Le député national élu de Kasangulu (Bas-Congo) Jean Claude Vuemba Luzamba a décrit dimanche 28 septembre à Kinshasa les « traits caractéristiques communs à toutes les Constitutions » de la République démocratique du Congo, de la loi fondamentale de 1960 à la Constitution du 18 février 2006.
« Toutes ces Constitutions présentent deux traits caractéristiques communs : des textes taillés sur mesure et des textes écrits par des étrangers directement ou indirectement », a-t-il déclaré devant la Commission des intellectuels de la paroisse Saint Bénoit de Lemba et les jeunes de Lemba Bureau SBL à propos des « enjeux politiques de la révision constitutionnelle en RDC ».
Des « costumes taillés sur mesure »
Président national du Mouvement du peuple congolais pour la République (MPCR), vice-président du Groupe parlementaire UDPS et Alliés et président du Caucus des députés nationaux Ne Kongo, Jean Claude Vuemba a insisté sur le fait que « les Constitutions en RDC, particulièrement celle du 18 février 2006, sont comme des costumes taillés à la mesure de ceux qui sont désignés à la tête du pays par les maîtres du monde, les faiseurs des rois ».
« Si la taille change, le couturier qui est le législateur adapte le costume à la nouvelle taille de celui qui va le porter. Si le costume ne convient plus, on coud un autre costume », a-t-il précisé.
Depuis la Loi fondamentale de 1960 jusqu’à la Constitution du 18 février 2006, tous les textes de Constitution portent la marque de l’étranger.
« La loi fondamentale a été élaborée par le Parlement belge et promulguée par le Roi des Belges. La Constitution du 18 février 2006 a été élaborée par des experts belges de l’université de Liège. Bref, nous pouvons dire que ce sont des Constitutions qui nous sont écrites par les autres, ainsi la colonisation se perpétue », a rappelé le député Vuemba.
Brève histoire de la Constitution en RDC
« La Constitution du 18 février 2006 n’est pas la première Constitution que connaît notre pays. Elle s’inscrit dans une histoire qu’il convient de connaître pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Dans tout ce que je vais dire, je m’inspire du livre du professeur Jacques Ndjoli sur le +Droit Constitutionnel+ paru aux éditions l’Harmattan, en 2013 », a expliqué Jean Claude Vuemba.
La loi fondamentale de 1960
Lorsqu’en 1960, le Congo-Belge se prépare à célébrer son accession à la souveraineté nationale, il fallait donc le doter d’une Loi fondamentale, c'est-à-dire d’une Constitution.
« C’est ce qui fut fait le 19 mai 1960, un mois avant la célébration de l’indépendance du Congo. Elaborée suivant les principes définis à la Table Ronde de Bruxelles, la Loi fondamentale de 1960 est une Constitution de 259 articles », a rappelé le vice-président du Groupe parlementaire UDPS et Alliés.
Décrivant les caractéristiques de cette Loi fondamentale, il a dit qu’« elle est une Charte octroyée par le Parlement belge », en faisant remarquer qu’« avec beaucoup de bonne volonté, les Belges offrirent aux Congolais ce qu’ils avaient de mieux, c'est-à-dire une copie conforme de leurs propres Constitutions ».
Il a, par ailleurs, cité les autres critères suivants :
- « Elle est une Constitution provisoire, en fonction de son article 3 qui dispose que +les dispositions qui suivent resteront en vigueur jusqu’à la mise en place des Institutions publiques qui auront été organisées par la Constitution+ »;
- « Elle est une Constitution étrangère. La Loi fondamentale de 1960 est une loi ordinaire belge. En effet, c’est le Parlement belge et des experts belges qui ont élaboré le texte qui une fois adopté, sera promulgué par le Roi des belges le 19 mai 1960 » ;
- « Elle est une Constitution de compromis : compromis entre la Belgique et le Congo, compromis entre les unitaristes et les fédéralistes » ;
- « Elle est une Constitution ambiguë. Avec ces 259 articles, la Loi fondamentale était d’une grande complexité et laissait de nombreux problèmes irrésolus de même qu’elle entretenait des ambiguïtés et équivocités constitutionnelles. Cette ambiguïté sera à l’origine du conflit entre le chef de l’Etat et le Premier ministre qui se sont révoqués mutuellement ».
La constitution de Luluabourg de 1964
« Etant donné que la Loi fondamentale de 1960 n’était qu’une Constitution provisoire, il fallait que le pays se dote d’une véritable Constitution », selon le député Vuemba.
A ce propos, il a rappelé que « le président Joseph Kasa-Vubu premier chef de l’Etat du Congo, va créer par ordonnance n°278 du 27 novembre 1963 une Commission nationale chargée d’élaborer une nouvelle Constitution dont la présidence est confiée à Joseph Ileo Songo et le Secrétariat à Marcel Lihau ».
« Les deux ont été désignés par l’ordonnance n°295 du 13 décembre 1963. La Commission est assistée par des experts internationaux », a-t-il indiqué.
