Depuis 2014, la rébellion d'origine ougandaise ADF (Allied Democratic Forces) est accusée de commettre des massacres des civils dans la région de Beni. Une guerre asymétrique est imposée aux Forces Armées de la République démocratique du Congo qui poursuivent des opérations pour anéantir ce groupe placé sur la liste des mouvements terroristes par le gouvernement.
Cependant, beaucoup d'interrogations persistent sur le fonctionnement des ADF qui tuent sans jamais faire des revendications au gouvernement. Alors, le journaliste d'investigation Nicaise Kibel'Bel Oka, 30 ans de carrière, résidant dans la ville de Goma, a fait son enquête et publié le livre : État islamique en Afrique centrale : de l'ADF/MTM en RDC à Al Sunnah du Mozambique.
Dans ce livre qu'il a présenté à 7SUR7.CD dans une interview accordée le lundi 22 août dernier, Nicaise Kibel'Bel parle du fonctionnement des ADF en commençant par la présentation du groupe, son affiliation à l'État islamique, son financement, les meurtres des imams de la communauté musulmane à Beni et bien d'autres thèmes pour comprendre la guerre de Beni.
(Ci-dessous l'intégralité de l'interview)
7SUR7.CD : Monsieur Nicaise, parlez-nous de ce qui est écrit dans votre livre
« Ce livre présente la nouvelle face de ce qu'on a communément appelé ADF, qui en réalité s'appelle MTM, pour dire Madinat at Tawread Wal Muhahedeen, c'est-à-dire les combattants de la cité sainte de Madina. Nous essayons de présenter l'identité de l'ennemi, donner ses stratégies mais surtout montrer l'allégeance qu'il a faite à l'État islamique pour constituer avec Al Sunnah du Mozambique (Al Sunnah qui signifie ceux qui sont derrière le prophète), la province Afrique centrale de l'État islamique avec comme base, la Somalie ».
7SUR7.CD : Donc, vous affirmez que l'ADF est affilié à l'État islamique ? De quelles preuves disposez-vous ?
« C'est officiellement depuis 2017 que l'État islamique opère en RDC, mais ils avaient commencé à prendre les contacts bien avant. Récemment depuis 2019, 2020 ils revendiquent des attaques à Beni et en Ituri. Ils revendiquent les attaques parce que bien avant, ils ont envoyé les instructeurs pour venir apprendre aux ADF/MTM notamment la fabrication des engins explosifs. Donc, je confirme qu'aujourd'hui les ADF font parti de la province Afrique Centrale de l'État islamique ».
7SUR7.CD : Il y a des imams qui ont été tués, il y a ce qui se cache derrière ces meurtres ?
« En islam, on appelle ça "Fitna", qui signifie la guerre au cœur de l'islam. C'est-à-dire tous ceux qui sont considérés comme des apostats, ceux qui n'enseignent pas la charia, on leur mène une guerre à l'interne ... Selon les informations que nous avons récolté et qui sont dans ce livre, ces imams, on leur avait demandé de prêcher la charia et d'envoyer les jeunes gens dans la forêt. Il semble qu'ils avaient été payés, on parle de 50.000 dollars US. Mais les imams ne l'ont pas fait, et une fatwa a été ouverte contre eux. Dans ce livre nous présentons même les messages qu'on leur avait envoyés ».
7SUR7.CD : Pourquoi l'État islamique opère en RDC ? Pour quels intérêts ?
« Dans cette forêt des Virunga, il y a des minerais, il y a tout ! Il y a le cacao, le café et d'autres produits agricoles industriels. Les ADF/MTM ont exploité ces matières et les ont vendues parce qu'ils avaient aussi envie de survivre. Donc, il y a d'abord l'idéologie islamique, la communauté des croyants pour chasser la culture occidentale mais aussi et comme dans toute guerre, il y a des soubassements économiques ».
7SUR7.CD : Comment les ADF sont financés ?
« Il y a d'abord des financements locaux. À Beni, ils engagent des paysans qui font le champ pour eux et payent 30% de la récolte. Il y a aussi des financements dans l'exploitation des minerais et du Cacao. Il y a aussi beaucoup de financements venant de l'international. À l'heure actuelle, nous avons ressorti quatre axes : d'abord l'Afrique du Sud, l'axe Grande Bretagne, nous avons aussi épinglé des cas venus des États-Unis. Mais ces derniers financent sous forme des projets. Par exemple le dernier cas recensé en 2021, 16.000 dollars américains sont venus des États-Unis sous forme des projets. Quand ils récupèrent l'argent, ils font des dispatchings. Enfin, il y a des financements venant de l'Arabie Saoudite, la Turquie et l'Iran. Ils ont développé des petits et grands commerces à Beni, ils ont des cambistes ... Enfin, il y a ce financement dans les produits pétroliers, quand vous observez très bien, dans tout l'Est de la RDC, la plupart des opérateurs dans ce secteur, sont des musulmans mais aussi les transporteurs sont des Somaliens et des Kényans. Mais vous allez vous rendre compte aussi que lorsqu'on attaque des véhicules, on n'a jamais incendié un camion citerne transportant du carburant. Parce qu'ils savent que ceux-là travaillent pour eux ».
7SUR7.CD : Pourquoi attaquent-ils aussi des prisons ?
« Les combattant formés sont d'une importance capitale pour les djihadistes, alors là où ils sont, ils doivent être récupérés pour motiver ceux qui sont dans la lutte notamment les kamikazes. Les attaques là sont normales parce qu'ils enseignent aussi ce qu'on appelle la "Takia", c'est l'art de la ruse et du mensonge. Cette Takia est enseignée aux combattants, notamment ceux qui vont au front pour mentir et ne pas révéler des vérités. C'est pourquoi quand un grand combattant est arrêté, ils doivent tout faire pour le libérer pour qu'il ne puisse pas céder aux menaces (des autorités) et sortir des secrets ».
7SUR7.CD : Qu'est-ce que la RDC devrait faire pour réussir cette guerre ?
« Avec cette guerre asymétrique où l'ennemi possède des petites unités mobiles qui choisissent la cible, l'heure et l'endroit, il est très difficile pour la RDC de sortir de cette lutte. Aussi, dans la stratégie, la nébuleuse utilise ce qu'on appelle dans la guerre : les opérations de déception. C'est-à-dire, il fait semblant de mener la guerre à gauche, alors que son objectif est d'attaquer à droite. Bref, il a pris toute une population en otage parce qu'il a épousé dans nos communautés, il fait les affaires avec certains de nos compatriotes et il a organisé des réseaux partout et il devient difficile à combattre avec des armées classiques. C'est pourquoi ça fait plus de 10 ans que les FARDC sont là, mais ces guerres on ne les gagne pas par des bombardements. Ça fait une vingtaine d'années que les forces des Nations-Unies, etc. Ce sont des armées classiques qui n'ont pas d'unités spéciales pour répondre à la stratégie de l'ennemi. Ils sont aussi dans une forêt où les blindés n'arrivent pas. La solution est de mutualiser les renseignements dans les pays voisins. Dans ce partage des renseignements et la constitution des unités spéciales formées pour ce type de guerre, nous pouvons espérer une victoire ».
Interview réalisée par Glody Murhabazi, à Goma