30 juin 1960 - 30 juin 2015. Le Congo totalisait, mardi dernier, 55 ans d’indépendance. L’occasion faisant le larron, Patrice Emery Lumumba délie sa langue. Non seulement pour rappeler quelques souvenirs de l’époque, mais aussi pour s’inviter au débat autour du dia logue national en gestation. Il s’étonne que, 55 ans après, il y ait des Congolais qui se réfèrent à une Communauté internationale surtout occidentale, pour savoir s’ils doivent participer ou non à un forum dit national. En tout cas, s’il pouvait ressusciter pour remettre les pendules à l’heure, ce héros national, le tout premier " Premier ministre " congolais, le ferait sans aucune hésitation. Mais hélas non ! Raison pour laquelle, il se contente seulement d’exprimer son point de vue.
Monsieur le Premier ministre, on vous reproche souvent d’avoir gâché la fête lors de la cérémonie du 30 juin 1960, à travers un discours non prévu au programme, mais aussi et surtout incendiaire
Non prévu au programme oui, mais incendiaire non. Pourquoi ai-je alors décidé, le 30 juin 1960, d’improviser mon discours ? Simplement parce que, tel que la cérémonie se déroulait, on donnait l’impression que le Congo dépendait toujours de la Belgique et qu’à ce titre, l’indépendance passait pour un cadeau des Belges là où il s’agissait plutôt d’un droit fondamental du peuple congolais. Mon discours consistait, en fait, à remettre les pendules à l’heure et à rappeler à quel prix la Belgique avait accepté de consentir au droit des Congolais à travers l’indépendance. Combien de coups de fouets avions-nous reçus pour forcer les Belges à nous accorder cette accession à la souveraineté nationale et internationale. Il fallait, en un mot comme en mille, faire comprendre aux colonisateurs d’antan que nous ne dépendrions plus d’eux et que nous étions désormais maîtres de notre destin. Voilà donc l’effet que je voudrais simplement produire le 30 juin 1960 et rien d’autre.
Mais, cela vous a facilement conduit jusqu’à la mort ?
La différence fondamentale entre nous pères de l’indépendance et les politiciens d’aujourd’hui, c’est qu’à l’époque, nous étions prêts à mourir pour le Congo et qu’aujourd’hui, on trahit facilement notre pays. Car, à part Laurent-Désiré Kabila qui s’inscrit dans notre logique, je ne vois personne d’autre qui pourrait se sacrifier pour le Congo. C’est pour cette raison à la fois fondamentale et capitale que l’on retrouve des Congolais dans chaque rébellion qui se déclenche et ils font des concessions même là où ils ne devraient pas du tout. Laurent-Désiré au moins avait réussi à rouler les étrangers dans la farine et une fois à la tête du pays, il a commencé à démontrer son nationalisme. Le problème, c’est qu’on ne se sacrifie plus pour le Congo, mais on trahit le Congo pour jouir. En fait, c’est la culture de la jouissance qui tue les politiciens congolais. Voilà pourquoi, ils n’hésitent guère à piller le Congo.
L’actualité en RDC demeure marquée par le débat autour du dialogue national. Jugez-vous ce énième forum national opportun ?
Le dialogue fait partie de la culture de l’Africain, pour ne pas dire du Congolais. Etienne Tshisekedi a même dit qu’il était inscrit dans notre ADN. C’est ce qu’on appelle " arbre à palabre". On ne peut donc pas s’en passer. Lorsqu’il y a une crise, c’est normal que les uns et les autres se retrouvent pour tenter de trouver une solution. Mais, quand certains sollicitent d’abord l’autorisation de la fameuse Communauté internationale avant de se décider, cela constitue vraiment une attitude ou une approche dangereuse parce qu’il s’agit d’abord d’une question nationale, c’est-à-dire qui concerne surtout le Congo et donc les acteurs politiques congolais. C’est regrettable d’avoir besoin des Blancs pour le dialogue en 55 ans d’indépendance. Moi, je ne peux pas comprendre ce phénomène et cela quelque soit l’explication. Car, ceux qui se réjouissent du soutien de la Communauté internationale, le regretteront une fois au pouvoir. L’Occidental ne donne l’impression de vous aimer et de voler à votre secours que quand il poursuit un intérêt. Comme on dit, il n’y a rien pour rien. Et, en cette matière, il n’y a pas plus capitalistes que les Occidentaux. Ils font tout en fonction de leurs intérêts ou calculs. Se fier à eux équivaut à passer pour leurs acolytes et donc à se mettre la corde autour du cou.
Les opposants congolais se réfèrent à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba pour exiger une médiation internationale. Pensez-vous que les autres parties concernées par cet Accord l’appliquent réellement ?
Si les autres parties ne l’appliquent pas et se contentent seulement de tirer la couverture de leur côté, pourquoi les Congolais devraient donner l’impression d’en faire leur Bible ? C’est cela le problème. Il ne faut pas faire de cet instrument une parole d’Evangile. Le problème étant congolais, il faut une solution congolaise. Il ne faut pas seulement avoir une médiation internationale parce qu’il est possible de trouver un bon médiateur ou facilitateur congolais. Juste une question de volonté. Car, si après 55 ans d’indépendance, on continue à s’en remettre aux étrangers pour toute solution à la crise congolaise, votre souveraineté ne sera jamais respectée. L’ingérence étrangère ne s’invite au Congo que lorsque les Congolais eux-mêmes ouvrent leurs portes. Hier, on trouvait encore cela normal dans le camp de l’Opposition et Mobutu s’en plaignait alors que lui-même était parti sur les mêmes bases en 1960. Mobutu lui-même, comment a-t-il fini avec les Occidentaux qui étaient ses amis ? Il s’est mordu le doigt après qu’on l’ait pressé comme un citron avant de se débarrasser de lui finalement. Tant que les acteurs politiques congolais ne changeront pas, l’histoire sera, comme on dit, un éternellement recommencement. Mais, malheureusement, ils sont tous les mêmes et personne ne tire de leçons.
Autre chose à ajouter ?
C’est tout juste d’interpeller les politiciens congolais. Car, tous les maux qui rongent le pays viennent d’eux et non du peuple. Ils parlent tous au nom du peuple, mais c’est seulement pour justifier leurs propres intérêts. Prenez le cas des fonctionnaires et agents de l’Etat. Que touchaient-ils en 2011 et que touchent-ils aujourd’hui ? Comparez ce tableau à celui des députés nationaux par exemple qui avaient promis de défendre le peuple et vous aurez des vertiges. C’est pourquoi, les électeurs doivent savoir sanctionner pour que les choses changent au Congo. Inutile de ramener les mêmes personnes lorsque certains buts n’ont pas été atteints. Bien au contraire, il faut savoir sanctionner et dire aussi pourquoi on le fait. Mais, si les électeurs congolais se contentent de certains cadeaux qu’on leur apporte, rien ne changera en fin de compte. En Europe et aux Etats-Unis d’Amérique, les électeurs sanctionnent pour que les choses changent. Il n’est jamais tard pour bien faire. Je voudrais terminer par souhaiter aux Congolais une bonne et heureuse fête de l’indépendance. M. M.