
Construit en 1978 sur un espace de 11 hectares, au quartier CPA/Mushie dans la commune de Mont-Ngafula, le cimetière de Kinsuka n'a plus aujourd'hui l'apparence d'un lieu où reposent les morts. Il ressemble par contre à un village classique, avec habitations, églises, centre de santé et maisons commerciales.
N'étant pas encore désaffecté, les morts, en majorités les enfants, continuent à y être enterrés sur les 200 mètres d'espace qui restent. Quant aux vivants, ils y construisent leurs demeures, soit à côté des caveaux soit carrément au-dessus, après avoir détruit pierres tombales et croix.
Paul Bangala Egoni, percepteur des taxes d'enterrement, nous a conduit à un endroit où 3 corps ont été enterrés récemment, mais déjà la fondation d'une maison est en train d'y être élevée.
"Regardez par exemple ici. On venait d'y enterrer 2 corps il y a seulement 3 mois passés. Mais hier le matin quand nous sommes venus au travail, nous avons trouvé que des gens ont cassé nuitamment les pierres tombales et ont directement commencé à construire la fondation d'une maison. Bien-sûr qu'à notre tour, nous avons détruit cette fondation, mais certainement ils vont revenir peut-être avec la protection pour nous intimider", raconte notre guide.
D'après notre guide qui semble s'en lasser, c'est depuis 2010 que les gens ont commencé à s'installer dans ce cimetière, en complicité avec les chefs coutumiers et le chef du quartier.
"Je suis fatigué de parler de ce qui se passe dans ce cimetière de Kinsuka. Je parle depuis 2010 au début de ce problème mais en vain. C'est le chef du quartier Mushie qui s'occupe de la délivrance des documents illégalement, en complicités avec les chefs coutumiers et leurs enfants qui opèrent le morcellement des parcelles dans le cimetière", fulmine-t-il avec amertume au visage.
Risques de maladies
Pour Jupiter Ikwa, médecin à l'hôpital Vijana de Lingwala, il faut 50 ans après le dernier enterrement pour qu'un espace qui a servi de cimetière soit habitable, évidemment après désinfection. Avant cette durée, les dangers demeurent imminents.
"Après mort, le corps entre en décomposition suite aux différents phénomènes chimiques qui s'y opèrent. Et ça commence par la putréfaction qui fait en sorte que le corps dégage des gaz que des gens à proximité peuvent inhaler. Dieu seul sait combien ces gaz sont toxiques! Il faudra que les professionnels de la santé fassent un jour une étude sérieuse pour détailler la relation de cause à effet. Est-ce que certaines pneumonies, certaines engines...développées dans ce coin sont dues aux germes normaux ou ce sont des maladies dues à la promiscuité avec les déchets de morts?", s'interroge le médecin.
Et d'enchaîner : « Il y a aussi des maladies transmissibles suite au contact avec un corps inerte, Ebola par exemple. A ce moment, les germes deviennent pathogènes. Facilement, les humains en contact avec les déchets des morts développent des salmonelloses par exemple. Il faut donc une étude pour identifier de quoi souffrent ou meurent les populations de ce coin. Un autre problème c'est l'eau. Dans plusieurs coins de Kinshasa, les gens creusent des puits pour s'approvisionner en eau. D'emblée, toute eau extraite dans un milieu proche des corps en décomposition ne peut jamais être potable. Quand il pleut, l'eau se filtre dans le sol en passant sur les déchets de morts avant d'atterrir dans les puits d'eau. Ces eaux sont donc susceptibles de provoquer des maladies qu'il faudra déterminer. Vous arriverez dans certains villages par exemple, beaucoup de personnes y développent les mêmes tares comme la goitre. Ça peut être dû à la consommation de certains aliments infectés par des substances radioactives par exemple ».
Les valeurs bantoues tendent à disparaître
Pour Patrick Bantou, anthropologue et professeur au département de sociologie à l'Université Pédagogique Nationale (UPN), le fait que les vivants cohabitent avec les morts sans gêne à Kinsuka prouve que la perception qu'on avait des morts autrefois a changé. Et ce changement peut être dû à certains facteurs comme l'urbanisation, les croyances religieuses ou les mixages culturels.
"Le culte des morts avait commencé avec les Néanderthaliens, qui ont pratiqué les premiers enterrements. L'enterrement d'un mort n'est rien d'autre que la vénération, qui peut être due à la peur. Le problème qui se pose à Kinsuka est un changement social dû principalement à l'urbanisation. Suite à cet aspect d'abris, nous désacralisons ce qui était sacralisé autrefois. Les églises y sont aussi pour quelque chose parce qu'elles font croire qu'avec Dieu ou Jésus, on est protégé contre tout. Donc, les morts n'ont aucun pouvoir sur les vivants. Il y a aussi l'aspect de mixage culturel qui a contribué à dédramatiser les morts. La conception de la mort dépend d'une culture à une autre. Hormis le respect ou même la peur des morts qui tend à disparaître, plusieurs autres de nos valeurs ont perdu leur saveur dans la société, par exemple la dot qui est dolarisée aujourd'hui à la place des Makasu (noix de cola) et de la chèvre utilisés autrefois", a expliqué l'anthropologue.
Bienfait Luganywa