralisé, caricaturé, raillé, fragilisé, impopularisé, honni. Il quitta la Capitale et se retira au fin fond du Nord-Oubangui, dans son patelin ancestral.
Il n’était plus offensif et dangereux, mais ne voulait pas jeter l’éponge avec les honneurs de la guerre. Ses parrains et protecteurs occidentaux décidèrent alors de le faire partir couvert d’humiliation et de honte.
Des pays voisins ont été mis à contribution, notamment le Rwanda et l’Ouganda, avec des hommes de troupe bien équipés d’armes et de munitions, sous la bannière d’une organisation de fortune montée de bric et de broc, dénommée : l’AFDI (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo).
En quelques mois seulement, ces maquisards composés en majorité d’enfants soldats, avaient parcouru ce vaste pays sans coup férir jusqu’à Kinshasa le 17 mai 1997. A leur tête un vétéran congolais du maquis, Laurent- Désiré Kabila flanqué d’éléments sous-marins Tutsi, qui nichait depuis longtemps sur les collines de Fizi-Baraka où il faisait tranquillement du trafic d’or, et brassait de l’argent.
Mobutisme-kabilisme hybrides
Accueillie avec liesse par le peuple et saluée comme une bouée de sauvetage pour contraindre Mobutu à s’enfuir, 1’aventure de l’AFDL n’a pas tardé à apparaitre comme encore une source de beaucoup de maux pour le pays et pour le peuple.
Le pouvoir AFDL stoppa brusquement et étonnamment l’évolution de la démocratie, supprima toutes les activités politiques et renvoya les partis politiques sur une voie de barrage. Verbalement et théoriquement anti-mobutiste dur, le régime de l’AFDL avec Laurent-Désiré Kabila, à la surprise générale, s’est mis dans le sillage de celui de Mobutu.
Après son assassinat odieux et la mise à l’écart de ses compagnons congolais de la première heure, le même régime pétri de mobutisme et de kabilisme a continué et continue jusqu’aujourd’hui.
Que d’années de recul de la démocratie et des valeurs morales sous le lesquelles s’effondre le pays sous l’AFDL avec les épigones de Mzee Laurent-Désiré Kabila! Les élections organisées en 2006 et en 2011 n’ont pratiquement servi qu’à consolider et renforcer le recul de la démocratie et des valeurs morales, donnant lieu à une dictature qui n’a rien à envier à celle de Mobutu.
Il n’y a pas de différence idéologique ni affective entre l’AFDL et le système actuel de la MP. D’ailleurs, ce système se reconnaît implicitement le rejeton pur sucre de l’AFDL. A preuve la commémoration avec pompes et solennités chaque année de la journée du 17 mai, déclarée journée fériée, chômée et payée sur toute l’étendue de la République.
Aucune rupture entre l’AFDL et le système actuel. Tout comme il y a des similitudes frappantes entre le MPR du Mobutisme et la MP du kabilisme.
Culte de la personnalité à l’égard du timonier guide éclairé d’hier et de l’autorité morale d’aujourd’hui. Exaltation de la pensée unique. Réunions périodiques de contrôle d’allégeance et de moralisation des appatchiks hier à N’sele et à Gbadolite et aujourd’hui à Kingakati.
Persécution systématique d’opposants et de militants de la société civile. Arrestations et détentions arbitraires de gens mis au secret dans des culs- de-basse-fosse. Confiscation des médias publics. Accentuation de l’obscurantisme. Crétinisation des masses.
Démonétisation et prostitution des intellectuels qui rampent comme des reptiles devant le pouvoir.
Plusieurs décennies en arrière
Apparition d’une classe de nouveaux riches irresponsables et inconscients qui s’engraissent sans pudeur de la sueur du peuple.
Corruption et débauchage d’opposants. Violations constantes et délibérées de la Constitution. Inquiétant recul de la démocratie et de l’Etat de droit par rapport à l’éveil des consciences et à l’évolution avancée de la société atteints à l’issue de la Conférence nationale souveraine jusqu’à l’arrivée de l’AFDL le 17 mai 1997 à Kinshasa, ayant parcouru ce vaste pays dans quelques mois seulement sans coup férir sur tout son itinéraire de combattant.
Nous sommes ramenés plusieurs décennies en arrière ! Le parlement du système actuel de la MP composé en majorité de béni-oui-oui et d’inconditionnels apparents du raïs, est trait pour trait à l’image du Conseil législatif du MPR de la deuxième République du maréchal du Zaïre.
Les régimes autocratiques se ressemblent à s’y méprendre. Autrefois le massacre du campus de Lubumbashi, aujourd’hui le charnier de Maluku. Dans l’un et l’autre cas, on a vu la Communauté internationale mettre son grain de sel et exiger de diligenter une enquête indépendante et impartiale avec le concours de la Monusco.
Ce vendredi 24 avril est un jour à marquer d’une pierre blanche pour l’UDPS et toutes les forces politiques et sociales patriotes acquises au changement et à l’alternance démocratique, parce que c’est le 25ème anniversaire de la conquête du pluralisme politique et syndical sous la dictature cruelle de Mobutu et son système.
Une victoire remportée de haute lutte acharnée. De l’institutionnalisation du MPR devenu parti- Etat aux années 70 jusqu’à 1997, on en a vu de toutes les couleurs dans ce pays. Persécution d’opposants; oppression et répression du peuple; suppression des libertés et droits civiques; arrestations et détentions arbitraires de gens mis au secret dans des cul-de-basse-fosses; relégations de 13 parlementaires loin de la capitale etc.
En dépit de toutes ces tribulations, il faut rappeler que c’est dans cette période de tourment qu’était née une presse de combat privée de patriotes courageux au risque de leur vie, qui tirait sans ménagement à boulets rouges à qui mieux-mieux sur le dictateur et son régime.
Les nomenklaturistes du système l’avaient alors surnommée « la presse rouge » acquise à l’opposition. Il s’agissait notamment des journaux tels que « Elima, Umoja, La Semaine, Le Potentie1, Le Phare, La Tempête des Tropiques.
Héritage maléfique d’aventuriers
Mobutu et son système étaient désacralisés, caricaturés, persiflés, descendus en flammes dans toute la ligne éditoriale de cette presse rouge.
Jusqu’à la veille du 17 mai 1997 on avait joui des libertés qui sont aujourd’hui comme des fruits défendus, 18 ans plus tard (1997-2015), sous l’héritage de l’AFLL.
Un héritage abominable. La preuve en est que Mzée Laurent-Désiré Kabila lui-même avait dû en fin de compte traiter, sévèrement son machin de « conglomérat d’aventuriers », donc une bande d’individus sans scrupules, sans aveu, sadiques, immoraux, pilleurs, tueurs. C’est cet héritage exécrable récupéré par des épigones jouisseurs, que le pays traine encore comme un boulet.
Le combat aujourd’hui est d’en finir avec cet héritage maléfique, considéré comme une parenthèse détestable de recul de la démocratie et des libertés qui étaient déjà conquises par le peuple.
Par Jean N’Saka wa N’saka/Journaliste indépendant