Rebondissement dans le dossier RDC vs Ouganda, Me Michel Lion, l’avocat belge mandaté à l’époque par le président Laurent Désiré Kabila qui fut à l’origine de cette affaire en 1999, a bien voulu nous accorder une interview exclusive qui jette une nouvel éclairage sur ce dossier brûlant qui oppose férocement le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, à l’avocat principal de la République, maître Tshibangu Kalala, incarcéré depuis plus d’un mois à l’ex prison de Makala pour « rétention de pièces ». Tshibangu Kalala justifie son acte par le non paiement de ses honoraires alors que le gouvernement revendique la propriété des pièces. Ce dialogue de sourds n’augure rien de bon car le 6 janvier 2016 la RDC doit soutenir ses prétentions de dédommagement, 11 milliards USD, devant la CIJ. En l’absence des pièces, nul besoin d’être prophète pour prédire que la RDC sera déboutée. Du coup, alors que l’épilogue semble proche, 15 ans après, le dossier est toujours dans l’impasse. Ce qui a poussé l’un des meilleurs avocats spécialisés dans les affaires du continent et fin connaisseur du dossier, Me Michel Lion, de donner son avis d’expert. Cet avocat qui conseille notamment les chefs d’Etat africains, de Mobutu à M’zee Kabila en passant par le togolais FAURE GNASSINGBE, souhaite que cet épisode sombre soit définitivement clos mais pas de n’importe quelle manière. Cet ami de la RDC que Mzee fit Agent de la RDC au Pays-Bas avant la nomination de Masangu père, regrette de n’avoir pas été associé à la 2ème phase du procès sur le dédommagement. Il rappelle que la plupart de ses arguments exposés dans la requête introductive ont triomphé. Chose dont il se réjoui. Il pense que la prétention de 11 milliards USD exigée par la RDC à l’Ouganda ne couvrira pas tous les dégâts occasionnés par l’occupation ougandaise. Car dit-il, les préjudices subis par les populations de la Province- Orientale sont incommensurables. Me Lion sachant que la CIJ ne rencontrera pas totalement la prétention de la RDC, veut néanmoins que la condamnation de l’Ouganda ne soit pas symbolique. Ci-dessus en exclusivité son interview.
1. Question:
Me Michel LION, il est beaucoup question de l’affaire RDC contre OUGANDA pendante devant la Cour Internationale de Justice à La Haye:
vous qui êtes un grand spécialiste de la RDC et à l’origine de cette affaire, quel est votre sentiment?
Réponse:
C’est le Président Laurent Désiré KABILA lui-même qui m’a chargé d’introduire ce dossier devant la CIJ et dès que j’ai eu le mandat officiel, j’ai minutieusement préparé la requête introductive d’instance qui fut déposée par mes soins à La Haye le 23 juin 1999.
De plus, le Président KABILA a tenu à me désigner comme « Agent» de la RDC, en l’absence d’un ambassadeur aux Pays-Bas, et à ce titre je représentais le Gouvernement congolais devant la CIJ. J’ai conservé ce poste à lourde responsabilité jusqu’au jour où un ambassadeur fut désigné à La Haye en la personne de S.E. MASANGU père.
J’ai beaucoup apprécié la confiance que le Président Laurent Désiré KABILA a mis en moi mais j’ai l’impression que le Congo a oublié le rôle primordial que j’ai joué dans ce dossier...
2. Question:
Que pensez-vous de la situation actuelle du dossier qui a fait l’objet d’un arrêt de la Cour le 19 décembre 2005?
Réponse:
Si vous comparez les différents points repris dans ma requête introductive d’instance de juin 1999 et l’arrêt en question, vous constaterez que tous les arguments que j’avais développés sont intégralement repris et approfondis condamnant sévèrement l’Ouganda. Je ne puis dès lors qu’être très satisfait de ce résultat.
3. Question:
Et la suite?
Réponse:
Je n’ai malheureusement pas été associé à la 2ème phase qui concerne le dédommagement de la RDC.
Toutefois, de mon point de vue, je n’ai jamais clôturé le dossier et je suis disposé à apporter mon expertise si les autorités de la RDC me le demandaient.
Il faut être bien conscient qu’à la demande de la RDC, une Ordonnance a été rendue par la CIJ le 1er juillet 2015 fixant un délai pour permettre à la RDC de justifier de son préjudice et il y a dès lors une grande urgence, les décisions de la CIJ devant être scrupuleusement respectées: un mémoire doit en conséquence être établi appuyé par les pièces justificatives pour le 6 janvier 2016 au plus tard. L’Ouganda, de son côté, doit également préciser son préjudice du fait que son Ambassade à Kinshasa fut saccagée.
Pour le surplus, la Cour «réserve la suite de la procédure ». Cela signifie qu’il peut y avoir un second tour sous forme de « répliques » ou une procédure orale.
C’est donc illusoire, comme je l’ai lu dans certaines colonnes, de croire que la RDC obtiendra 10 milliards USD de l’Ouganda et même plus et que cet argent pourrait aider la RDC à faire face aux élections (sic).
4. Question:
On peut effectivement être inquiet et vous n’ignorez pas que votre confrère Me Tshibangu Kalala a été arrêté pour « rétention de documents » justifiée, selon lui, par le non paiement de ses honoraires. Qu’en pensez-vous?
Réponse:
Je me refuse à donner une opinion dans un sens ou dans un autre au sujet des éléments qui ont amené Me Tshibangu Kalala a être incarcéré ne connaissant pas tout le dossier.
D’une façon générale, l’art. 77 de l’Ordonnance-loi du 28 septembre 1979 stipule que l’avocat ne peut exercer un droit de rétention sur les pièces de son client qu’il doit en conséquence restituer à la première demande.
Il en est autrement des pièces propres à l’avocat telles que les conclusions, notes, correspondances et c’est en ce sens qu’il faut comprendre le 2ème alinéa de l’art. 77 qui prévoit que «Il peut, toutefois, exercer son droit de rétention sur les pièces dues à ses diligences, jusqu’à ce qu’il ait été honoré ».
C’est dès lors avant tout une question déontologique qui se pose. La déontologie est la même en droit congolais qu’en droit belge.
5. Question:
Selon vous, l’Ouganda doit être condamné à de lourdes indemnités: le chiffre de 11 milliards est avancé. Qu’en pensez-vous?
Réponse:
Le dédommagement de la RDC ne peut pas être que symbolique: il doit être conséquent comme le laisse pressentir l’arrêt qui condamne l’Ouganda pour toutes les atrocités commises sur le territoire de la RDC.
Aucun chiffre ne réparera entièrement tous les faits dont les troupes ougandaises se sont rendues coupables et il est regrettable qu’un accord consensuel ne soit pas intervenu entre les deux gouvernements d’autant plus que les deux pays limitrophes auraient tout intérêt à s’entendre.
Je considère que le ou les chiffres avancés ne sont qu’une estimation et que pour être crédibles ils doivent trouver leurs sources dans les nombreuses pièces qui constituent le dossier à commencer par les «2 livres blancs» établis par l’honorable Sénateur SHE OKITUNDU, Ministre des Droits humains à l’époque, que j’avais d’ailleurs joints à la requête introductive d’instance.
Je souhaite, en conclusion, qu’au-delà des chiffres qui seront retenus par la CIJ, la RDC puisse mettre un point final à un épisode très douloureux et que l’Ouganda soit consciente des atrocités qu’elle a commises afin que plus jamais de tels débordements ne puissent se produire.