Aux dires de Jean Claude Vuemba, « la Constitution de Luluabourg avec ses 204 articles, promulguée le 1er août 1964, a opté pour une structure fédérale du pays. Mais ce fédéralisme est assourdi ou innomé ».
La Constitution de la Deuxième République de 1967
« Lors de la prise du pouvoir en 1965, le président Mobutu remet totalement en cause l’ordre constitutionnel de 1964. La Constitution de 1964 étant devenue une coquille vide, le nouveau régime ne pouvant pas s’accommoder de cette Constitution, il fallait donc élaborer une nouvelle Constitution sur base des nouvelles conceptions du pouvoir et de l’organisation politique et administrative de l’Etat. Il fallait alors créer un nouvel ordre constitutionnel qui donnerait une légitimité au nouveau régime », a encore rappelé le député Vuemba.
C’est ainsi que « le président Mobutu confia la rédaction de la nouvelle Constitution à une Commission politique gouvernementale qui comprenait le professeur Lihau, M. Etienne Tshisekedi, alors ministre de l’Intérieur, M. Joseph Singa, alors ministre de la Justice ».
Après le referendum qui eut lieu du 04 au 23 juin 1967, la nouvelle Constitution fut promulguée par le président Mobutu le 24 juin 1967. Cette Constitution a connu au moins 17 révisions dont les plus importantes sont les suivantes :
- La loi du 23 décembre 1970 consacrant « l’institutionnalisation » du Mouvement populaire de la révolution (MPR);
- La loi du 15 août 1974 instituant « le Mobutisme comme doctrine » du MPR et consacrant « la plénitude » de l’exercice du pouvoir par le président de la République ;
- La loi du 15 février 1978 libéralisant l’exercice du pouvoir au sein du MPR en rendant responsables tous les organes de l’Etat par l’abandon de la plénitude de l’exercice du pouvoir reconnu au président du MPR, président de la République.
« En réalité, ces révisions visaient une seule chose, la pérennisation du pouvoir du président Mobutu. Après le discours d’ouverture démocratique prononcé par le Président Mobutu le 24 avril 1990, notre pays a commencé une longue période de transition qui a donné accès à plusieurs transitions qui se sont succédées », a relevé Jean Claude Vuemba.
La Constitution de la 3ème République
La dernière transition, celle qui a commencé après le Dialogue intercongolais de Sun City (Afrique du Sud), avait parmi ses objectifs l’élaboration de la Constitution de la 3ème République. Ce qui fut fait avec la promulgation de la Constitution le 18 février 2006.
Dans l’exposé des motifs, les rédacteurs de cette Constitution avaient indiqué les préoccupations majeures de celle-ci en ces termes :
- Assurer le fonctionnement harmonieux des Institutions de l’Etat ;
- Eviter les conflits ;
- Instaurer un Etat de droit ;
- Contrôler toute tentative de dérive dictatoriale ;
- Garantir la bonne gouvernance ;
- Lutter contre l’impunité ;
- Assurer l’alternance démocratique.
« Ces préoccupations traduisent la volonté de rompre avec les excès et les affres des dictatures composites successives qui ont institué +l’injustice avec ses corollaires, l’impunité, le népotisme, le régionalisme, le tribalisme, le clanisme et le clientélisme qui sont à l’origine de l’inversion générale des valeurs et de la ruine du pays+», a soutenu le député Vuemba.
Toutefois, à peine promulguée, la Constitution du 18 février a connu plusieurs tentatives de révision dont deux ont avorté et une a réussi.
« La seule tentative qui a réussi est celle du 10 janvier 2011. Inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire de décembre 2010, le point relatif à la révision constitutionnelle fut introduit par une proposition de loi portant révision de la Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006. Cette initiative était signée par plus de 350 députés essentiellement de l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP », a-t-il indiuqué.
Faut-il oui ou non réviser la Constitution avant les élections de 2016 ?
« Depuis un certain temps, on parle de la révision constitutionnelle en RDC. Faut-il oui ou non réviser la Constitution avant les élections de 2016 ? Telle est la question qui préoccupe notre conférence de ce jour. Mais, de quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une révision ? D’une modification ou de l’élaboration d’une nouvelle Constitution ? Tout cela pour quel but ? », s’est interrogé le député Vuemba.
Il a rappelé les propos du président Joseph Kabila contenus dans son discours à la nation le 06 décembre 2007 et selon lesquels « on doit éviter de vouloir régler tout dysfonctionnement éventuel des Institutions par une révision constitutionnelle ».
« L’histoire de notre pays nous montre que les révisions de la Constitution sont faites pour permette la pérennisation du pouvoir en place. Or, un régime démocratique est caractérisé par une alternance au pouvoir. Pérenniser un pouvoir nous engage dans une dérive dictatoriale et autocratique », a martelé Jean Claude Vuemba.
Et « pour répondre, de la manière rationnelle et intelligente, à la question de l’opportunité de réviser la Constitution », il a estimé qu’« il faudrait commencer par savoir quels sont les articles que l’on veut réviser et quel est l’intérêt supérieur de la nation qui l’exige ».
En outre, il a évoqué les quatre projets de loi relatifs à la révision constitutionnelle adoptés par le gouvernement du Premier ministre Augustin Matata, lors de la 23ème réunion extraordinaire du Conseil des ministres du lundi 9 juin 2014 à la Cité de l’Union africaine.
Ce sont « le projet de loi portant organisation des élections urbaines, municipales et locales; le projet de loi portant organisation des élections provinciales, sénatoriales, des gouverneurs et vice-gouverneurs ; le projet de loi portant organisation des élections présidentielle et législatives ; le projet de loi portant révision de certains articles de la Constitution telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la RDC.
Le gouvernement s’est justifié en ces termes :
a) « Ces projets de loi sont la résultante d’une évaluation rigoureuse des élections de 2006 et 2011. Cette évaluation a mis à jour la nécessité de réaménager le cadre légal qui régit les élections dans notre pays ».
b) « Il s’agit pour le gouvernement, d’une part, de corriger les faiblesses qui ont été à la base des disfonctionnements observés lors de ces deux scrutins et, d’autre part, de finaliser la décentralisation instituée par la Constitution de 2006 au moyen de l’organisation effective des élections au niveau local ».
c) « La seule loi adoptée et promulguée en 2006, qui fixe à ce jour les conditions d’organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, a révélé dans son application des difficultés d’ordre divers, liées notamment à la spécificité de chaque type d’élection, de sorte que la RDC n’a pu organiser, à ce jour, aucune élection urbaine, municipale et locale ».
d) « En rapport aux élections provinciales, sénatoriales, des gouverneurs et vice-gouverneurs qui n’ont été organisées qu’une seule fois au cours des huit dernières années, le gouvernement a considéré que pareille asymétrie est porteuse de graves disfonctionnements ».
e) « Il a pris l’initiative de dissocier les différents scrutins en dotant chacun d’eux des règles spécifiques et adaptées afin de rendre plus aisées leur organisation et consolider ainsi le processus démocratique ».
Pourtant, a fait remarquer Jean Claude Vuemba, le président Joseph Kabila a été rassurant le 23 octobre 2013 devant l’Assemblée et le Sénat réunis en Congrès en déclarant ce qui suit : « Comme les Délégués à ces assises, Je suis pour le respect, par tous, de l’esprit et de la lettre de la Constitution de la République dans son ensemble, telle qu’adoptée par referendum populaire en 2005 ».
Quatre raisons fondent le refus de la révision constitutionnelle
Le député Jean Claude Vuemba a cité les quatre raisons qui justifient le refus de l’Opposition politique de toute révision constitutionnelle.
Primo. Préserver les principes démocratiques contenus dans la présente Constitution contre les aléas de la vie politique et les révisions intempestives : l’article 220 sur le nombre et la durée de mandat du Président de la République est non révisable de façon expresse. Il est verrouillé et ne doit donc pas être révisé. Sa révision risque de donner naissance à une 4ème République car l’ordre constitutionnel se trouverait fortement modifié ».
« L’article 197 sur l’élection des députés provinciaux au suffrage universel direct est également non révisable mais de façon tacite car il est lié à l’article 220, alinéa 2. Le réviser conduirait à vider l’article 220 de toute sa substance ».
Secundo. Le défi actuel, c’est d’assurer l’application de cette constitution et des lois existantes pour répondre aux besoins de la population et non de procéder à sa révision.
Plusieurs lois organiques et ordinaires ne sont pas encore votées ou promulguées pour permettre à cette Constitution de s’appliquer pleinement : la loi organique sur la caisse nationale de péréquation (art. 181) ; la loi organique sur les juridictions de l’ordre administratif (art. 155) ; la loi sur le droit au logement décent et l’accès à l’eau potable (art.48) ; la loi sur la liberté des manifestations (art. 26), etc.
Les membres de la Commission nationale des Droits de l’Homme doivent être désignés et installés, les membres de la Cour constitutionnelle doivent être installés et commencer leur travail.
Tertio. Un referendum est une opération coûteuse. Le gouvernement doit économiser les moyens financiers pour organiser les élections. Au moment où la préoccupation des dirigeants devrait être celui de mobiliser les moyens financiers pour les opérations préélectorales, électorales et post électorales, on ne devrait pas dépenser pour le referendum. Gouverner c’est prévoir.
Quarto. On ne change pas les règles de jeu à quelques heures du match. Qu’est-ce qui justifierait une révision ou un changement de la Constitution à deux ans de la fin du deuxième et dernier mandat du président de la République en fonction (le 19 décembre 2016 à minuit) ? Pourquoi cette idée n’avait-t-elle pas été soulevée juste au début du mandat ?